• Pr COUTURAUD : Pour ne pas passer à côté d’un diagnostic de HTP-TEC

Francis COUTURAUD

Discipline : Pneumologie

Date : 11/07/2022


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Pris en charge correctement et à temps, l’espérance de vie des patients atteints d’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HTP-TEC) est quasiment normale, note le Pr Francis Couturaud, pneumologue au CHU de Brest. D’où l’importance pour les médecins généralistes de savoir en reconnaître les signes.

 

TLM : Quand faut-il évoquer une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique ?

Pr Francis Couturaud : Il y a plusieurs circonstances qui doivent faire évoquer une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HTP-TEC). La première est celle d’un patient qui a présenté une embolie pulmonaire et qui est revu en consultation à trois mois et six mois. Si ce patient présente une dyspnée persistante résiduelle, c’est-à-dire s’il n’a pas retrouvé la respiration normale qu’il avait avant l’embolie, il faut rechercher une HTP-TEC. Il convient alors d’évaluer l’importance de la dyspnée et réaliser une échographie cardiaque. Si l’échographie suggère ou montre des signes d’hypertension pulmonaire ou d’anomalie de la fonction cardiaque droite, le premier examen à faire est la scintigraphie pulmonaire de ventilation/perfusion. Si elle montre des anomalies, le patient sera orienté vers un centre de compétence — il en existe 23 en France — où sera effectué un cathétérisme cardiaque droit. Si une HTP-TEC est diagnostiquée, le patient sera transféré au seul centre de référence en France, à l’hôpital Bicêtre, où la décision thérapeutique sera prise.

 

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TLM : Quelles sont les autres circonstances de découverte de la HTP-TEC ?

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Pr Francis Couturaud : Il peut s’agir de patients adressés dans un service de pneumologie ou de cardiologie pour un essoufflement important qui va crescendo depuis quelques mois, alors que les résultats des examens classiques pour explorer les fonctions cardiaques et pulmonaires ne permettent pas d’identifier une cause évidente. Et pourtant, le patient est très gêné dans la vie quotidienne. Ce patient ne rapporte pas d’antécédent d’embolie pulmonaire, mais quand on l’interroge très précisément, des antécédents d’hospitalisation pour des épisodes pulmonaires mal étiquetés — peut-être des embolies pulmonaires non diagnostiquées — sont retrouvés. L’échographie cardiaque met alors en évidence une altération de la fonction ventriculaire droite. Ces signes font suspecter une hypertension pulmonaire. La scintigraphie pulmonaire, puis le cathétérisme dans le centre de compétence confirmeront le diagnostic. Le troisième cas de figure c’est celui d’un patient hospitalisé pour une embolie pulmonaire sévère.

La pression pulmonaire systolique apparaît très élevée, ce qui n’est pas normal même dans le cas d’une embolie pulmonaire grave. Quand elle est supérieure à 60 millimètres de mercure, il faut évoquer l’hypertension pulmonaire. C’est un signe d’alerte dès la phase aiguë de l’embolie pulmonaire.

 

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TLM : Quelle est la prévalence de cette pathologie ?

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Pr Francis Couturaud : On dénombre chaque année 300 cas déclarés de HTP-TEC en France. Ce chiffre est très probablement sous-estimé. Le nombre de nouveaux cas annuels avoisinerait plutôt les 600. Le retard diagnostic est préjudiciable au pronostic. La médiane de survie en l’absence de prise en charge est de cinq ans. La majorité des patients présentent des formes évolutives graves. Une petite proportion seulement souffrent de formes peu évolutives.

 

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TLM : Quelle est la physiopathologie de cette maladie ?

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Pr Francis Couturaud : Elle n’est pas complètement élucidée. En fait, il s’agit de la résorption incomplète d’un thrombus dans l’artère pulmonaire. Le caillot devient fibreux, se fond dans la paroi de l’artère pulmonaire qui diminue de calibre. Les cellules endothéliales sont ainsi stimulées et sécrètent des facteurs de prolifération de cellules musculaires lisses au sein des capillaires, ce qui induit une augmentation des résistances. Si le thrombus se résorbe mal, c’est sans doute en raison d’un système de fibrinolyse physiologique pas ou peu efficace.

 

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TLM : Comment prendre en charge ces patients une fois le diagnostic posé ?

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Pr Francis Couturaud : Il est capital de faire le diagnostic sans retard car il existe désormais des traitements efficaces. Une fois posé le diagnostic, il reste à déterminer la prise en charge optimale. Dans tous les cas, les patients seront mis sous anticoagulants à vie pour prévenir les récidives. Le choix d’un traitement spécifique de la HTP-TEC est décidé de manière pluridisciplinaire avec les médecins, les chirurgiens et les radiologues interventionnels. La première option, et unique traitement curatif, c’est la thrombo-endartériectomie chirurgicale. Quand ce traitement marche, le patient est guéri. Il s’agit d’une chirurgie lourde mais bien maîtrisée, qui ne s’effectue que dans un seul centre en France, à l’hôpital Marie-Lannelongue (Le Plessis-Robinson, dans la région parisienne), et qui se déroule sous circulation extra-corporelle. L’objectif est de rétablir un calibre artériel normal. Le taux de mortalité des patients est de l’ordre de 3 %.

Cette chirurgie est réservée aux patients en bon état général, présentant des lésions au niveau de la partie proximale de l’artère sur les gros troncs artériels. Au total, environ 60 % des patients peuvent en bénéficier.

 

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TLM : Et quand la chirurgie n’est pas possible ?

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Pr Francis Couturaud : Si les patients ne sont pas opérables, parce que trop fragiles ou parce que les lésions concernent des petites artères, deux traitements, parfois combinés, sont disponibles. Le patient peut être traité par vasodilatateurs, le riociguat, par voie orale. C’est le traitement de référence, le seul à bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Une angioplastie des artères pulmonaires peut être proposée, souvent en deuxième intention après l’instauration du traitement médical, pour ré-ouvrir les artères pulmonaires sténosées à l’aide d’une sonde à ballonnet, par le biais d’un cathéter par voie veineuse qui remonte jusqu’au cœur droit vers les artères pulmonaires. Le traitement médical est parfois prescrit dans un second temps, après l’angioplastie, en cas d’échec ou de résultat partiel de l’angioplastie. Globalement, l’angioplastie est beaucoup moins agressive et dangereuse que la chirurgie. Dans certains cas, chez des patients non opérables, si l’angioplastie s’est avérée insuffisante, il est possible aussi de proposer une réhabilitation respiratoire.

 

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TLM : Quels sont les résultats de cette prise en charge ?

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Pr Francis Couturaud : La thromboendartériectomie chirurgicale est le seul traitement curatif, qui permet dans la majorité des cas une guérison des patients (c’est-à-dire une normalisation des pressions pulmonaires). Pour l’angioplastie, les résultats sont moins spectaculaires, mais ceux qui en bénéficient peuvent être guéris ou en tout cas se sentir très amélioré pour la dyspnée d’effort. Lorsqu’il reste une HTP-TEC résiduelle, le traitement par vasodilatateurs sera poursuivi à vie. Aujourd’hui, le pronostic s’est nettement amélioré, y compris chez les patients non éligibles à la chirurgie. Nous disposons de solutions très efficaces pour ces malades. Or le diagnostic reste sous-estimé ; il est donc important que les médecins généralistes ne passent pas à côté du diagnostic. Pris en charge correctement et à temps, l’espérance de vie et la qualité de vie de ces patients sont très améliorés.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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