• Pr CORTET : Vitamine D : administrer des doses plus faibles et intermittentes

Bernard CORTET

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 11/04/2022


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De nouvelles galéniques facilitent l’observance de la vitamine D, en particulier chez les personnes âgées pour lesquelles une supplémentation est nécessaire, souligne le Pr Bernard Cortet, chef du service de Rhumatologie au CHU de Lille et président du GRIO (Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses).

 

TLM : En quoi la vitamine D n’est pas une vitamine comme les autres ?

Pr Bernard Cortet : La vitamine D est particulière dans le sens où cette vitamine liposoluble a deux origines : la synthèse cutanée sous l’action des rayons UVB lors d’une exposition au soleil — qui est, et de loin, sa principale source —, et l’alimentation. La quantité de vitamine D synthétisée dans la peau varie d’une personne à l’autre car elle dépend notamment de l’âge, de la pigmentation de la peau (les personnes à la peau foncée ont une capacité de synthèse moindre que les personnes à la peau claire), de l’utilisation ou non de crème solaire (qui empêche de synthétiser la vitamine D) et de la durée de l’exposition au soleil. L’alimentation, quant à elle, fournit deux types de vitamine D : la vitamine D2 (ou ergocalciférol) que l’on retrouve en petites quantités dans les aliments d’origine végétale comme les brocolis et certains champignons, et la vitamine D3 (ou cholécalciférol) présente dans certains aliments d’origine animale (foie de morue, poissons gras, beurre, jaune d’œuf). Pour être active, la vitamine D doit être transformée en 1,25 dihydroxyvitamine D (ou calcitriol), ce qui nécessite une double hydroxylation — la première dans le foie, la seconde essentiellement dans les reins.

 

TLM : Quels sont les rôles de la vitamine D ?

Pr Bernard Cortet : La vitamine D participe à la régulation du métabolisme phosphocalcique et est associée à la santé des muscles et du squelette. Elle stimule l’absorption digestive du calcium et du phosphate et l’expression du fibroblast growth factor 23 (FGF23) par l’os ; elle régule, en synergie avec la parathormone (PTH), la réabsorption rénale distale du calcium et le remodelage osseux, et exerce un rétrocontrôle sur la sécrétion de PTH. Elle intervient également dans le processus de minéralisation de la substance ostéoïde.

 

TLM : Quelles sont les maladies associées à une carence en vitamine D ?

Pr Bernard Cortet : Une carence profonde en vitamine D est responsable de pathologies caractérisées par un défaut de minéralisation osseuse, rachitisme chez l’enfant et ostéomalacie chez l’adulte, et de douleurs musculaires diffuses. Chez l’adulte, certains troubles musculaires (baisse de tonus musculaire, crises de tétanie, convulsions), responsables des chutes spontanées chez certains patients âgés, sont associés à une carence en vitamine D. Il a aussi été observé des associations entre l’apport de vitamine D et la réduction de la mortalité globale, une baisse des infections, des maladies inflammatoires (diabète, sclérose en plaques), et des maladies cardiovasculaires, mais quasiment aucun essai randomisé n’a permis de mettre en évidence des liens de causalité. Par conséquent, la vitamine D n’est pas, à ce jour, considérée comme un moyen thérapeutique dans ces affections.

 

TLM : Comment explique-t-on, néanmoins, une telle diversité dans les pathologies potentiellement associées à une carence en vitamine D ?

Pr Bernard Cortet : D’une part, il y a dans de nombreux tissus des récepteurs à la vitamine D. D’autre part, la 1-alpha-hydroxylase, responsable de la seconde hydroxylation, et donc de la production de la forme active de la vitamine D, est présente dans de nombreux autres tissus en dehors des reins : on la retrouve notamment dans le cerveau, dans la prostate, les seins, le côlon, les muscles et dans les cellules de l’immunité. Ceci explique très certainement pourquoi des carences en vitamine D ont été associées à des maladies aussi diverses.

 

TLM : Quels sont les effets d’une supplémentation en vitamine D ?

Pr Bernard Cortet : De nombreuses études d’intervention ont été menées, avec des résultats variables. Elles confirment toutefois l’utilité d’une supplémentation en vitamine D dans certaines populations. Le principal effet thérapeutique de la vitamine D est sa capacité à prévenir les fractures de hanche et les fractures non vertébrales ; cette efficacité antifracturaire est toutefois modérée (15 %), et concerne surtout les personnes âgées qui ont un taux très bas de vitamine D (notamment celles vivant en institution). Les données extra-osseuses montrent, par ailleurs, un effet significatif en prévention des chutes, là aussi principalement chez les individus de plus de 70 ans dont le taux initial en vitamine D est très bas. Dans les deux cas, l’apport en vitamine D doit être d’au moins 20 μg (800 UI) par jour, et la concentration en 25-hydroxyvitamine D (25OHD) doit être supérieure à 30 ng/ml. De plus, un statut optimal en vitamine D permet de prévenir les formes graves d’infection pulmonaire, en particulier celles liées au SARS-CoV-2.Enfin l’obtention d’un statut vitaminique D optimal est un pré-requis nécessaire à la mise en œuvre d’un traitement anti-ostéoporotique.

 

TLM : Quels sont les individus le plus à risque de carence ou de déficit ?

Pr Bernard Cortet : Les personnes âgées de 65 ans et plus et, chez les plus jeunes, celles atteintes de maladies chroniques, qui souffrent d’obésité, les individus qui ne sortent pas de chez eux, qui ne s’exposent pas à la lumière du jour ou qui protègent trop leur peau des rayons du soleil. D’ailleurs, la prévalence de l’insuffisance en vitamine D pourrait paradoxalement être plus élevée dans les pays où l’ensoleillement est important du fait d’un excès de protection.

 

TLM : Quelles sont les modalités d’une supplémentation en vitamine D ?

Pr Bernard Cortet : La supplémentation doit permettre d’atteindre une concentration sérique de 25 OHD comprise entre 20 et 60 ng/ml dans la population générale, et entre 30 et 60 ng/ml chez les patients ostéoporotiques et chez ceux à risque d’insuffisance ou de carence en vitamine D. En France, des doses de 50 000, 80 000, 100 000 et 200 000 UI de vitamine D3 et 600 000 UI de vitamine D2 sont disponibles. La faible adhésion à la prise journalière de vitamine D sous forme de gouttes, notamment chez les personnes âgées, et les risques de mésusage conduisent à privilégier la prescription de doses administrées de manière intermittente en utilisant les conditionnements les moins dosés en vitamine D. En effet, plusieurs études suggèrent que la prescription de fortes doses très espacées serait non seulement inefficace mais contre-productive.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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