• Pr Franck Bruyère : Modalités de la prise en charge des infections urinaires

Franck Bruyère

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 23/10/2023


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Dans les cystites récidivantes, pour ne pas se tromper de diagnostic, il importe d’abord de rechercher la cause de la récidive, rappelle le Pr Franck Bruyère, chef du service d’Urologie au CHU de Tours, responsable du Comité d’infectiologie de l’Association française d’urologie (CIAFU).

Avant de se conformer aux dernières recommandations de la HAS concernant la prise en charge de ces infections.

 

TLM : Quelles sont les dernières recommandations de la HAS concernant la prise en charge des infections urinaires ?

Pr Franck Bruyère : Première recommandation : il n’est pas nécessaire de faire réaliser un examen cytobactériologique des urines à une personne présentant des signes cliniques très évocateurs d’une infection urinaire, notamment brûlures ou douleurs mictionnelles, pollakiurie, hématurie, urgences mictionnelles, en l’absence de fièvre. Les femmes connaissent d’ailleurs le plus souvent ces symptômes et savent faire le diagnostic de cystite. Il s’agit habituellement d’une infection à E. coli. D’autres germes peuvent cependant être en cause, staphylococcus saprophyticus, enterococcus faecalis, klebsiella pneumonia... Selon ces dernières recommandations, le traitement de première intention fait appel à un antibiotique en cure courte, et en particulier à un sachet de fosfomycine, en prise unique. Les résistances d’Escherichia coli à la fosfomycine sont faibles. Mais d’autres bactéries y sont résistantes. En deuxième intention, il est recommandé de prescrire du pivmécillinam (Selexid) en cures courtes, à la dose d’un comprimé deux fois par jour pendant trois jours. Le Selexid a été longtemps prescrit pendant cinq jours contre les infections urinaires. Des études récentes ont montré qu’un traitement de trois jours est suffisant. D’autres antibiotiques peuvent être prescrits en cas d’échec de ces traitements, par exemple la nitrofurantoïne, mais pas plus de trois fois par an du fait d’un risque de fibrose hépatique ou pulmonaire, ou encore l’amoxicilline. En revanche, les colonisations bactériennes diagnostiquées par l’ECBU, asymptomatiques, ne nécessitent aucun traitement en dehors de la grossesse ou avant certaines interventions urologiques.

 

TLM : Que faire en cas de cystite récidivante ?

Pr Franck Bruyère : Attention d’abord à ne pas se tromper de diagnostic. J’ai déjà vu le cas de patientes souffrant de cystites à répétition et qui, en réalité, avaient un cancer de la vessie. Il faut d’abord rechercher la cause de la récidive, voir s’il existe un résidu post-mictionnel, des troubles de la trophicité vulvovaginale, des calculs rénaux ou encore une tumeur de la vessie. L’échographie de l’appareil urinaire permet notamment d’évaluer les résidus post-mictionnels. Une cystoscopie peut également être effectuée pour examiner la vessie. Les explorations sont cependant normales dans plus de 90% des cas.

 

TLM : Comment traiter les récidives en l’absence de cause précise ?

Pr Franck Bruyère : Il faut différentier les patientes qui présentent des infections urinaires plus d’une fois par mois de celles qui en souffrent moins d’une fois par mois. Il n’est pas recommandé de donner un traitement antibiotique de fond à celles qui ont ces infections moins d’une fois par mois. En revanche, lorsqu’elles surviennent une fois par mois ou plus, un traitement antibiotique régulier à faibles doses, dit « antibiocycle », permet de réduire le nombre de cystites, à condition que les alternatives à l’antibiothérapie aient toutes été tentées avant. Plusieurs schémas de prescription peuvent être proposés : par exemple, un sachet de fosfomycine le lundi et un comprimé de Selexid le jeudi, pendant six mois. Si le traitement de fond n’est pas assez efficace, il est possible de le changer. Il est également recommandé de prescrire des traitements non antibiotiques. Ces compléments thérapeutiques n’ont pas de place dans la prise en charge de la cystite aiguë, mais présentent un intérêt dans certains cas pour les femmes souffrant de cystites récidivantes.

 

TLM : Quelles sont ces traitements non antibiotiques ?

Pr Franck Bruyère : Différentes thérapeutiques non antibiotiques sont disponibles, sans hiérarchie définie dans la manière de les utiliser, en l’absence d’études comparant ces traitements entre eux. Par exemple, la vaccination contre E. Coli est proposée dans les recommandations européennes, mais pas dans les françaises — ce produit n’est pas disponible en France. Il s’agit d’un stimulant de l’immunité basé sur un lyophilisat d’E. coli conditionné en capsules. Ce traitement est utilisé à la dose d’une capsule par jour pendant trois mois. Les essais font état d’une efficacité complète dans 30 à 40% des cas. Cette « vaccination » est sur le marché en Espagne, en Allemagne et en Suède.

La canneberge (cranberries) sous forme de gélules est efficace chez certaines patientes, en l’absence de troubles de la vidange vésicale et de résidus post-mictionnels, à la dose de deux gélules, soit 36 milligrammes de proanthocyanidines (dérivés de la canneberge) par jour pendant trois mois. Le D-mannose utilisé par voie orale, en cas d’infections récidivantes, est un sucre simple qui aurait aussi une action inhibitrice sur l’adhérence des bactéries au niveau des cellules uro-épithéliales. Les œstrogènes locaux permettent aussi d’améliorer la trophicité des tissus et de réduire le risque d’infections urinaires récidivantes. De même, il a été démontré que le fait de s’hydrater, de boire plus, réduisait ce risque. Enfin, les instillations endovésicales d’acide hyaluronique et/ou de glycosaminoglycanes une fois par semaine pendant six à sept semaines réduisent également les récidives, en régénérant la paroi vésicale.

Certaines interventions chirurgicales peuvent aussi être proposées avec peu de preuve de leur efficacité.

 

TLM : Et comment prendre en charge les infections urinaires de la femme enceinte ?

Pr Franck Bruyère : Le risque d’infection urinaire est plus élevé chez la femme enceinte. Le bactrim ne peut pas être prescrit au premier trimestre et la furadantine ne peut pas l’être au 9e mois. Il est recommandé de faire pratiquer un ECBU chez la femme enceinte en cas de signes d’infection urinaire, considérée comme augmentant les risques de prématurité. Le traitement est adapté à l’antibiogramme, sachant que la fosfomycine (un sachet), le Selexid (deux comprimés par jour pendant trois jours) peuvent être prescrits. Pour les patientes ayant souffert d’une infection urinaire pendant la grossesse, il est recommandé de pratiquer un ECBU tous les mois, jusqu’au terme.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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