• Pr DERAY : Prévenir et traiter un excès de potassium dans le sang

Gilbert DERAY

Discipline : Uro-Néphrologie

Date : 11/07/2022


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Le taux sérique de potassium peut s’élever anormalement dans plusieurs circonstances qu’il faut identifier et prévenir. L’hyperkaliémie sévère est une urgence médicale. Le point avec le Pr Gilbert Deray, néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris (AP-HP).

 

TLM : Comment définir l’hyperkaliémie ?

Pr Gilbert Deray : L’hyperkaliémie est une élévation anormale du taux sanguin de potassium. Habituellement l’organisme dispose de moyens de régulation de ce taux, pour le maintenir relativement constant. Les taux normaux se situent entre 4,5 et 5,5 millimoles par litre de sang (ou mEq/l). On parle d’hyperkaliémie au-delà de 5,5 mmol/L. Elle est dite modérée jusqu’à 6 mmol/L, et sévère pour des valeurs supérieures à 6,5 mmol/L.

 

TLM : Quels sont les signes cliniques ?

Pr Gilbert Deray : L’hyperkaliémie modérée est parfois asymptomatique ou ne provoque que quelques symptômes : fatigue, faiblesse dans les jambes, douleurs musculaires, fourmillements au niveau des lèvres et de la langue. Attention, le signe principal pour repérer une hyperkaliémie est électrocardiographique : des anomalies à l’ECG, qui se manifestent sans aucune anomalie clinique et qui peuvent apparaître dès que le taux de potassium est supérieur à 5,5 mmol/L.

 

TLM : Comment se manifeste l’hyperkaliémie sévère ?

Pr Gilbert Deray : Les formes plus graves peuvent entraîner des troubles du rythme cardiaque, particulièrement une fibrillation ventriculaire. Si le taux de potassium est très élevé, un arrêt cardiaque peut se produire, avec un décès brutal. A partir du moment où nous sommes en présence de signes cliniques et/ou d’un ECG altéré par des troubles du rythme, l’hyperkaliémie doit être considérée comme une urgence.

 

TLM : Quelles sont les causes de l’hyperkaliémie ?

Pr Gilbert Deray : On peut en citer six :

1. tout d’abord, une pseudo-hyperkaliémie. Il suffit d’une lyse des globules rouges, lors d’une prise de sang avec un garrot trop prolongé, le poing trop serré, ou un prélèvement qui a trop traîné sur la paillasse. Il faut donc vérifier les conditions du prélèvement et refaire une prise de sang, sans garrot, sans serrer le poing, et en traitant rapidement le prélèvement, afin de ne pas prescrire des médicaments inutilement ;

2. l’augmentation des plaquettes ou des globules blancs dans le sang ;

3. les médicaments qui altèrent l’excrétion rénale de potassium : certains antihypertenseurs (notamment les IEC et les Sartans) ou certains diurétiques épargnant le potassium (ils empêchent le potassium d’être éliminé), mais aussi les AINS et l’héparine ;

4. l’insuffisance rénale aiguë ou chronique : modérée, sans autre facteur de risque, elle ne s’accompagne que très rarement d’une hyperkaliémie ;

5. le diabète ;

6. la consommation excessive d’aliments riches en potassium. Attention : on ne peut pas, sans facteurs de risque associés, déclencher une hyperkaliémie uniquement par l’alimentation.

Souvent ce sont des causes associées qui la provoquent. Par exemple le diabétique qui a abîmé les reins, qui se retrouve en insuffisance rénale, devient hypertendu et prend des traitements antihypertenseurs qui favorisent l’hyperkaliémie : c’est un grand classique !

 

TLM : Peut-on la prévenir ?

Pr Gilbert Deray : Oui, en prenant en compte les éléments précédemment cités : par exemple les facteurs de risques d’un hypertendu ou d’un diabétique.

On doit surveiller leur taux de potassium. Et supprimer ou remplacer les médicaments susceptibles de favoriser une hyperkaliémie. Il faut aussi éviter l’acidose : la baisse des bicarbonates dans le sang induit une élévation du taux de potassium. Toute baisse du PH de 0,1 induit une augmentation de la kaliémie de 1.

 

TLM : Comment prendre en charge une hyperkaliémie modérée ?

Pr Gilbert Deray : D’abord, on traite la cause : on supprime les médicaments susceptibles de faire monter le taux de potassium, on enlève une perfusion de potassium si le patient est hospitalisé... Dans le cas de l’hyperkaliémie légère et modérée, inférieure à 6 mmol/L avec un ECG normal, la diminution des apports en potassium et l’arrêt des médicaments qui limitent l’excrétion urinaire de potassium par les reins peuvent suffire. Si les reins fonctionnent normalement, on peut prescrire un diurétique qui favorise l’excrétion du potassium. Si cela ne suffit pas, on administre, par voie orale, une résine échangeuse d’ions : elle absorbe le potassium dans le tube digestif, ce qui permet l’élimination du potassium dans les selles. Comme, à la place du potassium, elle donne du sodium, elle ne doit pas être prescrite chez les patients insuffisants cardiaques ou rénaux, en état de surchage hydrosodée. En cas d’échec de ces mesures ou si les personnes souffrent d’un trouble rénal, une dialyse peut être nécessaire pour éliminer le potassium en excès.

 

TLM : Comment traiter quand l’hyperkaliémie est sévère ?

Pr Gilbert Deray : Entre 6 et 6,5 mmol/L, c’est une urgence. Si l’ECG n’est pas modifié et que le rein fonctionne normalement, on met en place les mesures citées, et on vérifie qu’on arrive à faire baisser la kaliémie en dessous de 6. Si elle reste supérieure à 6,5, cela nécessite une hospitalisation avec un traitement à l’insuline, du calcium par voie IV — gluconate de calcium — et lorsqu’il y a une insuffisance rénale sévère, la dialyse est nécessaire.

 

TLM : Quels conseils diététiques peut-on donner ?

Pr Gilbert Deray : Attention les restrictions diététiques sont trop souvent injustifiées car l’insuffisant rénal ou cardiaque déjà mange sans sel et c’est difficile de rajouter des contraintes. Les conseils diététiques concernent ceux qui présentent une hyperkaliémie sévère, a fortiori avec une insuffisance rénale sévère. Ils doivent éviter les aliments riches en potassium : banane, dattes, pommes de terre, viande rouge, le sel de régime vendu en pharmacie qui est du sel de potassium. Et tous les produits de régime allégés en sel car ils sont compensés en chlorure de potassium.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prévention de l’hyperkaliémie ?

Pr Gilbert Deray : Il est en première ligne pour détecter les pseudo-hyperkaliémies. Si l’hyperkaliémie est réelle, il doit en chercher la cause et traiter. Et bien sûr détecter une urgence éventuelle par un ECG. Le médecin généraliste connaît ses patients et leurs facteurs de risque : chez les hypertendus ou les diabétiques sous IEC, il évite les AINS. Il doit être à l’affut de toute modification thérapeutique susceptible d’induire une augmentation de la kaliémie chez les patients à risque.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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