• Pr Dortet : Lutter contre l’antibiorésistance par la prescription du bon antibiotique

Laurent Dortet

Discipline : Infectiologie

Date : 17/01/2023


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La bonne utilisation des antibiotiques est essentielle pour maîtriser la dissémination de la résistance, juge le Pr Laurent Dortet, du service de Bactériologie du CHU KremlinBicêtre et directeur du Centre national de référence de la Résistance aux antibiotiques.

Pour ce faire, estime-t-il, les antibiotiques doivent être utilisés au bon moment, à bon escient et à la bonne dose.

 

TLM : Quels sont les problèmes concrets liés au développement de l’antibiorésistance ?

Pr Laurent Dortet : L’antibiorésistance est un problème de santé publique majeur. Aujourd’hui, en France, cette antibiorésistance a un impact direct sur la manière dont on prend en charge les patients présentant une infection bactérienne. Quand l’antibiorésistance augmente pour un germe donné, les protocoles thérapeutiques habituels pour traiter cette infection deviennent inadaptés.

Nos schémas probabilistes alors ne sont plus bons et il faut développer des alternatives. Certains pathogènes sont plus préoccupants car les résistances sont telles qu’il existe de grosses difficultés pour trouver l’antibiotique adapté. Nous ne sommes pas encore, pour l’instant, confrontés à des « pan-résistances », c’est-à-dire à des bactéries qui résisteraient à tous les antibiotiques, sans alternative thérapeutique. Mais Escherichia coli, responsable notamment d’infections urinaires et digestives communautaires, devient résistant à un nombre croissant d’antibiotiques. De même Klebsiella pneumoniae, qui provoque à l’hôpital des infections respiratoires, digestives, des septicémies, résiste à des antibiotiques auxquels cette bactérie était encore sensible quelques années auparavant. Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter baumannii responsables d’infections nosocomiales, notamment urinaires et respiratoires en unités de soins intensifs, posent désormais des vraies difficultés thérapeutiques.

Dans certaines situations nous sommes obligés de « bricoler » avec des associations d’antibiotiques pour traiter les patients.

 

TLM : Pourquoi les bactéries deviennent-elles de plus en plus résistantes ?

Pr Laurent Dortet : L’utilisation inadaptée des antibiotiques est la première cause de sélection des souches résistantes. Un traitement antibiotique détruit les bactéries sensibles, mais pas les souches résistantes qui peuvent alors circuler.

La bonne utilisation des antibiotiques est essentielle pour maîtriser la dissémination de la résistance. Les antibiotiques doivent être utilisés au bon moment, à bon escient et à la bonne dose. La campagne de communication de la CNAM « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a d’ailleurs eu un impact avec une baisse des prescriptions ayant notamment abouti à une diminution de la résistance aux pénicillines chez le pneumocoque.

Malheureusement, dans certains pays en voie de développement, les antibiotiques sont vendus sans régulation, à des dosages non contrôlés, ce qui favorise le développement de souches résistantes. Ces germes multirésistants sélectionnés par un mésusage des antibiotiques colonisent naturellement les humains (tube digestif et autres flores) et passent les frontières au gré des voyages et des rapatriements sanitaires.

 

TLM : Comment affronter ce surcroît de résistance ?

Pr Laurent Dortet : Les bactéries résistantes ne connaissent pas les frontières. Le problème de l’antibiorésistance doit être géré à l’échelle mondiale. Dans tous les pays, y compris ceux en voie de développement, il faut travailler pour un bon usage des antibiotiques. Partout dans le monde, il faut lutter contre la dissémination des bactéries transmises souvent par manuportage. Quand l’hygiène des mains s’améliore, comme pendant l’épidémie de Covid, la transmission des bactéries, y compris les souches résistantes, diminue. Dans la mesure où le taux de bactéries résistantes circule à des niveaux très élevés dans les pays en voie de développement, il faut aider ces pays à construire des circuits d’hygiène adaptés, en particulier le « tout à l’égout », et à développer l’hygiène hospitalière pour diminuer la circulation des souches résistantes.

 

TLM : Et dans les pays occidentaux ?

Pr Laurent Dortet : L’une des stratégies pour lutter contre la diffusion des bactéries hautement résistantes émergentes est d’identifier rapidement les patients porteurs pour éviter la transmission en milieu hospitalier. Les malades les plus fragiles, en réanimation, doivent bénéficier d’une recherche systématique de portage de bactéries multirésistantes.

De même, les patients hospitalisés revenant d’un pays à forte prévalence de souches résistantes devraient bénéficier de tels dépistages. Pour ceux hospitalisés et porteurs d’une bactérie résistante, des mesures d’isolement spécifiques doivent être mises en place pour réduire le risque de diffusion à l’hôpital. De surcroît, il faut soutenir les équipes d’hygiène hospitalière souvent oubliées et pourtant maillon fort de la lutte contre l’antibiorésistance.

 

TLM : Existe-t-il une solution qui consisterait à développer de nouveaux antibiotiques ?

Pr Laurent Dortet : Nous avons très peu de nouveaux antibiotiques pour affronter cette résistance. Il y a un vrai désengagement de l’industrie pharmaceutique sur ce sujet. Jusque dans les années 1980, l’industrie a répondu à cette problématique, en produisant régulièrement de nouveaux antibiotiques. Actuellement, le secteur de l’antibiothérapie n’est pas rentable. Les coûts de développement d’un nouveau médicament sont colossaux, mais le retour sur investissement est mauvais. Il faut revoir le modèle économique des antibiotiques qui ne doivent pas être considérés comme des médicaments classiques et mettre en œuvre des stratégies pour que l’industrie pharmaceutique retrouve un attrait à développer des nouvelles molécules.

 

TLM : Quel est le rôle du généraliste dans la lutte contre l’antibiorésistance ?

Pr Laurent Dortet : Le seul moyen en ville de contribuer à la lutte contre l’antibiorésistance réside dans la prescription du bon antibiotique, à la bonne dose, pour la durée efficace la plus courte et à bon escient. Il faut également revoir la vison des patient vis-à-vis des médecins. En effet, en France, un patient atteint d’une infection virale (ne nécessitant pas d’antibiotiques) n’est « content » que s’il sort de chez son médecin avec une ordonnance. Dans les pays du nord de l’Europe, c’est l’inverse. Il faut aussi inciter les médecins à utiliser des tests rapides, pour les angines, la grippe, le Covid… Ces tests qui distinguent les maladies bactériennes nécessitant un traitement antibiotique des maladies virales pour lesquelles les antibiotiques ne servent à rien.

 

TLM : Que pensez-vous de la Journée européenne d’information sur les antibiotiques du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies qui a eu lieu récemment ?

Pr Laurent Dortet : Il n’y a pas d’actions inutiles en matière de lutte contre l’antibiorésistance. Il faut —ce sont les bases de la pédagogie— répéter et répéter les choses, si l’on veut changer les habitudes inadaptées…

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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