• Pr Franck Bruyère : Les solutions naturelles pour limiter les récidives de cystite

Franck Bruyère

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 18/04/2023


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Si l’antibiothérapie reste le traitement de référence de l’infection urinaire lors des crises, la phytothérapie permet d’en réduire le nombre et a donc toute sa place dans la prise en charge des personnes sujettes aux récidives, estime le Pr Franck Bruyère, chef du service d’Urologie au CHRU de Tours, responsable du comité des maladies infectieuses au sein de l’Association française d’urologie (AFU).

 

TLM : Rares sont les femmes qui n’ont pas expérimenté une cystite au cours de leur vie. Quelle est la prévalence de cette infection en France ?

Pr Franck Bruyère : Nous ne disposons pas de chiffre exact mais on estime à 100 000 le nombre de Françaises touchées chaque année. Parmi elles, une sur quatre récidive au moins une fois dans l’année et une sur dix souffre de ce que l’on appelle une cystite récidivante, avec plus de quatre épisodes par an.

 

TLM : Existe-t-il des profils plus à risque ?

Pr Franck Bruyère : On observe deux pics selon l’âge : chez les jeunes femmes qui débutent leur vie sexuelle et chez les femmes ménopausées. Entre les deux, bon nombre de femmes font ce qu’on appelle des cystites « post-coïtales » contre lesquelles on reste assez démunis : on ignore en effet les mécanismes à l’origine de ces infections urinaires survenant après un rapport sexuel, qui peuvent se produire avec un partenaire mais pas avec un autre.

 

TLM : Existe-t-il des facteurs de risque de récidive ?

Pr Franck Bruyère : Oui, et ces facteurs sont connus : la ménopause, la constipation, les calculs rénaux ou vésicaux, le défaut de miction ou d’hydratation, les bandelettes sous-urétrales qui créent une effraction dans la vessie et les fistules entre le vagin et la vessie ou entre la vessie et le rectum.

 

TLM : Quelles sont les recommandations en matière de diagnostic ?

Pr Franck Bruyère : Le diagnostic d’une cystite aiguë simple se fait sur la seule symptomatologie clinique, qui associe une pollakiurie (envies fréquentes d’uriner), des brûlures à la miction et des douleurs sous-pubiennes. En revanche, jamais de fièvre. Même si les recommandations prônent le recours aux bandelettes urinaires, leur intérêt n’est pas réellement démontré. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) en laboratoire n’est pas davantage utile. Il suffit donc d’interroger la patiente sur ses symptômes pour poser le diagnostic de cystite aiguë simple.

Pour les cystites récidivantes, en revanche, l’examen clinique doit être assorti, de temps en temps, d’un ECBU avec antibiogramme, afin de surveiller l’émergence d’éventuelles résistances aux antibiotiques. Le médecin doit, en outre, rechercher ou éliminer toute autre cause de douleur vésicale : une tumeur vésicale, une mauvaise vidange de la vessie (fréquent en cas de diabète), la présence de calculs dans l’appareil urinaire ou l’effraction dans la vessie des bandelettes de contention à la suite d’une opération de l’incontinence urinaire par exemple.

Un décret est en préparation pour donner aux pharmaciens le droit de délivrer des antibiotiques aux patientes sans ordonnance médicale.

 

TLM : Qu’en pensez-vous ?

Pr Franck Bruyère : Il est important de préciser que ce décret concerne exclusivement la délivrance de fosfomycine, le traitement antibiotique de première intention contre l’infection urinaire basse aiguë ; il ne concerne pas d’autres antibiotiques comme la nitrofurantoïne qui est le traitement de référence de la cystite aiguë à risque de complication. Les médecins ne sont pas contre le transfert de cette compétence aux pharmaciens, à condition qu’ils disposent d’un outil diagnostique simple leur permettant de s’assurer que leur cliente souffre effectivement d’une cystite aiguë simple. Car si le tableau clinique est la plupart du temps typique, il arrive qu’il ne le soit pas ; une erreur de diagnostic à l’occasion d’un épisode unique, ce n’est pas trop grave ; mais une erreur se répétant au moins quatre fois par an chez une femme sujette aux récidives peut avoir des conséquences très sérieuses. Pour éviter ce risque, le Comité national professionnel d’urologie a notamment proposé au ministère de la Santé que les pharmaciens utilisent le questionnaire ACSS (Acute Cystitis Symptom Score) dont la valeur prédictive est bonne.

 

TLM : À côté des antibiotiques, dont on a compris qu’ils représentent le traitement de première intention des crises, la phytothérapie a-t-elle sa place dans la prise en charge des patientes ?

Pr Franck Bruyère : Même si la littérature sur le sujet n’est pas suffisamment forte, les traitements à base de plantes ont une place en prévention des récidives. Les bienfaits de la canneberge (ou cranberry en anglais) ont été démontrés dans certaines études tandis qu’aucune n’a, à l’inverse, prouvé sa dangerosité. En 2017, une étude multicentrique, randomisée, en double aveugle contre placebo, a ainsi mis en évidence l’efficacité de l’association canneberge/propolis sur les récidives de cystites en diminuant par deux le nombre de crises chez un tiers des femmes sujettes aux cystites à répétition causées par E. coli et espaçant le délai entre deux crises. L’efficacité s’estompe néanmoins après trois mois ; cela suppose donc de prescrire cette association en cures et non en continu. Mais, attention, tous les produits proposés par les laboratoires ne se valent pas : alors que les études cliniques portent sur la proanthocyanidine A, rares sont les compléments alimentaires contre les cystites qui contiennent en réalité ce principe actif malgré des allégations tendant à le faire croire.

On ne retrouve pas non plus d’effet similaire avec les jus de fruits ou autres préparations à base de canneberge.

 

TLM : Quelles sont les alternatives pour les autres patientes ?

Pr Franck Bruyère : Le D-mannose, en cure de trois mois, par voie orale, réduirait aussi le nombre de crises ressenties par les femmes. Tout comme l’association du romarin, de la livèche et de la petite centaurée. Mais dans un cas comme dans l’autre, le niveau de preuves des études est assez peu élevé. Certaines femmes rapportent également les bienfaits des infusions de bruyère... pourquoi pas ! Plusieurs pays européens commercialisent avec succès un vaccin contre la cystite —plus précisément un lyophilisat d’E.

coli qui stimule l’immunité. Malheureusement ce produit n’est pas encore disponible en France, mais une étude de phase 2 est en cours sur notre territoire et pourrait, si les résultats sont au rendez-vous, aboutir à sa mise sur le marché.

Il faut cependant rappeler que le traitement des cystites récidivantes passe impérativement par le traitement et donc la recherche des facteurs de risque. Ce qui n’est malheureusement pas systématiquement fait.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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