• Pr François Raffi : Super-prévention des sujets à haut risque de forme sévère de Covid

François Raffi

Discipline : Infectiologie

Date : 17/01/2023


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Chez les personnes à haut risque de forme sévère de Covid, il est désormais possible de compléter la prévention partielle obtenue avec la vaccination par une prophylaxie basée sur des anticorps neutralisants.

Le Pr François Raffi, chef du service des Maladies infectieuses et tropicales au CHU de Nantes, nous en dit plus…

 

TLM : Quelles sont aujourd’hui les personnes à très haut risque de développer une forme sévère de Covid 19 ?

Pr François Raffi : Aujourd’hui les personnes qui présentent une forme sévère de Covid 19, nécessitant une hospitalisation, voire un séjour en réanimation, n’ont plus le même profil que celles hospitalisées au début de l’épidémie en 2020. Les formes sévères concernaient alors essentiellement des personnes âgées, des personnes souffrant d’obésité, ou encore ayant des comorbidités —diabète, maladies cardiovasculaires, troubles métaboliques… Aujourd’hui les personnes à haut risque de forme grave sont des patients immunodéprimés, en raison d’affections immunologiques ou hématologiques, d’un traitement immunosuppresseur pour une greffe d’organe, d’une maladie auto-immune ou encore sous chimiothérapie… Du fait de l’immunodépression, ces patients répondent mal au vaccin anti-Covid. Si Omicron est moins sévère que les variants qui l’ont précédé, il existe encore des cas graves de Covid à l’hôpital chez ces personnes à haut risque. Même en réitérant la vaccination, avec quatre, cinq ou six doses, le niveau de protection obtenu avec le vaccin chez ces patients reste partiel.

 

TLM : Peut-on mieux prévenir le développement d’une forme sévère chez ces patients ?

Pr François Raffi : Il est désormais possible, chez ces personnes à haut risque de forme sévère de Covid, de compléter la prévention partielle obtenue avec la vaccination par une prophylaxie basée sur des anticorps neutralisants. Cette prophylaxie repose désormais sur une injection par voie intramusculaire d’anticorps neutralisants à demi-vie longue, qui se maintiennent à un taux protecteur pendant six mois. Un médicament, Evusheld, qui associe deux anticorps anti-Covid —le tixagevimab et le cilgavimab— a obtenu une autorisation de mise sur le marché dans la prévention des formes sévères de Covid chez les patients à haut risque. Ces anticorps produits par biothechnologie ciblent la protéine spike du virus et bloquent son interaction avec les cellules du patient.

 

TLM : Quel est le niveau de protection obtenu avec ce médicament ?

Pr François Raffi : Ce médicament en prophylaxie chez les personnes à risque de Covid sévère a fait l’objet d’un essai clinique de phase 3 portant sur 5 197 patients.

Les résultats publiés dans le New England Journal of Medicine en avril 2022 ont mis en évidence une efficacité de 83% pour réduire les risques de Covid symptomatique. Dans cet essai —« Provent »— aucun cas de forme sévère n’a été observé chez les patients recevant ces anticorps, contre cinq cas dont deux décès chez ceux ne recevant que le placebo. Ce traitement prophlylactique est administré en injectant, en intramusculaire, chaque anticorps séparément. Il est à renouveler tous les six mois, en complément de la vaccination. Par ailleurs, ces anticorps monoclonaux sont très bien tolérés : pas de réaction locale, peu de douleur lors de l’injection ni de réaction allergique.

L’administration passive d’anticorps, en plus de ceux générés grâce au vaccin, est très efficace pour protéger ces patients d’un Covid symptomatique.

 

TLM : Est-ce que ces anticorps auraient un effet curatif pour les patients à haut risque de formes sévères et atteints de Covid ?

Pr François Raffi : La prise en charge des patients présentant une infection par le Covid 19 et à haut risque de forme sévère est effectivement la seconde indication pour ces anticorps monoclonaux. L’étude Tackle publiée dans The Lancet Respiratory Disease en juin 2022 a montré qu’une seule injection intramusculaire, chez des personnes à haut risque atteintes de Covid, permettait de réduire le risque de formes graves de 88% si le traitement est administré dans les trois jours après le début des symptômes et de 67% s’il est administré dans les cinq jours. Ce sont des résultats très encourageants.

 

TLM : Quelle est aujourd’hui la stratégie de la prise en charge ?

Pr François Raffi : Ce qui est recommandé en première ligne pour les patients présentant un Covid léger ou modéré et ayant un très haut risque de forme sévère c’est de débuter un traitement par Paxlovid pendant cinq jours, le plus tôt possible dès le diagnostic de Covid. Le Paxlovid —je le rappelle— a une efficacité de l’ordre de 85 % pour prévenir le passage vers une forme grave.

Par ailleurs, il n’y a pas de justification à prescrire du Paxlovid quand les patients sont à faible risque de forme sévère, même si ce médicament réduit la durée des symptômes moyennant quelques effets secondaires, en particulier digestifs, diarrhées, nausées, qui ne posent pas vraiment de problème puisque la durée du traitement est de cinq jours. Maisle Paxlovid est contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale ou d’interaction médicamenteuse, notamment chezles patients ayant eu une greffe d’organe et recevant un traitement anti-rejet, justement à risque de Covid grave. En cas de contre-indication au Paxlovid, il est possible de prescrire ces anticorps monoclonaux. Ils doivent être débutés le plus vite possible, dans les cinq jours suivant le début des symptômes. Les anticorps à visée curative sont administrés à l’hôpital, par voie intramusculaire, dansle cadre de l’accès précoce.

 

TLM : Les médecins généralistes peuvent-ils prescrire ces anticorps monoclonaux ?

Pr François Raffi : En prophylaxie, ces anticorps sont prescrits en milieu hospitalier, par les médecins des spécialités qui prennent en charge les patients immunodéprimés à risque, c’est-à-dire les médecins-greffeurs qui suivent les patients transplantés, les hématologues, ou ceux qui traitent les maladies auto-immunes, rhumatologues, neurologues... Les pouvoirs publics réfléchissent actuellement à un renouvellement de la prescription par les médecins généralistes en ville de ces anticorps monoclonaux à titre prophylactique.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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