• Pr François Rannou : Lombalgie : Toute approche passive est délétère !

François Rannou

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 23/10/2023


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Dans la prise en charge de la lombalgie, toute approche passive est délétère, affirme le Pr François Rannou, chef du service de Médecine physique et de Réadaptation à l’hôpital Cochin (Paris). Rester actif est en revanche indispensable pour prévenir les récidives et éviter la chronicisation.

 

TLM : L’expression « mal de dos, mal du siècle » est-elle toujours d’actualité ?

Pr François Rannou : Plus que jamais !

La lombalgie est le symptôme le plus fréquent dans le monde ; c’est également la première cause de handicap, d’accident du travail et d’arrêt de travail. Nos compatriotes n’échappent pas à ces statistiques puisqu’on estime que 4 Français sur 5 souffriront de lombalgie commune au cours de leur vie.

 

TLM : Vous qualifiez la lombalgie de symptôme, il ne s’agit donc pas d’une maladie à proprement parler ?

Pr François Rannou : En effet. Et à l’origine de ce symptôme peuvent exister de nombreuses atteintes de la colonne vertébrale : discopathie active, hernie discale, instabilité vertébrale, arthrose postérieure, scoliose, canal lombaire rétréci, canal lombaire étroit… Certaines maladies constitutionnelles peuvent également générer des douleurs lombaires, comme la maladie de Scheuermann —une épiphysite de croissance entraînant des déformations localisées des corps vertébraux qui induisent des douleurs dorsales et une cyphose— et la maladie de Forestier — une affection articulaire qui survient après 50 ans et qui entraîne des calcifications osseuses des ligaments, le plus souvent dans le dos, créant des ponts osseux entre les vertèbres.

 

TLM : Quelle doit être la démarche du médecin généraliste face à un patient qui souffre de lombalgie ?

Pr François Rannou : Il doit d’abord établir le diagnostic médical via une anamnèse puis un examen clinique. C’est exactement la même démarche que pour un mal de tête ou un mal de ventre, ni plus ni moins. Même si leur découverte à la suite d’une lombalgie comme signe d’appel est exceptionnelle, l’élimination des causes fracturaires (fracture, tassement vertébral), malignes (tumeur cancéreuse, métastases) ou inflammatoires (spondylarthrite ankylosante, spondylodiscite —infection sévère d’une ou plusieurs vertèbres et des disques intervertébraux adjacents), est indispensable. Aucun examen d’imagerie n’est nécessaire, sauf en cas de doute ou si des traitements invasifs s’avèrent nécessaires. Le praticien peut être orienté par l’âge du patient, qui constitue un assez bon indicateur de la cause potentielle d’une lombalgie : chez une femme en périménopause, par exemple, la douleur au dos est souvent due à une scoliose en phase de décompensation ; chez les personnes âgées de plus de 60 ans, elle est plutôt provoquée par un canal lombaire étroit ; avant 40 ans, on recherchera plutôt une hernie discale…

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge du patient lombalgique ?

Pr François Rannou : Tout dépend du type de mal de dos dont il souffre : si l’examen clinique et l’anamnèse du patient ont orienté vers le diagnostic d’une lombalgie symptomatique spécifique, des examens complémentaires (IRM ou scanner) vont être nécessaires pour en rechercher la cause précise afin de mettre en place la prise en charge la mieux adaptée. Si le diagnostic est celui d’une lombalgie aiguë commune, la prise en charge consiste avant tout à rassurer le patient, à le convaincre de rester actif malgré sa douleur et à déconstruire les fausses croyances ou les croyances erronées : malgré les campagnes de sensibilisation de l’Assurance maladie et de la Haute Autorité de santé, l’idée persiste qu’une lombalgie se traite par du repos. Or, c’est précisément le contraire !

Cela étant, il convient de ne pas être extrême : rester actif ne signifie pas faire du sport. La reprise ou le commencement d’une activité physique seront possibles dans un second temps, une fois la phase aiguë passée. Un traitement médicamenteux peut aider à soulager la douleur : en première ligne, on prescrira du paracétamol et, éventuellement, des anti-inflammatoires en courte cure (deux ou trois jours maximum), en respectant les contre-indications éventuelles. Pour la plupart des patients, cette prise en charge suffit. Il est important que le médecin généraliste prenne le temps d’expliquer à son patient que la prévention des lombalgies, et donc de potentielles récidives, passe par l’activité physique, et plus particulièrement par de bons muscles dorsaux. L’exercice le plus efficace reste le gainage, qu’il faut impérativement associer à des étirements.

 

TLM : Que faire lorsque les symptômes persistent malgré un traitement bien conduit ?

Pr François Rannou : Si la douleur n’est pas soulagée au bout de trois ou quatre semaines, le médecin doit élargir le champ de son examen clinique et approfondir l’interrogatoire à la recherche de facteurs aggravants qui peuvent être d’ordre psychologique (dépression, stress, anxiété...), socio-économique ou professionnel (problèmes avec sa hiérarchie, insatisfaction au travail...). Autant d’éléments qui jouent un rôle dans l’entretien des douleurs au dos et qui favorisent les récidives et le passage à la chronicité.

Au-delà de trois mois sans amélioration, on parle de lombalgie chronique.

Le patient doit être systématiquement adressé à un des quatre spécialistes suivants : rhumatologue, neurochirurgien, chirurgien orthopédique ou médecin de médecine physique et réadaptative. La prise en charge s’attache beaucoup moins à soulager la douleur qu’à faire retrouver au patient ses capacités fonctionnelles. On plébiscite de plus en plus le « self-management » au travers d’un programme de rééducation : encadré par des spécialistes du dos, le patient apprend à réaliser les mouvements qui remusclent et étirent ses dorsaux, et s’engage à les reproduire chez lui —seul gage de réussite du programme. La prise en charge doit également tenir compte des éventuels facteurs aggravants afin de proposer une approche globale incluant, en plus du traitement médical, des aides spécifiques en cas de difficultés psychologiques, professionnelles et/ou sociales. Enfin, certaines lombalgies chroniques peuvent être traitées par des antidépresseurs qui ont une action antalgique mais qui ne sont pas addictogènes.

 

TLM : Les chiropracteurs et ostéopathes ont-ils leur place dans la prise en charge des patients ?

Pr François Rannou : Toute approche passive est au mieux inutile, au pire délétère. De plus, ces techniques ne reposent pas par définition sur un diagnostic médical ou paramédical. La seule façon d’améliorer efficacement les patients est de rester actif : c’est non seulement bon pour le dos, mais pour la santé en général.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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