• Pr DECHELOTTE : L’impact des compléments nutritionnels sur les personnes dénutries

Pierre DECHELOTTE

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 10/01/2022


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Selon plusieurs études et méta-analyses, les compléments nutritionnels oraux ont un impact favorable sur les complications de la dénutrition, relève le Pr Pierre Dechelotte, professeur de Nutrition à l’université de Rouen, chef du département Nutrition au CHU de Rouen, président de la Société francophone de nutrition clinique et métabolisme (SFNCM). Ils réduisent le risque de chute, d’infection et de réhospitalisation.

 

TLM : Comment les compléments nutritionnels oraux peuvent-ils améliorer l’état général des patients dénutris ?

Pr Pierre Dechelotte : Face à des patients dénutris, la première étape du traitement, c’est d’augmenter la ration calorique et protéique dans l’alimentation, pour une alimentation thérapeutique enrichie. Si cela n’est pas suffisant, la deuxième étape, c’est la prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) qui visent à augmenter l’apport en calories et en protéines pour compenser les effets de la dénutrition. Il existe aujourd’hui un large éventail de compléments nutritionnels oraux, proposant des textures, des goûts et des concentrations en calories et protéines variables. Chaque unité de ces produits correspond en moyenne à 300 kcal et à un apport protéique de 12 à 15 grammes, certaines unités pouvant apporter jusqu’à 600 kcal et 30 grammes de protéines. Ces compléments viennent compléter une alimentation insuffisante. Ils sont prescrits chez des patients qui ont gardé une prise alimentaire couvrant au moins 50 % de leurs besoins caloriques et protéiques et qui sont en capacité de les prendre. La troisième étape pour les plus sévèrement dénutris, et ceux qui n’arrivent pas à prendre suffisamment les compléments oraux, c’est la nutrition entérale par sonde digestive. Le dernier recours est la nutrition parentérale, par voie veineuse, lorsque le tube digestif est non fonctionnel ou la nutrition entérale insuffisante.

 

TLM : Quels sont les patients visés ?

Pr Pierre Dechelotte : Le diagnostic de dénutrition doit avoir été porté par le médecin pour permettre une prise en charge adaptée. La Haute Autorité de santé vient de redéfinir les critères de la dénutrition. Ils comprennent au moins un des critères phénotypiques suivants : un indice de masse corporelle inférieur à 18,5 chez l’adulte (22 après 70 ans) ; une perte de poids significative (par exemple 5 % au cours des 30 derniers jours) ; une réduction de la masse ou de la fonction musculaire chez l’adulte, ou les deux après 70 ans. Il y faut aussi un critère étiologique, comme l’existence d’une réduction importante de la prise alimentaire ou l’existence d’une maladie évolutive. Beaucoup de maladies peuvent entraîner une dénutrition. Actuellement, 40 à 50 % des patients qui arrivent à l’hôpital sont dénutris. C’est aussi le cas de 50 à 60 % des personnes vivant en EHPAD. Le risque de dénutrition augmente avec l’âge et les polypathologies. On recense ainsi en France au moins 2 millions de personnes dénutries. La moitié souffrent d’une dénutrition modérée, les autres de forme sévère. Donc, sans doute, environ 1 million de personnes en France pourraient relever d’une prescription de compléments nutritionnels oraux. Mais c’est loin d’être le cas, car le diagnostic de dénutrition n’est pas toujours fait ou posé trop tardivement.

 

TLM : Ces compléments nutritionnels permettent-ils vraiment d’améliorer l’état général des patients dénutris ?

Pr Pierre Dechelotte : Plusieurs études importantes ont montré que les compléments nutritionnels oraux avaient un impact favorable sur les complications de la dénutrition, en réduisant le risque de chute, d’infections, d’escarres et la durée de séjour. Certaines études indiquent également une réduction du risque d’hospitalisation ou du taux de réhospitalisation, en particulier chez les patients de plus de 65 ans et lorsque les compléments apportent au moins 20 grammes de protéines par unité. Donc les compléments nutritionnels sont efficaces, quand ils sont prescrits aux bons patients, à la bonne dose, et surtout lorsque ces compléments sont bien pris, avec une bonne observance. Mais l’observance est parfois un problème ; elle varie selon la cause de la dénutrition et l’âge.

 

TLM : L’observance des traitements par compléments nutritionnels a-t-elle fait l’objet d’une évaluation ?

Pr Pierre Dechelotte : Des études ont mis en évidence que les quantités consommées représentaient 60 à 80 % des quantités prescrites, avec une grande hétérogénéité, selon l’âge, les pathologies et le contexte. Une personne jeune souffrant de dénutrition après une intervention chirurgicale importante suivra mieux les prescriptions des compléments nutritionnels, notamment grâce à l’éducation thérapeutique qui lui permet d’en comprendre l’intérêt. Pour des patients présentant une pathologie évoluée, ceux dont l’état général est très dégradé, qui sont très anorexiques, déprimés, il est plus compliqué de maintenir une motivation pour prendre ces compléments. D’une manière générale, les patients traités à domicile, moins graves, prennent mieux les compléments que les patients hospitalisés.

 

TLM : Quels sont les facteurs qui pourraient améliorer l’observance ?

Pr Pierre Dechelotte : Les qualités gustatives des produits sont bien sûr importantes et il faut souligner qu’elles sont bonnes pour la majorité des produits disponibles en France. La diversité des compléments disponibles doit permettre de réduire le risque de lassitude. Avant de prescrire, il faut questionner les patients sur leurs préférences alimentaires, leurs goûts, et choisir les compléments dont ils aimeront la texture et les qualités gustatives. Les produits appréciés sont, bien sûr, mieux consommés. En traitement d’attaque, les prescriptions reposent sur deux ou trois unités de CNO par jour, de préférence sous plusieurs formes. Les plus classiques, et les plus concentrés en calories et protéines, sont des produits liquides ressemblant à des laits enrichis. Ils se sont améliorés au fil des années. Les compléments nutritionnels existent aussi sous forme de crèmes, d’entremets, de boissons fruitées, de gâteaux, de sablés ou encore de plats enrichis, ces derniers étant plus faciles à manger en particulier pour des patients ayant des problèmes bucco-dentaires. Varier la prescription au sein de cette palette de choix améliore l’observance.

 

TLM : Comment les médecins peuvent-ils apprécier l’observance des patients ?

Pr Pierre Dechelotte : Ces compléments sont obtenus en général à la suite d’une prescription médicale par le médecin qui a porté le diagnostic de dénutrition. Mais le médecin doit ensuite évaluer les quantités prises réellement. La prescription initiale ne devrait pas excéder 15 jours, de manière à revoir le patient et évaluer ce qui est apprécié et effectivement consommé, pour éviter le gâchis et proposer d’autres références si besoin. Pour améliorer l’observance, il est indispensable que le médecin, l’infirmière ou toute autre personne impliquée dans la prise en charge du patient, prenne le temps de lui expliquer que ces compléments font partie intégrante du traitement et qu’ils vont améliorer son état général. Les soignants doivent donner une image positive renforcée de ces produits. Pour renforcer l’observance, la conviction du médecin prescripteur est fondamentale et il doit la partager avec son patient.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

Pour en savoir plus : www.sfncm.org ; www.has.fr

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