• Pr. COUTURAUD : Diagnostiquer et traiter la maladie thromboembolique veineuse

Francis COUTURAUD

Discipline : Cardiologie

Date : 25/04/2021


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TLM : Combien de cas de maladie thromboembolique veineuse recense-t-on en France chaque année ? Pr Francis Couturaud : La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) regroupe deux manifestations cliniques : la thrombose veineuse profonde (TVP) ou phlébite et sa complication directe, l’embolie pulmonaire (EP). C’est une maladie fréquente : 1 à 2 personnes sur 1 000 en France développent une MTEV, soit plus de 200 000 cas chaque année. Dont plus de 6 000 décès par an : 10 % de mortalité dans l’EP et 2% dans la TVP. C’est la troisième cause de mort d’origine cardiovasculaire après l’AVC et l’infarctus du myocarde.

Quels sont les facteurs de risque ?

Dans 50 % des MTEV, un facteur déclenchant est présent : voyage en position assise plus de six heures, intervention chirurgicale,
immobilisation plâtrée à cause de fractures, alitement prolongé... Le cancer est un autre facteur de risque majeur car il augmente la coagulation du sang. La pilule œstroprogestative, la grossesse et le traitement hormonal de la ménopause sont d’autres facteurs de
risque importants. Des maladies auto-immunes (Crohn, lupus...) augmentent aussi le risque de MTEV à cause d’un état inflammatoire qui active la coagulation. Dans 20% des cas environ, on retrouve des facteurs héréditaires : des mutations génétiques qui favorisent la stase sanguine ou activent la coagulation. D’ailleurs, quand la MTEV survient en l’absence de facteur déclenchant, c’est qu’il existe bien souvent une hérédité qu’on ne sait pas mettre en évidence, ou un cancer qu’on diagnostiquera quelques mois plus tard. Enfin, chez le sujet de plus de 70 ans, la coagulation est activée, ce qui augmente le risque de MTEV. Mais l’âge est un facteur de risque qui se rajoute aux autres.

Comment poser le diagnostic ?

Pour la TVP, le médecin est parfois alerté par des signes évocateurs : un œdème ou une douleur subite et persistante sur une seule jambe, éventuellement une rougeur, l’unilatéralité étant le principal critère de diagnostic différentiel. L’EP est parfois découverte parce que le patient présente un essoufflement aigu brutal, une douleur thoracique unilatérale, des petits crachats de sang ou encore une tachycardie soudaine et inexpliquée. Plus de la moitié des EP surviennent sans signe avant-coureur de TVP, car les phlébites ne sont pas toutes symptomatiques et diagnostiquées. Enfin, les signes n’étant pas spécifiques, il est fréquent que le diagnostic de TVP ou d’EP ne soit évoqué suffisamment tôt et conduise à réaliser les examens de confirmation avec retard.

Quels sont les examens à pratiquer pour confirmer le diagnostic ?

Le traitement curatif repose aujourd’hui sur les anticoagulants oraux directs (AOD) : ils agissent très rapidement, sont très efficaces et ne nécessitent pas d’adaptation des doses. Ils occasionnent peu d’interactions avec d’autres médicaments. La durée minimale du traitement est de trois mois, qu’on ait eu une TVP ou une EP. Au-delà de trois mois, on sera amené à stopper le traitement ou à le prolonger en fonction de la balance bénéfices/risques. Ces AOD augmentent le risque de saignement interne : hémorragie dans un organe, hématome cutané, voire, dans de très rares cas, hémorragie cérébrale... En général, lorsqu’une MTEV est liée à un événement transitoire (chirurgie, grossesse), on propose un traitement court, de trois à six mois maximum. Si la MTEV survient pendant un cancer, on prescrit les AOD pendant toute la durée du traitement anticancéreux. Si la MTEV survient spontanément et qu’on ne retrouve pas de facteur de risque, se pose alors la question d’un traitement à vie : car il s’agit de patients à très haut risque.

 Quelle place les anticoagulants injectables conservent-ils dans le traitement de la MTEV et de laTVP?

En médecine comme en chirurgie, ils gardent une place essentielle dans la prévention. Quand un patient doit être alité ou plâtré par exemple, on procède à des injections d’anticoagulants à doses préventives faibles. Mais on utilise aussi les injectables à doses curatives sur des périodes prolongées chez la femme enceinte qui présente une MTV : on la traite par héparine injectable pendant toute la durée de la grossesse. Les anticoagulants injectables ne passent pas la barrière placentaire contrairement aux AOD. D’ailleurs ces derniers sont contre-indiqués pendant la grossesse à cause d’un risque tératogène (malformations) et un risque hémorragique pour le fœtus.

 Quelles sont les contre-indications des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ?

Pour les HBPM, quelle que soit la dose, il y a contre-indication absolue en cas d’antécédent de thrombopénie induite à l’héparine. Pour les HBPM à doses curatives, l’insuffisance rénale sévère (clairance de créatinine < 30 ml/min) est une contre-indication absolue. Pour les HBPM à dose préventive, l’insuffisance rénale sévère est une contre-indication relative.

Qu’a montré l’étude PADIS que vous avez menée ?

 

C’est une étude conduite avec des patients ayant eu un premier épisode d’EP ou de TVP spontanée, sans facteurs de risque : ils ont été traités pendant six mois par warfarine, un antivitamine K Ensuite, ils ont été randomisés (tirage au sort) à poursuivre la warfarine pendant 18 mois supplémentaires ou un placebo pendant 19 mois. Nous avons montré que, dans le groupe qui prolongeait la prise de warfarine, le traitement était extrêmement efficace. En revanche, le taux de récidives était très important dans le groupe placebo : plus de 15% à un an ! Il y a donc un bénéfice majeur à maintenir le traitement. Mais quand ce traitement prolongé est stoppé, le bénéfice s’arrête en même temps. Ainsi, un traitement d’un total de deux ans n’apporte pas de bénéfice comparé à un traitement de six mois. L’étude suggère donc qu’il faut envisager un traitement à vie dès le premier épisode spontané de MTEV sans facteur de risque, donc chez une majorité de patients.

Dans quel contexte un patient peut-il être traité à vie ?

La décision est prise en fonction du risque de récidive si on arrête le traitement, en fonction du risque hémorragique si on le poursuit, mais aussi en fonction de la préférence du patient. L’étude PADIS met donc fin à 20 ans de débats portés sur la durée des traitements et renforce la recommandation internationale qui est plutôt en faveur d’un traitement au long cours.

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur la prise en charge des MTEV ?

La Covid augmente le risque de TVP et d’EP de façon très importante. Quand un patient Covid arrive à l’hôpital avec une détresse respiratoire, on recherche systématiquement la présence éventuelle d’une EP qu’on retrouve dans 10% des cas. Ceux qui sont hospitalisés pour une pneumonie se voient prescrire immédiatement un traitement préventif avec les anticoagulants injectables. Pour les plus sévères, nous sommes amenés parfois à augmenter les doses préventives. A ce stade, nous n’avons pas d’éléments qui

 

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