Pr DINH-XUAN : L’apport des biothérapies dans l’asthme sévère à éosinophiles
Discipline : Pneumologie
Date : 10/10/2021
Une fois diagnostiqué, l’asthme sévère à éosinophiles donne lieu à divers modes de prises en charge, parmi lesquels les biothérapies qui se révèlent une voie thérapeutique efficace. Le point avec le Pr Anh Tuan Dinh-Xuan, chef du service d’Explorations fonctionnelles de l’hôpital Cochin à Paris.
TLM : Qu’est-ce que l’asthme sévère à éosinophiles ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : L’asthme sévère à éosinophiles est un concept qui date de plus de 60 ans. Une publication datant de 1958 de Morrow Brown dans la revue The Lancet montre que, contrairement à ce que pensaient la plupart des leaders d’opinion à l’époque, les corticoïdes pouvaient être efficaces dans l’asthme. Le Dr Brown a notamment montré que plus les patients atteints d’asthme présentaient un taux élevé d’éosinophiles élevé dans leurs expectorations, meilleure était la réponse aux corticoïdes. En réalité, Frances Rackemann avait déjà dès la fin des années 1940 distingué l’asthme extrinsèque, associé à des phénomènes allergiques, de l’asthme intrinsèque, lié à des causes « internes » comme par exemple le stress psychologique. Depuis la publication de Morrow Brown, le taux d’éosinophiles est considéré comme un marqueur de l’asthme allergique mais cette notion fut quelque peu oubliée dans les années 1980. Le sujet est revenu récemment au centre de la prise en charge de l’asthme lorsque l’on s’est rendu compte que les formes sévères d’asthme résistantes aux traitements par de fortes doses de corticoïdes inhalés et/ou per os, répondaient aux biothérapies à condition que ces malades présentaient un taux élevé d’éosinophiles.
TLM : Quels sont les examens qui conduisent aujourd’hui à diagnostiquer un asthme à éosinophiles ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan :Aujourd’hui, l’asthme à éosinophiles se diagnostique notamment lors d’une prise de sang et non plus lors d’une expectoration induite, souvent difficile à réaliser tant par la gêne occasionnée que par les quantités insuffisantes d’expectorations recueillies chez certains asthmatiques peu expectorants. Il a été montré que le taux d’éosinophiles dans le sang est un reflet acceptable de ce qui se passe dans les bronches. Par ailleurs, outre la numération formule sanguine capable de repérer une hyperéosinophilie, un autre examen, la mesure du monoxyde d’azote dans l’air expiré (FeNO), apporte des informations complémentaires intéressantes dans ces cas d’asthme allergique à éosinophiles.
TLM : Quel est l’intérêt de la mesure de la concentration fractionnaire du monoxyde d’azote dans l’air expiré ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : La FeNO est un marqueur de l’inflammation allergique dans l’asthme. C’est l’acronyme de la concentration fractionnaire (F) du monoxyde d’azote (NO) dans l’air expiré (e). La mesure de la FeNO est un examen non invasif donnant des résultats reproductibles et immédiats. Elle est facilement réalisable chez l’adulte et l’enfant en âge scolaire. La FeNO permet d’évaluer de façon simple et non invasive l’inflammation bronchique de type 2. Dans l’asthme à éosinophiles, des cellules inflammatoires, comme les lymphocytes TH2, jouent un rôle central. D’autres cellules immunitaires comme les cellules ILC2 jouent également un rôle important, ce qui explique la préférence actuelle pour l’appellation « inflammation de type 2 » (2 comme TH2 et ILC2) pour désigner cette voie endotypique importante dans l’asthme sévère.
TLM : Quels sont les signes qui permettent d’évoquer un asthme sévère ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : Lorsqu’un patient continue à avoir des symptômes graves d’asthme depuis au moins six mois à un an alors qu’il est traité de manière optimale et qu’il observe bien son traitement, il faut évoquer un asthme sévère. Un traitement bien mené repose notamment sur la prise régulière de corticoïdes par voie inhalée ou même parfois par voie orale, associée aux bêta-2-mimétiques de longue durée d’action. Le suivi médical est considéré comme adéquat lorsque le patient consulte régulièrement son médecin, avec un bilan clinique et des explorations fonctionnelles respiratoires régulières. Si, malgré ce suivi et le recours fréquent à des corticoïdes à fortes doses, l’état du patient se dégrade, un changement dans la prise en charge doit être envisagé. Dans ces conditions, il faut envisager l’utilisation des biothérapies. Attention : avant toute modification thérapeutique, il faut s’assurer de l’observance correcte du traitement. Il faut relever d’ailleurs qu’il y a de plus en plus de patients souffrant d’asthme sévère qui échappent au traitement classique, malgré une bonne prise en charge. L’asthme est une maladie inflammatoire bronchique dont on n’arrive pas à guérir, mais que l’on peut contrôler, notamment par des corticoïdes inhalés chez la plupart des patients asthmatiques. Chez certains d’entre eux ce traitement malheureusement ne suffit plus, d’où le recours aux biothérapies dont l’efficacité dépend d’un travail de phénotypage rigoureux, d’où l’importance des biomarqueurs de l’inflammation de type 2 vus précédemment.
TLM : Quelles sont les autres modes de prise en charge ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : Après s’être assuré que les traitements adéquats ont été prescrits et suivis, après avoir vérifié qu’il s’agit bien d’un asthme sévère à éosinophiles, des traitements plus spécifiques peuvent être mis en œuvre. Certaines biothérapies permettent désormais de traiter efficacement l’asthme sévère à éosinophiles. Ces traitements biologiques reposent sur des anticorps monoclonaux qui ciblent certaines interleukines 4, 5, et 13 (IL-4, IL-5 et IL-13), en plus des anti-IGE, traitement biologique disponible depuis 10 ans. Avant d’initier ces biothérapies, le bilan biologique doit aussi confirmer qu’il s’agit bien d’un asthme associé à l’inflammation de type 2, identifiable par des valeurs élevées d’éosinophiles et de la FeNO.
TLM : Pourquoi mesurer la concentration fractionnaire du monoxyde d’azote ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : L’indication de certaines biothérapies, notamment celle utilisant les anti-IL-4/IL-13, est conditionnée par des valeurs élevées de la FeNO. Sa diminution au décours d’un traitement avec les anticorps monoclonaux anti-IL-4 et anti-IL-13 est observée lorsqu’il existe une amélioration des symptômes cliniques et de la fonction respiratoire. La mesure de la FeNO avant un traitement avec les anti-IgE ou les anti-IL-5 pourrait également être envisagée, bien que non obligatoire, pour prédire leur efficacité.
TLM : Ces traitements sont-ils efficaces ?
Pr Anh Tuan Dinh-Xuan : Chez des patients souffrant d’asthme sévère à éosinophiles résistant aux corticoïdes, ces traitements sont très utiles. Ils permettent de rétablir le contrôle de l’asthme sévère, tout en réduisant l’usage des corticoïdes chez certains patients asthmatiques. Au plan pratique, en fonction de la molécule utilisée et selon le patient, ils sont prescrits sous forme d’injection à une fréquence allant d’une fois tous les quinze jours à une fois tous les deux mois. Ce sont des traitements vraiment innovants.
Propos recueillis
par le Dr Martine Raynal ■