• Pr Éric Bruckert : La mauvaise observance cause d’hypercholestérolémie résistante

Éric Bruckert

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 10/01/2024


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La mauvaise observance thérapeutique, due à une crainte infondée à l’égard des effets secondaires attribués aux statines, représente la principale cause de l’hypercholestérolémie résistante, pointe le Pr Éric Bruckert, médecin endocrinologue à Paris.

 

TLM : Sur quoi repose le traitement d’une hypercholestérolémie ?

Pr Éric Bruckert : La première étape consiste à fixer un objectif thérapeutique en fonction du profil du patient, puis à définir la stratégie thérapeutique. Pour rappel, l’objectif est d’atteindre un taux de LDL-cholestérol (LDL-c) inférieur à 0,55 g/litre chez les patients qui ont un risque majeur ; il devra être inférieur à 0,7 g/l chez ceux qui ont un risque élevé ; et inférieur à 1 g/l en cas de risque intermédiaire. En prévention primaire, la prise en charge se limite à des mesures hygiéno-diététiques, que l’on associe d’emblée à un traitement médicamenteux en prévention secondaire. Ce traitement médicamenteux correspond toujours à une statine, compte tenu du niveau de preuve élevé de son efficacité et de sa tolérance. Il ne faut pas hésiter à prescrire des statines de forte intensité, tant qu’elles sont bien tolérées. La modification du traitement, si elle est nécessaire, s’effectue par paliers de quatre à six semaines. Il faut se rappeler que le titrage des doses de statines, palier par palier, s’accompagne d’une réduction théorique de 6 % du taux de LDL-cholestérol.

 

TLM : À partir de quand considère-t-on qu’une hypercholestérolémie est résistante ?

Pr Éric Bruckert : Lorsque la mise en place d’un traitement hypolipémiant optimal, utilisé à doses maximales, n’a pas permis d’atteindre les objectifs thérapeutiques. Dans ce cas, on lui associe de l’ézétimibe, une molécule qui inhibe l’absorption du cholestérol au niveau de l’intestin. Cette combinaison permet de réduire de 55 % en moyenne le taux de LDL-cholestérol sanguin. Si ce dernier reste trop élevé malgré une bonne observance du traitement, on complète par un inhibiteur de PCSK9 (protéine qui régule l’activité des LDL-récepteurs), ce qui réduit la cholestérolémie d’environ 50 % supplémentaires. L’ézétimibe comme l’anti-PCSK9 sont très bien tolérées — la fréquence des effets indésirables associés à ces molécules est la même qu’avec un placebo. Une limite toutefois : la prescription des anti-PCSK9 ne peut intervenir qu’en prévention secondaire, chez les patients à très haut risque vasculaire (en raison d’une hypercholestérolémie familiale, d’un diabète depuis plus de 10 ans, d’une insuffisance rénale modérée ou de l’existence de plusieurs facteurs de risque), et dont le taux de LDL-c est supérieur à 0,7 g/l. Selon plusieurs études menées en prévention secondaire, 50 à 70 % des patients n’atteignent pas les objectifs fixés.

 

TLM : Quelles sont les causes de ces échecs ?

Pr Éric Bruckert : On distingue deux principales situations susceptibles d’induire une hypercholestérolémie résistante : soit le taux de LDL-cholestérol initial est particulièrement élevé, soit l’observance thérapeutique est insuffisante.

Comme dans toute maladie chronique, il s’agit là d’un problème majeur, la moitié des patients ne suivant pas correctement leur traitement. En cause, une défiance à l’égard des statines, qui pâtissent encore dix ans après de la polémique qui a entaché leur réputation. Une certaine réticence existe aussi chez bon nombre de médecins, qui préfèrent ne pas prescrire cette classe de médicaments. Aujourd’hui, on qualifierait de « fake news » les informations qui ont circulé sur les effets secondaires des statines, mais à l’époque aucun système n’avait été mis en place pour apporter la contradiction et rétablir la vérité. Or, les multiples études internationales et le recul de plus de 20 ans de pratique ont permis de démontrer que dans 9 cas sur 10, les effets secondaires attribués aux statines sont en réalité des effets nocebo.

 

TLM : Quel est l’impact sur la prise en charge de l’hypercholestérolémie en France ?

Pr Éric Bruckert : Elle s’est largement dégradée. J’en veux pour preuve les conclusions de l’étude ESTEBAN* : en 2015, près d’un Français sur cinq avait un taux de LDL-c >1,6 g/l et 6 % un taux de LDL-c >1,9 g/l, des chiffres qui n’ont pas baissé depuis 2006. En revanche, la proportion d’adultes déclarant avoir déjà eu un bilan lipidique et celle des adultes traités par hypolipémiants ont diminué. Il semblerait que beaucoup de médecins ont baissé les bras devant la réticence, voire l’opposition, de leurs patients à prendre des statines. Il est pourtant impératif de les convaincre de (pour)suivre leur traitement ; et le seul moyen d’y parvenir c’est de leur apporter toutes les informations objectives concernant ces médicaments. Cela prend du temps et nécessite que les praticiens soient eux-mêmes convaincus de leur intérêt, mais c’est un enjeu majeur de santé publique. Les accidents vasculaires cérébraux et les accidents coronaires, qui représentent les deux principales complications de l’hypercholestérolémie, sont les première et deuxième causes de mortalité en France. La plupart de ces accidents pourraient être évités. Il y a urgence à mieux prendre en charge les patients.

 

TLM : Quelle surveillance mettre en place autour des patients traités pour une hypercholestérolémie ?

Pr Éric Bruckert : Elle consiste essentiellement en un bilan lipidique pour s’assurer que l’objectif thérapeutique est atteint et maintenu. Même si les effets indésirables hépatiques sont rares, on pratique généralement un dosage des transaminases à trois mois — mais il n’y a pas de recommandation officielle en la matière. On procède ensuite à un bilan lipidique annuel.

 

TLM : Quelles sont les perspectives thérapeutiques en matière de prise en charge de l’hypercholestérolémie ?

Pr Éric Bruckert : On attend la commercialisation prochaine de l’évinacumab, un inhibiteur de l’angiopoïétine de type 3 (ANGPTL3), pour le traitement d’appoint intraveineux de l’hypercholestérolémie familiale homozygote chez les patients âgés de 12 ans et plus. Pour les autres formes d’hypercholestérolémie, on espère l’arrivée, à l’horizon 2026-2027, d’un nouvel antiPCSK9, inclisiran, qui nécessite seulement deux injections sous-cutanées par an contre une injection par mois ou tous les 15 jours avec la molécule actuelle.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

* Cholestérol LDL chez les adultes en France métropolitaine : concentration moyenne, connaissance et traitement en 2015, évolutions depuis 2006. Santé Pulique France (BEH 37, 6 novembre 2018, p.710-718)

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