• Pr Dominique Brémond-Gignac : Protéger le plus possible les enfants de la myopie…

Dominique Brémond-Gignac

Discipline : Ophtalmologie

Date : 23/10/2023


  • 423_photoParole_131_PE_Bremond_Gignac.jpg

Si rien n’est fait pour ralentir l’expansion de la myopie chez les enfants, alerte le Pr Dominique Brémond-Gignac, chef du service d’Ophtalmologie de l’hôpital Necker (Paris), c’est plus de la moitié de la population française adulte qui sera affectée dans les prochaines années. Revue des solutions préventives et opérantes…

 

TLM : Pourquoi faut-il se préoccuper de l’augmentation des cas de myopie chez les jeunes enfants ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : La myopie, en particulier la myopie forte, est associée à un risque accru de complications oculaires parfois très graves, avec un risque de déchirures ou décollement de la rétine, un risque de cataracte ou de glaucome précoce ou même un strabisme. L’œil myope est trop long. Il présente des fragilités. Par ailleurs, le fait de porter des lunettes avec des verres épais entraine une perte de qualité de vie, avec des difficultés lors de la pratique du sport et un impact majeur quand l’enfant, l’adolescent ou l’adulte perd ses lunettes et devient alors totalement handicapé. La myopie constitue un vrai enjeu de santé publique.

 

TLM : Cette augmentation de la myopie estelle bien documentée ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Dans certains pays, comme Singapour ou la Corée du Sud, 95 % des jeunes adultes sont myopes. De manière générale, selon les prévisions, 50 % de la population mondiale sera myope dans 20 ans. Pour ce qui est de la France, 20 % de la population souffraient de myopie il y a 20 ans, ils sont aujourd’hui entre 35 et 40%. Plus alarmant, la progression de la myopie forte suit la même tendance. Elle affectait environ 2% de la population en 2000, elle en touche 4 % aujourd’hui et dépassera bientôt 10 % si rien n’est fait pour ralentir cette évolution. L’enjeu aujourd’hui c’est d’essayer de protéger le plus possible les enfants de la myopie.

 

TLM : Quelles sont les causes de cette évolution ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : La myopie est la conséquence d’un œil trop grand. Les raisons peuvent être génétiques : quand un parent est myope, le risque est augmenté pour l’enfant. L’origine ethnique joue aussi un rôle, les populations asiatiques étant plus sensibles à ce risque. Mais la taille de l’œil est également dépendante de facteurs environnementaux. Les enfants passent de plus en plus de temps devant des écrans, smartphones, tablettes, ordinateurs, en vision de près et de moins en moins de temps à l’extérieur, exposé à la lumière du jour. On a démontré que l’exposition au moins deux heures par jour à la lumière du jour avait un effet protecteur.

Une exposition trop longue à la vision de près a un effet délétère sur l’œil. Enfin, le fait que les enfants se couchent souvent tard a aussi un impact péjoratif.

 

TLM : Les parents font-ils réaliser un examen oculaire de leur enfant, pour dépister la myopie ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Nous avons mené une étude IPSOS et avons pu observer que la population n’est pas consciente des risques de la myopie. La myopie débute en général vers 5/6 ans, parfois plus tard, vers 10/12 ans, parfois plus tôt. Une étude récente conduite par le Pr Nicolas Leveziel du CHU de Poitiers sur une vaste population de jeunes portant des lunettes a montré que la myopie progresse à partir de l’âge de six ans, s’aggrave à l’adolescence et s’arrête normalement d’évoluer vers l’âge de 20-25 ans. La myopie progresse, mais il existe depuis peu des solutions pour faire face à ce problème. Il faut donc la dépister tôt, dès 5 ou 6 ans.

 

TLM : Quelles sont les mesures qui permettraient de freiner cette évolution ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Plusieurs stratégies sont aujourd’hui disponibles pour freiner la myopie des enfants, environnementales et optiques. D’abord, certaines mesures environnementales de prévention doivent être recommandées aux parents pour leurs enfants. En prévention, je dirais que dès le plus jeune âge il faut éviter de sur-stimuler la vision de près. Ainsi, les parents doivent encourager l’activité en extérieur au moins deux heures par jour. Le temps passé devant les écrans doit être restreint. Il est nécessaire de réduire le temps passé en vision de près, y compris pendant les devoirs : il faut apprendre aux enfants à éloigner autant que faire se peut, les livres et les cahiers, leur suggérer de lever les yeux régulièrement de leur travail de près pour regarder au loin pendant quelques instants. Enfin, le fait de coucher les enfants plus tôt représente aussi un facteur de prévention.

 

TLM : Quels sont les moyens optiques existants aujourd’hui pour limiter l’évolution de la myopie ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Les traitements optiques reposent sur le principe de la défocalisation. Les verres défocalisants envoient une partie de la lumière en avant de la rétine et adressent ainsi un signal d’arrêt à la croissance de l’œil myope. Ces verres défocalisants « anti myopie » peuvent être portés dès l’âge de quatre/cinq ans. Ils sont faciles à accepter et permettent une freination de la myopie de 60 %. Il existe aussi des lentilles basées sur le même principe de « défocalisation optique ». Elles sont portées dans la journée, et sont utilisables dès l’âge de 8-10 ans, avec des règles rigoureuses d’entretien. Il existe également des lentilles dites orthokératologiques à porter seulement la nuit et à retirer le matin au réveil. Il n’est pas nécessaire ensuite de porter des lunettes correctrices dans la journée. Ces lentilles corrigent la myopie et la freinent en effectuant un remodelage de la cornée pendant la nuit. L’atropine microdosée à la dose d’une goutte par jour dans l’œil, est une approche particulièrement intéressante et simple, notamment pour les myopies très évolutives. Tous ces traitements permettent de freiner la myopie de 60 à 70 %.

 

TLM : Comment choisir parmi ces différents traitements ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Le choix du traitement dépend des enfants et des parents. Les verres défocalisants sont les plus simples à utiliser. L’atropine microdosée serait la méthode la plus efficace mais certains enfants ne supportent pas les gouttes dans les yeux. Pour un adolescent très sportif, l’orthokératologie est une bonne solution. Aujourd’hui, environ 100 000 enfants en France bénéficient de verres correcteurs défocalisants. Cela reste très nettement en dessous des besoins.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

  • Scoop.it