• Pr Dominique Bremond-Gignac : Myopie : On peut freiner son évolution !

Dominique Bremond-Gignac

Discipline : Ophtalmologie

Date : 17/01/2023


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La prévalence de la myopie est en forte augmentation. Souvent considérée comme une maladie bénigne, elle peut entraîner des complications graves, alerte le Pr Dominique Bremond-Gignac, chef du service d’Ophtalmologie à l’Hôpital universitaire Necker-Enfants malades.

 

TLM : Certains spécialistes annoncent une « épidémie de myopie »… Qu’en est-il dans la réalité ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : On observe depuis une vingtaine d’années une véritable explosion de la myopie.

Dans certains pays d’Asie comme la Corée du Sud ou Singapour, 90% des jeunes adultes sont myopes. Si le phénomène est particulièrement accentué en Asie, la même tendance s’observe aux Etats-Unis et en Europe. En France, on compte quelque 35 % de myopes, contre 20 % environ au début des années 2000. A ce rythme-là, en 2050 la moitié des Européens seront concernés1. Plus alarmant, la progression de la myopie forte suit la même tendance.

Affectant environ 2% de la population en 2000, elle en touche 4% aujourd’hui et dépassera bientôt 10 % si rien n’est fait pour freiner cette évolution. Or la myopie n’est pas seulement un problème de vision. C’est un authentique problème de santé publique.

L’œil myope est trop long ; il présente des fragilités. La myopie forte entraîne des complications graves comme les déchirures et décollements de rétine, le glaucome, la cataracte précoce, ou encore des maladies de la macula. Elle favorise également le strabisme et bien d’autres troubles. Quelle que soit la maladie, l’œil myope est de moins bon pronostic : ainsi pour un glaucome le traitement sera souvent moins efficace sur un œil myope que sur un œil amétrope. Cet aspect de la maladie est méconnu des familles qui pensent qu’il « suffit » de porter des lunettes ou de se faire opérer. Or l’opération de chirurgie réfractive corrige la réfraction mais ne « guérit » pas la myopie. Un œil opéré reste un œil myope avec toutes les complications dont cet excès de longueur est responsable.

 

TLM : Connaît-t-on les causes de cette « épidémie » ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Divers facteurs favorisants ont été identifiés : le manque d’exposition à la lumière naturelle, l’utilisation des écrans et la sollicitation excessive de la vision de près ou encore la sédentarité. A cela s’ajoute l’hérédité. Si l’un des parents ou les deux sont myopes, les risques pour l’enfant de le devenir sont singulièrement accrus. L’origine ethnique joue aussi un rôle, les populations asiatiques étant plus sensibles à ce risque.

 

TLM : Si l’on connaît les causes, on peut donc agir sur elles…

Pr Dominique Bremond-Gignac : Bien évidemment ! Plus une myopie est importante, plus le risque de complication augmente. Une seule dioptrie d’écart fait la différence ! Il est donc essentiel de dépister au plus tôt les enfants à risque et d’intervenir de manière à freiner l’évolution de la myopie.

 

TLM : Quel rôle joue le généraliste ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Il n’est habituellement pas équipé pour effectuer un bilan visuel complet ; en revanche il peut alerter. En observant l’enfant ou en interrogeant les parents, il peut soupçonner l’existence d’un déficit visuel et orienter vers l’ophtalmologiste ou l’orthoptiste. Le généraliste peut aussi sensibiliser à l’impact des écrans et aux différentes mesures environnementales à mettre en place pour préserver la vision de l’enfant.

 

TLM : A partir de quel âge agir ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Le plus tôt possible car une fois la myopie installée, on ne peut pas « faire rétrécir l’œil » ! Toute dioptrie perdue l’est définitivement ! Il faut donc dépister tôt (dès cinq ou six ans). Une étude récente conduite par le Pr Nicolas Leveziel du CHU de Poitiers sur une vaste population de jeunes portant des lunettes a montré que la myopie progresse à partir de l’âge de six ans, s’aggrave à l’adolescence et s’arrête normalement d’évoluer vers l’âge de 20-25 ans2. Cette période, est donc cruciale. En prévention, je dirais que dès le plus jeune âge il faut éviter de surstimuler la vision de près. On voit parfois des bébés de neuf mois jouer sur le téléphone portable de leurs parents. C’est une catastrophe. Les écrans devraient être proscrits chez l’enfant avant l’âge de deux ou trois ans ! Il faut aussi favoriser les comportements protecteurs : s’exposer à la lumière du jour sans oublier la protection solaire, jouer à l’extérieur, utiliser les écrans avec modération, et se coucher tôt car l’exposition durable à la lumière électrique favorise la myopie.

 

TLM : Et en matière de traitements ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Les options sont nombreuses3 : lunettes ou lentilles défocalisantes, orthokératologie, atropine microdosée… A Necker nous réalisons une étude sur les verres défocalisants. Cette étude semble confirmer la capacité de ces verres à freiner l’évolution de la myopie. Les verres défocalisants sont des optiques comportant de multiples microlentilles. Les verres correcteurs standard focalisent les rayons de la vision centrale directement sur la rétine, mais focalisent simultanément les rayons périphériques en arrière de la rétine.

L’œil réagit en augmentant sa longueur axiale. Le verre défocalisant évite cet effet délétère. Il en existe de plusieurs types. Les deux plus anciens — qui bénéficient respectivement de sept et trois ans de recul— ont démontré leur efficacité. Les lentilles défocalisantes fonctionnent sur le même principe. Ces lentilles journalières, jetables, conviennent bien aux enfants à partir de l’âge de 8-10 ans. La première de ces lentilles dispose d’un recul de sept ans avec efficacité clinique. Autre approche, l’orthokératologie consiste à porter une lentille rigide pendant la nuit ; cette dernière modifie transitoirement la courbure de l’œil et corrige la myopie pendant la journée suivante. Coté médicaments, l’atropine microdosée est une approche particulièrement intéressante pour les myopies très évolutives.

 

TLM : Comment choisir le traitement ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Tout dépend de l’enfant. Les verres défocalisants sont souvent les plus simples à adapter. L’atropine microdosée est la méthode la plus efficace mais certains enfants ne supportent pas les gouttes dans les yeux et si le traitement n’est pas effectué correctement il est inefficient. Pour un adolescent très sportif, qui sera gêné par l’utilisation diurne de lunettes ou lentilles, l’orthokératologie est une bonne solution. Bref, chaque cas est différent. On réfléchit activement à une thérapie combinant ces différentes approches.

Propos recueillis

par Cendrine Barruyer-Latimier

1. Etude du Brien A. Holden Vision Institute (BHVI).

2. Bremond-Gignac D. Myopie de l’enfant. Med Sci (Paris). 2020 Aug-Sep;36(8-9):763-768.

3. Tricard D, Marillet S, Ingrand P, Bullimore MA, Bourne RRA, Leveziel N. Progression of myopia in children and teenagers: a nationwide longitudinal study. Br J Ophthalmol. 2022 Aug;106(8):1104-1109.

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