• Pr. FLIPO : Polyarthrite rhumatoïde: un arsenal thérapeutique riche mais complexe

René-Marc FLIPO

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 01/02/2021


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TLM : Quelle est la stratégie thérapeu- tique dans la polyarthrite rhumatoïde ? Pr René-Marc Flipo : En l’absence de traitement capable de guérir cette mala- die auto-immune, l’objectif est d’obtenir une rémission clinico-biologique. On cherche à supprimer ou à réduire les poussées inflammatoires, et à contrôler les destructions articulaires tout en pré- servant la qualité de vie des patients. Cette stratégie thérapeutique dite « ci- blée » repose sur un traitement pour lut- ter contre les douleurs, associé à un trai- tement de fond, adapté au patient. Le méthotrexate constitue le traitement dit d’ancrage qui permet de contrôler la maladie, autrement dit d’obtenir cette rémission dans un tiers des cas. Ce médi- cament présente le triple avantage d’être bien connu, relativement peu toxique et pas cher. Nous avons également à notre disposition des biothérapies de la classe des anti-TNFa, des anti-IL6 et des anti- CD20 et, depuis trois ans, des inhibiteurs de Janus Kinases (JAK-inhibiteurs). Et dans certaines classes thérapeutiques, entre deux et cinq médicaments.

Cette diversité permet-elle de proposer une prise en charge personnalisée ?
u Oui, dans le sens où nous choisissons le traitement le plus adapté au patient à partir de différents critères : notre expérience, le terrain de survenue de la maladie, la simplicité du traitement, son coût... Il faut entre trois et six mois avant de juger de l’efficacité d’un médicament contre la polyarthrite rhumatoïde. Le taux d’échec primaire atteint jusqu’à 15% des patients, celui d’échec secondaire, autrement dit d’échappement thérapeutique à un à deux ans, dépasse 40 % ! Dans ce contexte, la richesse de l’arsenal thérapeutique, qui offre de multiples al- ternatives, est très précieuse.

uNon, absolument pas. Aujourd’hui, l’efficacité des JAK-inhibiteurs est tout à fait démontrée, quelques études montrent même qu’elle peut être supérieure à celle de l’anti-TNF de référence. En monothérapie, chez les patients qui ne sont plus sous méthotrexate — soit 30 % des malades en moyenne —, les JAK-inhibiteurs ont un niveau d’efficacité tout à fait ex- cellent ; dans cette situation, ils représentent une alternative aux anti-IL6 avec lesquels ils peuvent entrer en compétition. Mais nous sommes dans l’attente de données en « vraie vie » susceptibles de confirmer les résul- tats des essais cliniques. Car la véritable question est de savoir si ces trai- tements resteront efficaces et bien tolérés à un an, deux ans, cinq ans... Du point de vue de leur efficacité, de leur tolérance, ou de leur praticité, les anti-TNF conservent donc toute leur place dans le traitement de la PR, mais elle pourrait certainement se réduire au fil du temps.

L’arrivée de JAK-inhibiteurs risque-t-elle de rendre les anti-TNF obsolètes ?

u Ces médicaments multiplient par 2,5 à 3 le risque de zona — un risque déjà augmenté par la PR, l’âge et la corticothérapie. Dans plus de 9 cas sur 10, il s’agit d’un zona banal. Dès que nous obtiendrons le droit de prescrire le vaccin conjugué contre le zona — en attente d’une AMM en Europe et en France —, ce risque sera supprimé. Les JAK-inhibiteurs exposeraient aussi à un risque de phlébite et d’embolie pulmo- naire... Les données de la littérature sont toutes rassurantes, mais une étude en cours depuis quatre ans a semé le doute ; depuis, il existe une réserve européenne et américaine, qui constitue certaine- ment un frein majeur à la prescription de ces produits en France.

Quelles sont les recommandations en matière de corticothérapie ?
uEn France et en Europe, la corticothé- rapie est indiquée dans les formes débu- tantes de PR. Elle ne doit pas être prolon- gée plus de six mois, en raison des sur- risques de mortalité, et de maladies car- diovasculaires et infectieuses auxquelles elle expose. Mais les recommandations internationales, actualisées lors du der- nier congrès de rhumatologie, seront bientôt d’éviter toute corticothérapie, même au début de la maladie. Tout cela va compliquer bien sûr la prise en charge par l’absence de droit, non pas de pres- crire, mais d’initier des inhibiteurs de JAK ou des biomédicaments.

La PR expose-t-elle à un risque accru de Covid-19 sévère ?
uNon. En mars 2020, les maladies inflammatoires ont effectivement été désignées parmi les maladies susceptibles d’entraîner des formes graves d’infection par le SARS-CoV-2. Mais, depuis, les données issues de plus d’un millier de patients français souffrant d’un rhumatisme inflam- matoire chronique et atteints de Covid-19 ont montré que ces maladies n’étaient pas associées à des formes graves de l’infection, pas plus que leurs traitements — à l’exception de la cortisone à plus de 10 mg/j et du rituximab. Quant au moindre risque que présenteraient les personnes souffrant d’une PR de contracter la Covid-19, c’est parce qu’ils respectent notamment davantage les gestes barrières que la population générale.

u Les personnes immunodéprimées n’ont pas été incluses dans les études, il n’existe donc pas de données spécifiques les concernant, mais elles sont a priori tout à fait éligibles : il s’agit volontiers de personnes âgées (70-75 ans), souffrant d’une maladie potentiellement dysimmunitaire et présentant des comorbidités. La Société française de rhumatologie (SFR), sous l’égide du Pr Jacques Morel (CHU Montpellier), a lancé une étude dite « pivot » sur des patients PR. Je recommanderai donc à mes patients de se faire vacciner.

Propos recueillis par Amélie Pelletier

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