• Pr Damien Logeart : Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite : Traiter vite !

Damien Logeart

Discipline : Cardiologie

Date : 06/07/2023


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Dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite, le traitement doit être initié le plus rapidement possible : dans les deux mois qui suivent le diagnostic, rappelle le Pr Damien Logeart, cardiologue à l’hôpital Lariboisière (Paris) et co-fondateur de FRESH (French Survey on Heart Failure), l’Observatoire français de l’Insuffisance cardiaque.

 

TLM : Les personnes souffrant d’insuffisance cardiaque sont majoritairement des séniors : l’âge serait-il le principal facteur de risque de cette maladie ?

Pr Damien Logeart : L’insuffisance cardiaque touche 1 à 2% de la population française. Cette maladie peut survenir à tout âge, mais la médiane des patients est effectivement autour de 75 ans. Pour autant, il est faux de dire que l’insuffisance cardiaque est liée à un vieillissement du cœur à proprement parler. Les causes de cette maladie sont l’accumulation avec l’âge de troubles comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’infarctus du myocarde, qui vont altérer les fonctions cardiaques et amoindrir ses capacités. L’âge est donc essentiellement un facteur aggravant.

 

TLM : Quelle est la proportion d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite ?

Pr Damien Logeart : La moitié des insuffisants cardiaques souffrent d’une ICFER —anciennement appelée insuffisance cardiaque systolique. Le mécanisme est essentiellement une altération de la fonction contractile du muscle ventriculaire, cette dernière étant le plus souvent estimée par la mesure de la fraction d’éjection du ventricule gauche. La fraction d’éjection normale se situe autour de 60%. On considère qu’elle est réduite lorsqu’elle est inférieure à 40%. Entre 41 et 49 %, on parle d’IC à FE « modérément » réduite. Dans les cas d’insuffisance cardiaque sévère, elle peut chuter autour de 20%.

 

TLM : Quelles en sont les causes ?

Pr Damien Logeart : Dans un cas sur deux, cette forme d’insuffisance cardiaque résulte d’un infarctus du myocarde qui a rendu une partie du muscle cardiaque fibreux et donc incapable de se contracter. On peut retrouver dans les autres cas des anomalies génétiques, une myocardite, des causes toxiques, comme certaines chimiothérapies en particulier les anthracyclines prescrites dans les cancers du sein et les lymphomes. Les recommandations de prise en charge de ces patients préconisent d’ailleurs de doser leurs biomarqueurs cardiaques sanguins et d’évaluer la FEVG par une échocardiographie avant, pendant et après leur chimiothérapie.

 

TLM : D’un point de vue symptomatologique, l’ICFER se distingue-t-elle de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEP ou insuffisance cardiaque gauche) ?

Pr Damien Logeart : Bien que les mécanismes en cause soient différents, les principaux symptômes sont les mêmes : un essoufflement sans réel effort et une fatigue inhabituelle, auxquels peuvent s’ajouter un œdème des membres inférieurs, une toux, des palpitations ; le tableau clinique ne permet donc pas de distinguer les deux formes. Pour distinguer ces deux formes d’IC, il faut des examens complémentaires.

 

TLM : Quel est l’examen conseillé ?

Pr Damien Logeart : L’échographie cardiaque est l’examen de référence pour évaluer la fonction pompe du cœur, mesurer la taille des ventricules, leur dilatation éventuelle, l’épaisseur de leurs parois, etc. C’est elle qui permet de différencier les deux formes d’insuffisance cardiaque. L’échographie cardiaque donne également beaucoup d’information, que ce soit sur la ou les causes et sur la sévérité. Il faut rappeler que les recommandations en matière de diagnostic préconisent de procéder en première ligne au dosage sanguin des peptides natriurétiques (BNP et NT-proBNP), ce qui n’est pas suffisamment pratiqué.

Chez des patients peu symptomatiques, les valeurs seuils en-dessous desquelles le diagnostic d’insuffisance cardiaque peut être exclu sont de 35 pg/mL pour le BNP et de 125 pg/mL pour les NT-proBNP, et de 100 pg/mL et 300 pg/mL respectivement chez les personnes présentant une suspicion de décompensantion avec des symptômes/signes plus marqués.

 

TLM : Y a-t-il une forme plus grave que l’autre ?

Pr Damien Logeart : L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite est plus grave que celle à fraction d’éjection préservée : rapporté à l’âge, le risque de mortalité et de complications est plus important. Elle a tendance à entraîner des formes plus graves.

 

TLM : En quoi consiste sa prise en charge ?

Pr Damien Logeart : Le point commun à toutes les formes d’IC est l’utilisation des diurétiques de l’anse pour réduire les œdèmes et la dyspnée chez les patients symptomatiques. Ensuite et contrairement à l’ICFEP, le traitement de l’ICFER est bien codifié. Il repose sur la prescription de quatre classes thérapeutiques qui diminuent le risque de morbimortalité et à améliorent la qualité de vie :

• un bêta-bloquant ;

• un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou, pour encore plus

d’efficacité, un inhibiteur mixte de la néprilysine et des récepteurs à l’angiotensine 2 (sacubitril/valsartan) ;

• un antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoides (antialdostérones) ;

• un inhibiteur de SGLT2 ou gliflozines.

Sauf contre-indication pour l’une ou l’autre de ces molécules (asthme, troubles de la conduction, hyperkaliémie sévère, etc.), ces quatre classes thérapeutiques doivent être prescrites et titrées dans les deux mois qui suivent le diagnostic. De façon plus marginale, on peut prescrire de l’ivabradine aux patients intolérants aux bêtabloquants ou qui restent symptomatiques malgré ce traitement standard bien suivi. Par ailleurs, la pose d’un défibrillateur automatique implantable doit être envisagée chez ceux ayant une fraction d’éjection de 35 %, et celle d’un pacemaker bi-ventriculaire (ou « triple chambre ») en cas de bloc de branche gauche. Enfin, la question d’adopter une attitude plus invasive en cas de fibrillation atriale (observée chez un tiers des patients) doit être considérée. Il s’agit d’un traitement à vie, pour lequel la mauvaise observance est la première cause de décompensation. L’accompagnement des patients est donc indispensable et doit comprendre une éducation thérapeutique aux médicaments, aux signes d’alerte en cas d’aggravation, et aux mesures hygiéno-diététiques (régime appauvri en sel et réadaptation à l’effort qui doit être prescrite le plus tôt possible).

 

TLM : Quel suivi ?

Pr Damien Logeart : Le risque de décompensation est particulièrement élevé dans les premiers mois qui suivent la sortie de l’hôpital ; il faut donc être très attentif au traitement et au suivi des patients. Ces derniers doivent être revus par leur médecin généraliste dans les deux semaines suivant leur sortie, puis environ tous les mois pendant six mois. Si tout va bien, une consultation annuelle chez le cardiologue suffit ; après une décompensation, le patient doit revoir ce dernier à un mois, trois mois puis une fois par an minimum.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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