• Pr DEMOLY : Imaginer l’allergie aux acariens comme un syndrome global...

Pascal DEMOLY

Discipline : Allergologie

Date : 09/07/2020


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LE PR PASCAL DEMOLY, DU SERVICE DE PNEUMOLOGIE ET ALLERGOLOGIE DU CHU DE MONTPELLIER, POINTE LES CONSÉQUENCES LOURDES DES ALLERGIES AU QUOTIDIEN. L’ALLERGIE AUX ACARIENS PROVOQUE AINSI UNE RHINITE ET MULTIPLIE PAR 5 LE RISQUE D’ASTHME CHEZ L’ENFANT

 

TLM : Que représente l’allergie aujourd’hui en France ?


Pr Pascal Demoly : On estime que les allergies affectent près de 25 % des Français. Fait notable, cette population double tous les dix ans. Parmi les différents allergènes incriminés, les acariens occupent la première place.

 

TLM : Quel est le tableau clinique classique de l’allergie aux acariens ?


Pr Pascal Demoly : Elle est à l’origine de symptômes respiratoires. Elle provoque une rhinite aux symptômes bien déterminés, faute d’être spécifiques : prurit nasal, éternuements, rhinorrhée aqueuse alternant avec une obstruction nasale. On la retrouve aussi dans la moitié des cas d’asthme allergique, autre expression du même syndrome inflammatoire. Rappelons que l’allergie aux acariens chez un enfant multiplie par 5 le risque de développer un asthme. La conjonctivite est aussi présente dans un tiers des cas. Les conséquences sont aussi plus insidieuses. L’allergie aux acariens est responsable de troubles du sommeil. Par un mécanisme qu’il reste à préciser, elle déstructure le sommeil, entraînant d’évidents problèmes de récupération et donc de la fatigue avec toutes ses conséquences en terme de vigilance et d’attention dans les tâches quotidiennes.

 

TLM : Ces conséquences, qui paraissent déborder la sphère ORL, sont-elles aujourd’hui mieux cernées ?


Pr Pascal Demoly : Il faut imaginer l’allergie aux acariens comme un syndrome global. Si le diagnostic d’une rhinite allergique est simple à poser, il doit systématiquement conduire à une exploration sensiblement plus poussée. En premier lieu, il convient de rechercher un asthme, notamment en cas de toux, d’essoufflements.

Réciproquement, il faut rappeler que la rhinite allergique est un facteur d’aggravation et de non-contrôle de l’asthme. Tout patient asthmatique doit être interrogé en ce sens. Plus globalement, il faut savoir que l’allergie respiratoire, bien que souvent bénigne, peut avoir des conséquences lourdes au quotidien. Elle est responsable d’un fort absentéisme professionnel mais aussi de présentéisme (baisse de productivité). Une étude américaine a ainsi montré que son impact économique est supérieur à celui de maladies chroniques reconnues comme plus sévères, telles que les maladies cardiovasculaires ou le diabète. Un autre travail, mené chez des adolescents au RoyaumeUni, a mis en évidence un taux d’échec nettement plus important à l’examen de fin d’année chez les patients souffrant de rhinite allergique. Ces deux exemples, parmi beaucoup d’autres, montrent que l’impact des allergies respiratoires est très largement sous-estimé.

 

TLM : Dans quelles conditions faut-il réorienter un patient vers un spécialiste ?


Pr Pascal Demoly : La prise en charge classique est simple et relève de la pratique généraliste. L’éviction est très efficace mais seulement si elle est précoce, totale et prolongée ; ce qui est difficilement réalisable en réalité. Les traitements symptomatiques permettent le plus souvent de contrôler les symptômes. En revanche, tout symptôme atypique (anosmie, rhinorrhée purulente, symptômes unilatéraux, épistaxis, douleur) ou échec du traitement symptomatique doit conduire à une réorientation vers le spécialiste. Une banale rhinite peut se superposer avec une déviation de la cloison nasale ou un cancer. Par ailleurs, il est important de souligner le risque inhérent au traitement par corticoïdes oraux. Le patient étant vu lorsque les symptômes sont intenses, il est tentant de recourir à ce type de prise en charge. Sa toxicité à long terme, et notamment son lien potentiel avec le risque de survenue d’infections nosocomiales, d’ostéoporose, de glaucome ou la nécessité d’une prothèse totale de hanche font qu’il doit être évité. Là encore, le patient gagnerait à être adressé à un spécialiste qui pourra, le cas échéant, proposer d’autres approches thérapeutiques dont l’immunothérapie allergénique (ITA).

 

TLM : Que peut-on attendre de l’ITA en termes d’efficacité ?


Pr Pascal Demoly : Il s’agit du seul traitement capable de changer l’histoire naturelle de la maladie en rééduquant le système immunitaire. Là où les traitements symptomatiques n’ont une persistance que de quelques heures à quelques jours, les bénéfices de l’ITA peuvent perdurer, chez les répondeurs, jusqu’à une dizaine d’années après les trois ans de traitement. Il s’agit donc d’une solution intéressante pour les patients mal contrôlés par les traitements symptomatiques ou exposés aux effets secondaires des corticoïdes, d’autant que son administration est grandement simplifiée par l’arrivée de formes orales.

 

TLM : Pensez-vous que les médecins généralistes disposent d’une formation suffisante sur la rhinite ?


Pr Pascal Demoly : L’allergologie n’est reconnue comme spécialité que depuis 2017. Les médecins généralistes installés n’ont donc pas bénéficié d’une formation sur le sujet. La rhinite allergique, aussi bénigne puisse-t-elle paraître, est une affection à l’impact lourd, à explorer dans toutes ses dimensions dont la symptomatologie peut masquer d’autres affections plus sévères. En ce sens, on ne peut qu’inciter les généralistes à suivre les formations proposées sur le sujet.

 

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