Pr CZERNICHOW : Une vision « holistique » du traitement de l’obésité...
Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition
Date : 10/10/2021
Écouter avec empathie, sans préjugés : telle doit être l’attitude des médecins généralistes à l’égard des patients obèses, rappelle le Pr Sébastien Czernichow, chef de service de nutrition à l’Hôpital Européen Georges-Pompidou à Paris (APHP), avant de revenir sur les étapes de leur prise en charge.
TLM : Fait-on face à une épidémie d’obésité en France ?
Pr Sébastien Czernichow : La prévalence de l’obésité atteint 15 % chez les adultes. On rappelle qu’elle est définie par un indice de masse corporelle* supérieur à 30 kg/m2. Récemment, elle a progressé chez les 18-29 ans, aussi bien chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes, principalement dans les catégories socio-professionnelles les plus défavorisées ou avec le niveau d’études le plus bas, qui sont peut-être moins réceptives aux messages de santé publique.
TLM : L’IMC constitue-t-il le seul critère pour définir l’obésité ?
Pr Sébastien Czernichow : La mesure de l’IMC reste l’outil de référence pour mesurer l’obésité générale, mais la mesure du tour de taille est tout aussi indispensable car elle apporte une information additionnelle pour évaluer le niveau de risque de cette obésité. D’après les recommandations de la Haute Autorité de santé, le tour de taille doit être inférieur à 88 cm chez les femmes et à 102 cm chez les hommes. Mais ces valeurs ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Le médecin généraliste ne doit pas se contenter de ce que déclare le patient mais doit réaliser par lui-même ces deux mesures.
TLM : En cas d’obésité avérée, comment se déroule la consultation médicale ?
Pr Sébastien Czernichow : Le praticien doit interroger son patient pour connaître les facteurs qui ont pu favoriser sa prise de poids : quelles sont ses sources d’apport énergétique, a-t-il récemment arrêté le sport, le tabac, consomme-t-il beaucoup d’alcool, prend-il des médicaments connus pour augmenter la prise pondérale (psychotropes, corticoïdes, insuline) ? Si c’est une femme, des modifications gynécologiques (grossesse, ménopause) peuvent être en cause. Il est également important de s’intéresser à ses antécédents familiaux pour rechercher d’éventuels facteurs génétiques. Enfin, il ne faut pas négliger les troubles du sommeil, le stress professionnel et l’augmentation du temps passé devant les écrans qui perturbe l’horloge alimentaire. L’anamnèse devra également rechercher l’existence de troubles du comportement alimentaire, en particulier de compulsion ou d’hyperphagie, et retracer l’histoire pondérale du patient : la prise de poids a-t-elle été progressive ou subite ? Résulte-t-elle d’un ou de plusieurs facteurs déclenchants ? C’est une consultation longue, qui prend du temps, au cours de laquelle le praticien doit faire preuve d’empathie et donner aux personnes obèses la possibilité de parler de leur ressenti. Victimes de préjugés et de stigmatisations, elles doivent pouvoir trouver un espace d’écoute dénué de tout jugement.
TLM : La motivation au changement est-elle un préalable indispensable à la prise en charge de l’obésité ?
Pr Sébastien Czernichow : Tout à fait, et c’est également au médecin généraliste de déterminer le degré de motivation au changement de son patient. Pour cela, il doit l’interroger sur la façon dont il vit son obésité, tant sur le plan physique que psychique, et amenerle patient à dire en quoi elle altère sa qualité de vie. Il est important de lui exposer les conséquences d’un poids excessif : maladies cardiovasculaires et troubles métaboliques (hypertension artérielle, hyperlipidémie, diabète, hyperuricémie...), complications respiratoires, apnées du sommeil, pathologies arthrosiques, mycoses, maladie de Verneuil, inflammation de bas grade... On observe par ailleurs, fréquemment, un retard au diagnostic des cancers gynécologiques chez les femmes dont l’IMC dépasse 35, qui s’excluent d’elles-mêmes des circuits de dépistage à la suite de propos désobligeants tenus à leur endroit. Or, ces cancers sont plus fréquents en cas d’obésité. Il est donc important que les femmes concernées bénéficient d’un suivi régulier associant un frottis et une mammographie annuels.
TLM : Comment traite-t-on l’obésité ?
Pr Sébastien Czernichow : Il faut d’abord fixer avec le patient des objectifs de perte de poids réalistes : un à deux kilos par mois jusqu’à l’obtention d’une perte de 5 à 10 % du poids initial. Le premier traitement de l’obésité repose sur des mesures hygiéno-diététiques. Comme toutes les personnes obèses présentent un déconditionnement à l’effort, la première étape est de leur proposer une activité physique ; mais avant cela, il faut analyser leurs capacités physiques afin de s’y adapter. La durée hebdomadaire conseillée est d’au moins 150 minutes, qui peut être fractionnée en plusieurs sessions. Même chose concernant la prise en charge diététique : elle doit être personnalisée, ce qui nécessite de connaître les comportements et habitudes alimentaires des patients. Le suivi par un diététicien peut alors s’avérer nécessaire. En cas de TCA, une thérapie cognitivo-comportementale est souvent utile.
TLM : Existe-t-il des médicaments indiqués dans le traitement de l’obésité ?
Pr Sébastien Czernichow : Depuis mars 2021, un agoniste des récepteurs du GLP-1 peut être prescrit aux patients en surpoids (IMC>27 kg/m2) et présentant au moins une comorbidité, ou aux patients obèses (IMC≥30 kg/m2). A base de liraglutide, ce produit non remboursé agirait sur la satieté et les principaux signaux de la faim.
TLM : À quels patients peut-on proposer une chirurgie bariatrique ?
Pr Sébastien Czernichow : À ceux dont l’IMC dépasse 35 kg/m2 et qui présentent des comorbidités susceptibles d’être améliorées par la chirurgie, ou lorsque l’IMC est supérieur à 40 kg/m2, avec ou sans comorbidités. Les trois principales techniques utilisées en France sont le by-pass gastrique, la sleeve et l’anneau gastrique ajustable. Dans certains cas extrêmes, on peut proposer une dérivation biliopancréatique. La décision d’opérer est prise en réunion de concertation pluridisciplinaire, après une évaluation préopératoire d’ordre médical, chirurgical, psychologique et nutritionnel, une évaluation qui s’étale sur six mois. Le patient s’engage alors à prendre des compléments à base de vitamines et de minéraux pendant toute sa vie, ce qui implique un suivi ininterrompu incluant des bilans sanguins bisannuels pour s’assurer qu’il n’est pas carencé. Avec environ 50 000 interventions annuelles, la France figure au 3e rang mondial derrière les États-Unis et le Brésil.
Propos recueillis
par Jeanne Labrune ■
* L’indice de masse corporelle est défini par le rapport du poids sur le carré de la taille (IMC=kg/m2)