• Pr DAPOIGNY : Les femmes plus sujettes à la constipation que les hommes

Michel DAPOIGNY

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/10/2021


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Les statistiques sont sans équivoque : les femmes sont plus touchées que les hommes par la constipation. Le Pr Michel Dapoigny, ancien gastro-entérologue et hépatologue au CHU Estaing à Clermont-Ferrand, en expose les raisons et incite, au passage, les médecins généralistes à aborder plus souvent ce trouble en consultation.

 

TLM : Le diagnostic de la constipation repose-t-il sur un simple ressenti des patients ou sur des critères objectifs ?

Pr Michel Dapoigny : Il repose sur les critères de ROME IV, des critères tout à fait objectifs définis au niveau international. La constipation chronique est ainsi définie par l’association d’au moins deux critères parmi les suivants, avec un début des symptômes depuis plus de six mois : moins de trois évacuations spontanées par semaine, des selles dures et fragmentées, des efforts de poussée, la sensation d’une évacuation incomplète, la nécessité d’opérer des manœuvres digitales.

 

TLM : Les femmes sont-elles réellement plus sujettes à la constipation que les hommes ?

Pr Michel Dapoigny : Les femmes sont indubitablement plus concernées que les hommes par les problèmes de constipation, et de transit en général. Mais le ratio serait moins important qu’on pourrait le croire, d’environ 1,5 à 2 femmes pour 1 homme. Néanmoins, si l’on considère que la constipation touche 14 % de la population générale (prévalence moyenne issue d’études scientifiques — 20 % selon certains sondages), cela représente un nombre très important de femmes affectées.

 

TLM : Qu’est-ce qui explique cette prédominance féminine ?

Pr Michel Dapoigny : Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette inégalité : l’existence d’une composante hormonale, qui pourrait justifier le fait que certaines femmes déclarent être constipées uniquement avant et après leurs règles ; cette composante n’a cependant jamais été identifiée et, quand bien même elle le serait, seules certaines femmes y seraient sensibles puisque la constipation est loin de concerner toute la population féminine. La maternité entre très certainement en jeu : la grossesse, l’accouchement et, dans certains cas, la chirurgie requise pour faciliter la naissance d’un bébé peuvent abîmer le périnée au point d’induire une dysfonction anorectale ; celle-ci induit alors des poussées fortes pour évacuer les selles, qui peuvent entraîner une rectocèle, laquelle va gêner le mécanisme d’exonération et entretenir la constipation. La rectocèle est d’ailleurs un problème quasi exclusivement féminin, les hommes étant protégés par leur prostate. Autres hypothèses expliquant la surreprésentation des femmes parmi les patients constipés : l’existence d’un syndrome de l’intestin irritable, deux fois plus fréquent que chez les hommes, et un passé traumatique physique ou psychologique (en particulier les abus sexuels) ayant induit une constipation par asynchronisme anorectal.

 

TLM : Comment les médecins généralistes peuvent-ils intervenir ?

Pr Michel Dapoigny : La constipation reste un sujet tabou, qui empoisonne pourtant la vie de millions de Françaises, avec un retentissement parfois très fort sur leur qualité de vie. Le médecin généraliste joue donc un rôle essentiel dans leur prise en charge, d’autant plus que, non ou mal prise en charge, la constipation expose à terme à des risques élevés d’incontinence anale. Il est donc indispensable qu’il engage un dialogue avec ses patientes, même si celui-ci s’avère souvent long. Après avoir défini le type de constipation dont souffre sa patiente (de transit, d’exonération, mixte), le médecin doit s’assurer que ce symptôme n’a pas une cause organique, en particulier un cancer du côlon, en recherchant systématiquement des signes d’alarme (saignements dans les selles, anémie ferriprive sans cause évidente, masse à la palpation abdominale ou au toucher rectal...). Les causes médicamenteuses (analgésiques codéinés, opiacés, antidépresseurs, antihistaminiques...) étant fréquentes, il doit également les rechercher avec soin car l’approche thérapeutique est alors des plus simples.

 

TLM : Quid des examens complémentaires ?

Pr Michel Dapoigny : Aucun examen complémentaire standard ne doit être réalisé de façon systématique lors de la première consultation. La coloscopie doit être prescrite uniquement sur des signes d’alarme — antécédents familiaux, polypes à haut risque, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, sang dans les selles...

 

TLM : Sur quoi repose la prise en charge des patientes ?

Pr Michel Dapoigny : Bien que leur effet soit limité, il est conseillé de rappeler les règles hygiéno-diététiques supposées favoriser un bon transit, en particulier l’augmentation des apports en fruits et légumes. Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès, car une fois métabolisées par le microbiote intestinal, les fibres produisent des gaz qui peuvent être mal supportés par les patientes.

 

TLM : Quelles sont les options thérapeutiques ?

Pr Michel Dapoigny : Dans la constipation d’exonération, la rééducation anopérinéale par biofeedback donne de bons résultats à condition qu’elle soit réalisée par un kinésithérapeute ayant suivi une formation spécifique. Au niveau médicamenteux, on privilégiera les traitements à base de macrogol qui ramollissent les selles. Les suppositoires effervescents sont tout à fait indiqués en cas de sensation d’évacuation incomplète ou fractionnée. Le traitement de la constipation de transit repose essentiellement sur la prescription seule ou combinée de mucilages (ou laxatifs de lest tels que le psyllium) et de macrogol, afin d’augmenter le volume intracolique et de stimuler l’envie de déféquer. On peut également tenter d’agir sur le péristaltisme à l’aide d’agonistes sélectifs des récepteurs de la sérotonine, mais le coût élevé et l’efficacité relative de ce traitement limite sa prescription. Autre option, les laxatifs à base de séné, en vente libre, à condition de mettre en garde contre les risques d’hypokaliémie liés à des doses élevées.

 

TLM : Un dernier conseil ?

Pr Michel Dapoigny : Un traitement contre la constipation doit être pris pendant toute la durée de sa prescription : l’apparition de diarrhée est normale en cas de constipation prolongée, elle ne doit pas conduire à l’interruption du traitement au risque de voir réapparaître la constipation et d’initier un véritable cercle vicieux. Il faut également prévenir les patientes que tout événement de vie stressant (choc émotionnel, grossesse, hospitalisation) peut induire, à nouveau, une constipation, particulièrement sous sa forme terminale, même après des années sans soucis.

Propos recueillis

par Charlotte Montaret

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