• Pr DE LEDINGHEN : Hépatite C : Dépistage, dépistage, dépistage !

Victor DE LEDINGHEN

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/10/2021


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Bien que ralentie par la lutte contre le Covid-19, l’élimination de l’hépatite C semble toujours à portée de main. Chacun peut y contribuer et permettre à la France d’être l’un des premiers pays à y parvenir, estime le Pr Victor de Lédinghen, chef de l’unité d’hépatologie et de transplantation hépatique du CHU de Bordeaux. Pour ce faire le dépistage reste l’arme maîtresse...

 

TLM : L’épidémie de Covid-19 a-t-elle mis un coup d’arrêt à la politique de lutte contre l’hépatite C ?

Pr Victor de Lédinghen : Je n’irai pas jusque-là mais elle nous a fait perdre un an. En raison des confinements et autres couvre-feux, beaucoup de patients qui étaient dans un parcours de soins ne sont pas venus se faire traiter, les campagnes de dépistage ont été interrompues, et de nombreux centres d’accompagnement des usagers de drogues avaient d’autres priorités que celle de proposer un dépistage du VHC, notamment celle de fournir des traitements de substitution aux opiacés. Mais, depuis quelques mois, nous avons retrouvé la dynamique d’avant-crise.

 

TLM : Pensez-vous que ce retard va empêcher la France d’atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé d’éliminer l’hépatite C d’ici à 2025 ?

Pr Victor de Lédinghen : Non, je suis optimiste. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’élimination de l’hépatite C ne correspond pas à une disparition du virus mais à une diminution de 65 % de la mortalité liée à cette maladie, associée à une réduction de 80 % du nombre de nouvelles contaminations. Objectivement, notre pays est déjà bien avancé. Le premier critère est déjà rempli en France. Reste à atteindre le second. Car la clé de l’élimination de l’hépatite C réside dans l’assèchement du réservoir du virus, autrement dit dans le dépistage et le traitement des patients qui continuent de se contaminer. Si on « met le paquet » sur les personnes les plus à risque, on pourra y arriver.

 

TLM : Qui sont ces personnes à risque ?

Pr Victor de Lédinghen : Les personnes ayant bénéficié d’une transfusion avant 1992, hémodialysées, les sujets porteurs d’un tatouage ou d’un piercing, ceux ayant été traités par mésothérapie ou par l’acupuncture, réalisées en l’absence de matériel à usage unique ou personnel, les personnes ayant eu des rapports sexuels à risque, celles incarcérées ou l’ayant été, etc. Mais les plus à risque sont les usagers de drogues par voie intraveineuse ou nasale. Il est essentiel de renforcer le dépistage et la prise en charge de ces patients. Tous nos efforts doivent être tournés vers eux. Malheureusement, les centres qui les prennent en charge, les CAARRUD (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) et les CSAPA (Centres de soins et d’accompagnement et prévention des addictions) manquent de moyens humains et financiers. Résultat, la priorité de leurs actions n’est pas nécessairement donnée à la lutte contre l’hépatite C mais à d’autres urgences qui correspondent davantage à celles des patients qu’ils accueillent.

 

TLM : Quelle est la place des médecins généralistes dans la lutte contre l’hépatite C ?

Pr Victor de Lédinghen : Ceux qui sont impliqués dans la prise en charge des consommateurs de drogues savent qu’ils doivent rechercher une éventuelle infection par le VHC et connaissent bien les traitements indiqués. Mais compte tenu de la très faible prévalence de l’hépatite C dans la population générale (0,3 % selon les dernières données du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire), la plupart des médecins généralistes n’ont aucun patient infecté dans leur patientèle. Par conséquent, rares sont ceux qui pensent à interroger leurs patients sur des situations ou comportements à risque éventuels qu’ils auraient pu avoir par le passé et à leur proposer une sérologie. Néanmoins, je les encourage vivement à le faire. Je le répète, la clé du succès de l’élimination de l’hépatite C, c’est le dépistage, le dépistage et encore le dépistage ! D’autant qu’il repose sur une simple prise de sang, réalisable dans n’importe quel laboratoire d’analyses médicales.

 

TLM : Les antiviraux à action directe (AAD) semblent avoir révolutionné le traitement de l’hépatite C...

Pr Victor de Lédinghen : En France, nous disposons de deux AAD qui guérissent plus de 98 % des patients ! Ils ne sont pas en rémission, ils sont guéris ! Selon la molécule, la durée des traitements est de huit ou douze semaines. Et douze semaines après la fin du traitement, il n’existe plus aucune trace d’ARN viral dans leur organisme. Ces médicaments sont globalement très bien tolérés : ils entraînent quelques effets indésirables — fatigue, troubles digestifs, troubles du sommeil pour l’essentiel —, mais ceux-ci sont minimes et n’entravent en rien la vie quotidienne des patients. Ils présentent par ailleurs très peu d’interactions avec d’autres médicaments (celles-ci sont listées sur l’appli HepDrugInteraction) ; les plus fréquentes sont observées avec des traitements contre l’infection par le VIH, mais là encore, les choses ont beaucoup évolué, avec une baisse notable des cas d’hépatite C chez les personnes séropositives au VIH.

 

TLM : Tous les patients VHC+ sont-ils éligibles à ces traitements ?

Pr Victor de Lédinghen : La présence d’anticorps anti-VHC ne suffit pas à poser le diagnostic ; celui-ci doit être confirmé par la mesure de la charge virale. Il arrive en effet — dans 20 % des cas environ —, que des patients aient des anticorps anti-VHC mais pas d’ARN viral ; ils ont très certainement guéri spontanément et n’ont donc pas besoin de traitement. Mais dès lors que le bilan biologique met en évidence la présence d’ARN viral, on propose un traitement. En 2020, vous disiez : « Il ne tient qu’à nous d’en finir avec ce fléau... ».

 

TLM : Qui est ce « nous » ?

Pr Victor de Lédinghen : Nous les soignants au sens large : médecins, infirmiers, pharmaciens, mais pas seulement. Les éducateurs qui travaillent au sein des CAARUD, ou encore les médias qui, par leur travail, contribuent à sensibiliser le grand public à l’hépatite C, ont un rôle à jouer en incitant certaines personnes à s’interroger sur leur situation. Les politiques nous ont beaucoup aidés jusqu’à présent, mais l’urgence liée au Covid-19 a relégué la lutte contre le VHC au deuxième plan. C’est parfaitement compréhensible, mais si l’on veut atteindre notre objectif, nous devons communiquer da- vantage sur le sujet. Le lancement d’une grande campagne de sensibili- sation nous y aiderait grandement.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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