• Pr. FEILLET : Phénylcétonurie: Une prise en charge et un traitement à vie

François FEILLET

Discipline : Pédiatrie

Date : 16/10/2020


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TLM : On parle d’une prévalence de la PCU d’1 cas pour 10 000 naissances en Europe...
Pr François Feillet :
La prévalence de la PCU diffère de pays à pays. La Turquie, par exemple, affiche un taux de 1 cas pour 3 500 naissances, tandis que la maladie se fait beaucoup plus rare dans certains pays du nord de l’Europe. En France la phénylcétonurie touche un nourrisson sur 15 000 dans les formes sévères et 1 sur 10 000 si l’on prend en compte aussi les atteintes modérées.

 

Quand et comment pose-t-on le diagnostic ?

Commençons par rappeler qu’il s’agit d’une maladie génétique liée à un déficit en phénylalanine hydroxylase (PAH) qui permet de transformer la phénylalanine (Phé) en tyrosine. Le déficit en PAH entraîne une augmentation de la phénylalaninémie plasmatique qui devient toxique au niveau cérébral. En France le diagnostic est réalisé par le dépistage néonatal systématique (DNN) à trois jours de vie. Ce dépistage est très performant avec très peu de faux négatifs, ce qui permet une prise en charge dès la naissance des patients dépistés. Par ailleurs, nous réalisons des diagnostics « tardifs » chez des enfants issus de l’immigration et dont les pays n’ont pas mis en place ce dépistage néonatal. Lorsque le diagnostic est posé à l’occasion du dépistage néonatal, les nouveau-nés sont normaux et n’ont qu’une simple anomalie biologique (taux de Phé supérieur à 3 mg/dL selon la norme en vigueur en France). Audessus de 3 mg/dL, le test est dit positif et la prise en charge sera immédiate, afin d’éviter que le nouveau-né ne développe les signes cliniques de la maladie. Le dépistage systématique permet en outre le diagnostic d’autres maladies génétiques également impliquées dans le métabolisme de la phénylalanine, en particulier les déficits du métabolisme du BH4, cofacteur de la PAH.

 

Quels sont les risques chez l’enfant non diagnostiqué ?

Il s’agit essentiellement de troubles neurologiques et de troubles du développement, avec, dans les formes sévères, un tableau autistique, une épilepsie, un retard mental sévère et une atteinte cutanéo-phanérienne (dépigmentation, cheveux inhabituellement blonds, eczéma). Plus le diagnostic sera tardif, moins le traitement permettra de récupérer un état neurologique normal.

 

Qu’en est-il du traitement ?

Des progrès importants ont été réalisés dans la prise en charge de cette maladie. Le traitement repose, depuis les années 60, sur un régime alimentaire pauvre en Phé, qui vise à normaliser les taux de Phé et permettre ainsi un devenir normal pour ces enfants. Parallèlement, et depuis une dizaine d’années, nous pouvons nous appuyer pour les formes modérées sur un médicament, la saproptérine ou BH4, qui parvient à améliorer les taux de Phé en association ou non avec le régime. Les dernières recommandations européennes (2017) et le Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) de mai 2018 prévoient de tester dès la naissance les enfants dépistés avec le BH4 afin de pouvoir proposer ce traitement si les enfants y répondent positivement.

 

En quoi consiste ce régime ?

Il s’agit d’un régime pauvre en Phé. Cet acide aminé est dit essentiel car il n’est pas synthétisable par l’organisme et ne peut être apporté que par l’alimentation. Ainsi, en contrôlant la quantité de Phé apportée par l’alimentation, on peut réguler le taux plasmatique et permettre un développement normal. Ce régime est calculé en trois étapes. On estime d’abord les apports d’aliments naturels qui vont fournir la quantité de Phé nécessaire à la croissance et au développement de l’enfant. Ces apports seront principalement sous forme de produits lactés pour les bébés, de fruits et de légumes pour les enfants et les adultes. Les besoins en protéines seront complétés par des substituts d’acides aminés qui contiennent tous les acides aminés (sauf la Phé) et les vitamines et minéraux nécessaires au bon état nutritionnel du patient. Enfin, on complète les apports énergétiques par des produits hypoprotidiques (produits proches des aliments du commerce mais dont le contenu en protéines est inférieur à 10% de celui des aliments classiques). Les patients ont accès à de multiples produits hypoprotidiques : pâtes alimentaires, riz, couscous, gâteaux, substituts de lait...

 

Sur quelle durée ce traitement doit-il être suivi ?

La prise en charge et le traitement doivent être maintenus à vie, avec des conditions plus strictes dans les premières années de vie et chez les femmes enceintes comme cela est actuellement établi par toutes les recommandations internationales, américaine et européenne. Le contrôle métabolique doit être très strict jusqu’à 12 ans et en cas de grossesse chez une femme PCU (taux < 6mg/dL), il est moins strict après 12 ans (taux de Phé < 10 mg/dL).

 

Quelles évolutions le PNDS 2018, dont vous êtes le coordonnateur, apporte-t-il ?
D’abord, nous prenons acte de l’utilité du BH4 dans les formes modérées de PCU avec la description précise de son protocole d’utilisation. Ensuite, nous réaffirmons la nécessité du suivi à vie des patients, avec des recommandations de contrôle métabolique plus sévères que celles du PNDS 2010. Les taux de Phé doivent être < 6 mg/dL au lieu de 10 mg/dL avant 12 ans et < 10 mg/dL pour les adultes. Nous avons accepté des taux < 15 mg/dL chez les adultes quand ceux-ci n’en ressentent aucune conséquence clinique dans le but d’améliorer la qualité de vie de ces patients. Cette proposition est une manière de réaffirmer que chaque patient est unique et réagit de façon différente au taux de Phé plasmatique. Certains patients tolèrent des taux élevés de Phé sans en avoir des conséquences cliniques majeures, ce qui montre bien la nécessité d’une prise en charge individuelle de cette maladie.

 

Propos recueillis par Maurice Bober

 

 

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