• Pr. DAUTZENBERG : Soigner le fumeur comme un patient atteint d’une maladie grave...

Bertrand DAUTZENBERG

Discipline : Addictions

Date : 19/10/2020


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TLM : La motivation est-elle la clef du sevrage tabagique?
Pr Bertrand Dautzenberg :
Absolument pas. La motivation est toujours bienvenue mais l’hyponicotinémie qui tenaille le fumeur dépendant à la nicotine dans l’heure du réveil n’est en rien sous le contrôle de la volonté. Demander au fumeur s’il est motivé lui impute la responsabilité de son tabagisme. Et c’est bien le discours de l’industrie du tabac que d’affirmer que le fumeur choisirait de fumer en toute liberté. Tout au contraire, celui
qui fume tous les jours dans l’heure du lever n’est pas libre mais doit être considéré comme victime d’une maladie chronique : la dépendance tabagique, dont la mortalité est de 50 %. Le médecin doit le soigner à l’instar de tout patient présentant une maladie grave. En cas de
cancer ou de diabète demanderait-on au patient s’il est motivé pour être soigné !
La motivation a son importance mais elle est secondaire. Il faut considérer le fumeur dépendant comme une victime de la multiplication des récepteurs nicotiniques volontairement induite par l’industrie du tabac qui l’a contaminé, alors que, souvent, il n’était qu’un adolescent. Le rôle du médecin est de parfaitement soigner la dépendance nicotinique, que ce dernier ait ou non la volonté d’arrêter de fumer ; l’abord comportemental, s’il est nécessaire, sera envisagé une fois cette dépendance nicotinique traitée.

 

Quel discours doit alors tenir le médecin traitant au patient tabagique ?
En préalable je dirais que deux tiers des fumeurs veulent arrêter de fumer, quant aux autres ils sont d’accord pour essayer sitôt qu’ils comprennent qu’il n’y a pas d’effort à faire et que le médecin organise le traitement de la dépendance physique. Il n’existe donc pratiquement jamais de refus si le médecin sait expliquer que l’objectif du traitement consiste à supprimer l’envie impérieuse de fumer et que les cigarettes fumées le matin relèvent quasi obligatoirement d’une dépendance nicotinique, liée à un excès de récepteurs nicotiniques dans le système nerveux central. Le traitement vise à soulager le patient de son hyponicotinémie du matin, comme on soulage une hypoglycémie en lui donnant un morceau de sucre. Avec un traitement adapté la cigarette ne sera plus bonne après cinq bouffées, et du coup le patient la supprimera.

 

De quels moyens dispose le médecin traitant pour traiter le tabagisme ?

Pour le médecin généraliste le plus simple est de traiter par la Varénicline, qui agit sur les récepteurs nicotiniques du système nerveux central. Ce médicament a longtemps été décrié, et à tort car au bout de cinq ans la pharmacovigilance n’avait rien montré d’inquiétant. La posologie est la même pour tous. On commence par donner une « boîte d’initiation » pour 14 jours dont le blister permet de façon très intuitive l’augmentation de posologie de 0,5mg/j à 2mg/j la deuxième semaine. À la fin de la deuxième semaine le patient a arrêté ou fume moins. Il ne faut pas s’inquiéter que l’arrêt du tabac n’intervienne pas avant quatre ou huit semaines. Il existe deux effets secondaires dont il faut prévenir le patient : des rêves étranges liés à la stimulation nocturne des récepteurs nicotiniques (qui amusent ceux qui sont prévenus, inquiètent ceux qui ne l’ont pas été), et aussi, dans 40% des cas, une sensation de nausées et d’avoir trop fumé. Ces effets diminuent au bout de 10 à 20 jours. S’ils persistent il suffira de diminuer la posologie. Les autres effets indésirables, notamment psychiatriques, qu’on a voulu décrire ne représentent qu’un pourcentage négligeable.


Quels sont les autres traitements ?

Les substituts nicotiniques. Pour ceux qui fument dès l’heure ou la demiheure du lever, on pourra prescrire des patches nicotiniques transdermiques, de 21 mg/24 heures. On conseillera aux patients trop gênés par les rêves étranges, de retirer ces derniers le soir ou de passer à la forme 15 ou 25 mg/16 heures, sachant qu’ils seront privés de nicotine le lendemain pendant les 90 premières minutes. Personnellement je précise sur l’ordonnance que le patient peut fumer durant cette escalade de dose autant qu’il le veut. S’il fume plus de 10 cigarettes/jour avec un patch il faudra passer à deux patches. Si avec deux patches il en est toujours à 10 cigarettes/jour il conviendra de l’adresser au tabacologue pour envisa

ger la suite du traitement, mais cette éventualité est rare.
J’ajoute à ces substituts transdermiques des formes orales de nicotine, à laisser fondre sous la langue, à sucer ou des produits à mâcher. Il est important que le produit plaise : plus la forme orale est agréable plus elle est prise. Si les cigarettes restent bonnes toute la journée il faut augmenter la dose du substitut nicotinique, progressivement jusqu’à arriver à un niveau efficace et acceptable — c’est-à-dire sans nausée.


Et la cigarette électronique ?
Ce n’est pas un médicament, on ne peut donc pas la prescrire mais seulement la préconiser. Elle constitue un outil efficace à condition que le patient veuille s’y mettre et qu’il prenne un produit suffisamment dosé en nicotine. Les dosages proposés allant de 0 à 20 mg/ml on conseillera aux débutants de prendre du 12, du 14, voire du 16 mg/ml. Si la cigarette électronique semble ne pas marcher, il faudra vérifier la dose prise et évaluer la quantité de nicotine prise en multipliant la concentration en mg/ml par le nombre de ml pris par jour (par exemple si un flacon de 10 ml dure cinq jours, la consommation est de 2ml/jour et si la concentration utilisée est de 1mg/ml cela correspond à 22mg/jour, soit la dose voisine d’un patch à 21mg/ml. Elle peut être associée aux médicaments d’arrêt.


Quelles limites et contre-indications à ces traitements ?
La dépendance au tabagisme est une maladie mortelle dans 50% des cas qu’il faut traiter. Et il n’y a aucune contre-indication. Le rapport risque/bénéfice est toujours très bas. Au départ, quand les patches sont apparus, comme on ne les connaissait pas trop ils ont été contre-indiqués en cas d’affections cardiovasculaires ou de grossesse. Aujourd’hui, c’est le contraire : les substituts nicotiniques sont indiqués notamment en cas d’affections cardiovasculaires ou de grossesse ! L’association de la cigarette, des patches et des formes orales est autorisée. Auparavant l’on disait : « Si vous fumez retirez le patch », maintenant on sait qu’il faut en ajouter un !
La nicotine non-fumée est beaucoup moins addictive que la cigarette. Environ 90% des fumeurs n’ayant plus de pic de nicotine à la nicotine nonfumée (substituts, e-cigarettes ou Varénicline) voient leur besoin quotidien en nicotine baisser. En trois mois les besoins deviennent quasi nuls, et les récepteurs nicotiniques disparaissent de la surface de la cellule, mais ils migrent à l’intérieur de cette dernière qui en garde la mémoire. De sorte que si quelques années après on se remet à fumer, le tabagisme repart.

 

Propos recueillis par Daniel Paré

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