• Pr. DEFFIEUX : Assurer le suivi des infections urinaires chez la femme adulte

Xavier DEFFIEUX

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 25/04/2021


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TLM : Combien de femmes sont concernées par les infections urinaires ?
Pr Xavier Deffieux :
Environ 50 à 60% des femmes vont, au moins une fois dans leur vie, contracter une infection urinaire (IU) ou cystite : il s’agit d’IU « basses » qui n’affectent que l’urètre et la vessie. Contrairement aux pyélonéphrites, des IU « hautes » qui touchent l’uretère et le rein. On parle d’IU ou de cystites récidivantes lorsqu’elles surviennent au moins une fois par mois.

Pourquoi ce problème est-il si fréquent chez la femme ?

Les femmes sont plus touchées que les hommes sans doute pour des raisons anatomiques. Non seulement l’anus et l’urètre sont très rapprochés mais l’urètre est plus court ; l’ascension des germes vers la vessie est donc plus aisée chez la femme.

Quelle en est la principale cause ?

Elles sont en général dues à une auto-contamination : des germes d’origine digestive sont transportés depuis l’anus jusqu’au méat urinaire où ils peuvent ensuite remonter le circuit de l’urine pour envahir notamment l’urètre et la vessie. La célèbre bactérie Escherichia coli, naturellement présente dans le tube digestif, est fréquemment en cause.

Quels sont les autres facteurs de risque ?

Ils sont nombreux : la stagnation des urines dans la vessie, susceptible de provoquer des infections ; la carence œstrogénique à la ménopause qui atrophie l’appareil urinaire ; les rapports sexuels qui favorisent l’entrée des germes dans l’urètre ; certains spermicides qui modifient l’équilibre de la flore vaginale. Enfin, il existe des IU nosocomiales, en particulier par des transmissions manuportées (lors de soins ou plateau repas) ; la prévention repose sur la désinfection systématique des mains des professionnels de santé par des produits hydro-alcooliques dès l’entrée dans la chambre.

Comment poser le diagnostic ? Les signes cliniques suffisent-ils ?

Attention : ce n’est pas parce que l’ECBU indique la présence de germes qu’il faut automatiquement traiter. Ne pas confondre « colonisation » (présence de germes) et « cystite » (présence de germes et symptômes). La colonisation ne nécessite une prise en charge médicamenteuse que pendant la grossesse, à cause du risque d’accouchement prématuré, et avant une chirurgie de l’appareil urinaire. Les symptômes d’IU les plus fréquents sont des brûlures ou douleurs mictionnelles, des envies fréquentes d’uriner, parfois du sang dans les urines. Premier cas de figure, la cystite simple : on traite d’emblée après vérification de la suspicion d’IU par la réalisation d’une bandelette urinaire (présence de leucocytes ou de nitrites). S’il s’agit d’une cystite chez une femme présentant des facteurs de risque de complications (grossesse, insuffisance rénale, immunosuppression, fragilité due au grand âge), il faut un ECBU et un antibiogramme pour identifier le germe et connaître sa sensibilité aux antibiotiques.

Comment prendre en charge ces IU en première intention ?

Pour les cystites simples, on prescrit un traitement minute : de la fosfomycine trométamol 3 g, un antibiotique en une dose. Il est très efficace et ne provoque pas d’antibiorésistance. En cas d’allergie ou d’effets secondaires avec ce médicament, on prescrit en deuxième intention du pivmécillinam, de la classe des bêta-lactamines, 400 mg deux fois/jour pendant cinq jours.

Lorsque ces infections deviennent chroniques, que faire ?

Une fois le diagnostic posé avec certitude, on propose une antibioprophylaxie en continu ou, le plus souvent, une fois par semaine : la patiente prend son comprimé le dimanche par exemple et change d’antibiotique un dimanche sur deux. On adapte les molécules aux germes retrouvés dans l’antibiogramme. Et on prescrit celles qui ne déclenchent pas d’antibiorésistance et qui n’impactent pas la flore intestinale. Par exemple, une alternance entre la fosfomycine trométamol et le sulfaméthoxazole/triméthoprime. Pour les femmes qui souffrent d’IU à répétition après les rapports sexuels, la stratégie est différente : elles prennent, deux heures avant ou après les rapports, un sachet de fosfomycine trométamol.

Quelles sont les alternatives à spectre étroit ?

Pour les antibiothérapies de large spectre (ciprofloxacine, C3G, etc.), elles sont réservées pour les pyélonéphrites et infections aux germes multi-résistants.

Quelles sont les thérapies complémentaires ?

Si les IU sont apparues à la ménopause, on prescrit un traitement œstrogénique local (ovules ou crème vaginale) en plus de l’antibiothérapie. S’il s’agit d’IU à répétition dues à Escherichia coli, on pourra utiliser le GynDelta, un complément alimentaire qui comporte un dérivé de la canneberge, qui limite l’adhésion de l’Escherichia coli à la paroi épithéliale urinaire, et qui a démontré une certaine efficacité.

Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge des infections urinaires chez la femme ?

Une place majeure ! Très rares sont les femmes qui consultent un urologue. Et les gynécologues de ville sont peu nombreux et surchargés ! Donc le généraliste est le médecin qui peut faire le diagnostic, éliminer les signes de gravité (pyélonéphrite ou choc septique), et prescrire le bon traitement. Il enverra sa patiente à l’urologue en cas d’IU compliquées ou graves.

La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur la prise en charge des IU ?

Depuis le début de la crise, nous privilégions les téléconsultations. Les bandelettes permettent aussi de faire le diagnostic à distance. Et nous délivrons une ordonnance d’avance. Actuellement les femmes ne se rendent quasiment plus aux urgences pour une cystite.

Existe-t-il des mesures préventives ? Sont-elles efficaces ?

On demande aux patientes de boire suffisamment d’eau, d’éviter la constipation, de ne pas se retenir d’aller uriner, d’aller uriner après un rapport sexuel. Et de respecter cette consigne : s’essuyer du haut vers le bas, soit en partant de la vulve en direction de l’anus et pas l’inverse. Mais nous n’avons pas d’études randomisées et donc pas de preuves que ces conseils diminuent les IU récidivantes.

Propos recueillis par Brigitte Fanny Cohen

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