• Pr DUTEILLE : Un regard neuf sur les Plaies et cicatrisations

Franck DUTEILLE

Discipline : Dermatologie

Date : 10/01/2022


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Le Congrès conjoint Journées Cicatrisations & EWMA se tiendra à Paris du 1er au 3 février 2022. L’occasion de faire le point sur les avancées dans le traitement et la prise en charge des Plaies et cicatrisations avec le Pr Franck Duteille, secrétaire général de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations.

 

TLM : Quelles sont les recommandations attendues lors du prochain Congrès conjoint Journées de Cicatrisations & EWMA de février prochain ?

Pr Franck Duteille : L’actualité Covid-19 sera bien sûr très présente lors de ce congrès. L’accent sera surtout mis sur la nécessité de développer la télémédecine et la télé-expertise. Nous étions déjà conscients de l’importance de ces sujets. Avec la crise sanitaire, nous avons pu explorer le potentiel des nouvelles technologies pour suivre l’évolution des plaies à distance. Cependant, la télémédecine et la télé-expertise ne doivent pas remplacer le contact humain avec le corps médical, notamment en cas de plaies chroniques qui nécessitent un suivi sur le long terme. Le Congrès est aussi l’occasion de partager les bonnes pratiques sur de multiples sujets et de faire le point sur différents projets de recherche. A titre personnel, je présenterai l’étude Vistacare sur laquelle je travaille depuis dix-huit mois au CHU de Nantes, qui consiste en une « mise sous cloche » des plaies. Les membres inférieurs concernés par des plaies infectées sont positionnés dans une sorte de boîte transparente, qui nous permet de régler la température, l’oxygène et l’hygrométrie. Il n’y a donc pas de pansement, d’où une visibilité permanente de la plaie. Les premiers résultats prouvent que cette méthode réduit la douleur chez le patient, favorise la détersion et permet d’obtenir plus facilement des bourgeons. La charge infectieuse et bactérienne diminuerait aussi, mais cette observation reste à objectiver. La mise sous cloche apparaît comme une solution prometteuse en cas d’échec des prises en charge classiques.

 

TLM : Il apparaît que la prévalence des escarres chez les patients Covid+ est de 17,2 % chez les patients hospitalisés. Comment prévenir les risques et prendre en charge ces escarres ?

Pr Franck Duteille : Les escarres transitoires surviennent chez des patients qui ont conservé une certaine mobilité. Elles se résorbent assez facilement, en suivant les procédures classiques. La situation est plus compliquée chez les patients qui ont peu de motricité et les patients âgés. La prévention et la prise en charge des escarres ne peut se faire qu’avec un personnel suffisant, ce qui n’est pas le cas en période de Covid-19. Des circuits de soins ont été définis, mais leur mise en œuvre est compliquée dans le contexte actuel. L’une des problématiques liées à la crise sanitaire est aussi la déprogrammation des interventions en bloc opératoire. Certains patients ont vu leur opération repoussée à plusieurs reprises, ce qui a évidemment des conséquences dommageables.

 

TLM : Quelles sont les principales avancées en matière de pansements et de matériel médical qui seront présentées lors du Congrès ?

Pr Franck Duteille : Depuis des décennies, les laboratoires continuent d’innover, au niveau des matériaux, des formes, des tailles, proposant des pansements plus pratiques, plus résistants, mieux tolérés. Les gammes sont très variées, mais il n’y a pas eu de nouvelles classes thérapeutiques. Il s’agit plus d’une évolution que d’une révolution. Dans les hôpitaux, le choix des pansements n’est généralement pas du ressort du praticien, mais du service des achats, qui passe des commandes en fonction des spécificités et des besoins des services.

 

TLM : Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge des plaies et cicatrisations ?

Pr Franck Duteille : Le médecin généraliste a une place fondamentale. Avec le vieillissement de la population, les plaies et les cicatrisations constituent une problématique de santé publique qui concerne toutes les spécialités, tous les acteurs, libéraux comme hospitaliers. Les établissements de santé ne pourront plus prendre en charge les plaies en hospitalisant pendant une période longue les patients. Le relais devra donc être pris par le médecin libéral qui constituera la pierre angulaire de la prise en charge. L’organisation en réseau devient essentielle, mais elle n’est pas encore assez développée. Certains patients font du nomadisme médical, passant d’un professionnel de santé à l’autre, sans réponse globale. Les réseaux devront fédérer tous les acteurs de la plaie et devenir incontournables.

 

TLM : Les médecins généralistes sont-ils assez formés à la prise en charge des plaies et cicatrisations ?

Pr Franck Duteille : Non. Pendant longtemps, le sujet des plaies et des cicatrisations n’intéressait pas grand monde. Il ne représente que quelques heures de cours pendant les six années d’études de médecine. Les choses changent progressivement. La formation médicale continue constitue une clef pour une meilleure prise en charge. En complément des DU existants, nous proposons depuis trois ans un DIU de professionnalisation, partagé entre Montpellier, Nantes et Paris. Il permet de maîtriser les gestes techniques, mais aussi d’apprendre à coordonner et gérer un réseau. Cette formation s’adresse aussi bien aux médecins qu’aux infirmiers.

 

TLM : Au-delà de la formation du médecin, quid du patient ? Est-il assez éduqué à sa prise en charge ?

Pr Franck Duteille : Le patient a un rôle essentiel à jouer dans sa guérison. Il faut déjà qu’il écoute ce que les médecins lui disent, qu’il le comprenne et l’applique. L’hygiène de vie est notamment très importante. Parfois, nous avons un peu le sentiment de soigner certaines personnes malgré elles, ce qui n’est pas efficient. En Europe du Nord, des centres de plaie dispensent des cours d’hygiène, proposent de rencontrer des professionnels de santé pour comprendre la maladie. En France, l’éducation thérapeutique liée aux plaies et aux cicatrisations n’est pas du tout développée. J’espère qu’elle se déploiera notablement dans les prochaines années car elle est importante, aussi bien dans le cadre de la prévention que de la prise en charge.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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