• Pr François Schiele : Quelles alternatives pour les patients intolérants aux statines

François Schiele

Discipline : Cardiologie

Date : 23/10/2023


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« En cas d’intolérance, il s’agit d’écouter le malade et lui proposer une prise de sang pour vérifier les CPK », car « il est admis que de nombreux symptômes ne sont pas attribuables aux statines », précise le Pr François Schiele, chef de service Cardiologie et Maladies cardiovasculaires, professeur des universités au CHRU de Besançon.

 

TLM : Comment définir l’intolérance aux statines ?

Pr François Schiele : Il s’agit essentiellement d’un problème de tolérance musculaire, réversible à l’arrêt du traitement. Il faut le distinguer d’un effet extrêmement grave et rare qui est la rhabdomyolyse. L’intolérance, associée ou non à une élévation biologique des enzymes musculaires, n’est pas un événement véritablement grave. Cette gêne aboutit, in fine, à une réduction de son intensité. Mais la diminution de la prise des médicaments qu’elle implique, donc de la prévention, a des conséquences assez graves car la maladie ne sera plus contrôlée.

 

TLM : Quels sont les symptômes musculaires associés aux statines (SAMS) ?

Pr François Schiele : Ce sont classiquement des douleurs, crampes, rigidités, qui concernent les grosses masses musculaires, c’est-à-dire principalement la partie haute des membres inférieurs (cuisses et fesses) et plus rarement les bras. Il existe des variantes qui sont des symptômes très atypiques.

 

TLM : Comment établir le diagnostic ?

Pr François Schiele : Il est essentiellement clinique. Ce n’est pas nécessaire de le certifier. Pour aller plus loin, des scores prennent en compte la description des symptômes, leur survenue par rapport à la prise des médicaments ou la biologie. Le dosage des CPK est intéressant. Lorsqu’un patient, avant la prescription, n’a pas d’élévation de CPK, et qu’après la prise de médicaments, il décrit des symptômes musculaires et a une élévation de ses CPK, le dosage affirme les SAMS. Alors pourquoi avoir un doute ? Il est admis que de nombreux symptômes de douleur musculaire ne sont pas attribuables aux statines.

Des facteurs confondants peuvent exister comme l’exercice physique intense. Dans ce cas, nous temporisons et discutons avec le patient pour qu’il reprenne son traitement en toute tranquillité. Mais si le patient associe les douleurs musculaires à la prise de statines, il devient extrêmement difficile de lui faire comprendre que le médicament n’est pas en cause. Et donc, in fine, la stratégie est un changement thérapeutique.

 

TLM : Quelle est la prévalence des SAMS ?

Pr François Schiele : Une méta-analyse d’études observationnelles et randomisées a porté sur 4 millions d’individus traités par statines. Dans les études randomisées versus placebo, la fréquence des événements est de l’ordre de 5%. Lorsqu’il s’agit de la vie quotidienne (le patient a conscience de prendre une statine et connaît la notice du traitement), la fréquence des SAMS atteint 20 %, voire parfois plus. Et donc, en moyenne, la prévalence est de 10 %, sachant que probablement seuls 5 % de ces symptômes ont une intolérance vraisemblable scientifiquement. Cela met en évidence l’effet nocebo.

 

TLM : Quelles sont les nouvelles stratégies de prise en charge ?

Pr François Schiele : En cas d’intolérance, il s’agit d’écouter le malade et de lui proposer une prise de sang pour vérifier les CPK. Une forte élévation de ces enzymes indique une intolérance sévère. Dans le cadre de la disponibilité des traitements en France, dans tous les cas, nous proposons d’arrêter le traitement pendant une à deux semaines. C’est le « déchallenge ». La disparition des symptômes dès l’arrêt est attendue et rassurante (ce qui élimine les problèmes d’arthrose ou autres qui pourraient survenir concomitamment). En cas de CPK, nous attendons qu’ils disparaissent du sang et proposons de réintroduire une statine, soit différente, soit à une intensité diminuée, soit les deux. Et nous recommençons progressivement le traitement en expliquant aux patients la stratégie de changement.

Si le patient tolère, nous vérifions l’efficacité. S’il ne tolère pas, nous diminuons à nouveau le traitement. Une situation stable sera obtenue avec une statine dite maximale tolérée. Ce traitement, d’intensité relativement faible, nécessite de revérifier l’efficacité car souvent, le LDL cholestérol n’est pas à l’objectif. L’optimisation du traitement est alors envisagée avec deux produits disponibles en France. L’ézétimibe, en prévention primaire et secondaire, diminue de 20% le LDL-cholestérol. Si cela ne suffit pas (patients dont le LDL-cholestérol > 70 mg/dl sous statine + ezétimibe), il est possible en prévention secondaire d’envisager un traitement par inhibiteur du PCSK9. Généralement, nous serons à la cible avec une nouvelle baisse du LDL de 50%. Il est intéressant de noter que ni l’ézétimibe, ni l’inhibiteur de PCSK9 n’induisent de douleurs musculaires à la différence des statines qui peuvent avoir une action biologique et pharmacologique intramusculaire liée à l’inhibition de l’HMG-CoA réductase dans le muscle.

 

TLM : Quelles sont les perspectives à venir ?

Pr François Schiele : L’acide bempédoïque est une pré-statine qui serait théoriquement idéale dans les cas d’intolérance aux statines. Il a été validé cliniquement et est disponible dans certains pays européens comme l’Allemagne, mais pas encore en France. Le dossier devrait être déposé prochainement. C’est une prodrogue, un médicament inactif transformé par le foie en médicament actif qui bloque la ligne de synthèse du cholestérol (une étape avant l’HMG-CoA réductase). Il aboutit, in fine, aux mêmes effets biologiques qu’une statine, c’est-à-dire la baisse du LDL-cholestérol et la réduction de l’inflammation de la CRP. Mais lorsque cette prodrogue arrive dans le muscle, le muscle n’a pas l’enzyme permettant de la transformer en métabolite actif. Le blocage de l’HMG-CoA réductase dans le muscle n’a pas lieu, ce qui ne déclenche pas de douleur. Ses effets ont été vérifiés dans l’étude CLEAR Outcomes. Bien sûr, la première ligne resterait les statines. Mais si le patient est intolérant aux statines, nous pourrions éviter le rechallenge en passant directement à l’acide bempédoïque et compléter l’efficacité, si nécessaire, avec ézétimibe et/ou inhibiteurs de PCSK9. Je pense qu’il faut envisager deux années au moins avant qu’il ne soit disponible.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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