• Pr. CORNU : Vessie douloureuse (SVD): ne pas négliger la souffrance des patientes

Jean-Nicolas CORNU

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 19/10/2020


  • 74_photoParole_121PE_Cornu.jpg

TLM : Comment définit-on un syndrome de la vessie douloureuse?
Pr Jean-Nicolas Cornu :
Le syndrome de la vessie douloureuse est avant tout une douleur dont se plaignent les patientes depuis au moins trois à six mois. Rythmée par le remplissage et la vidange de la vessie, celle-ci est désignée soit du plat de la main au niveau du périnée, soit du plat de la main au niveau du ventre. Rarement isolée, elle peut s’accompagner de signes gynécologiques, signes digestifs, douleurs musculaires, ou encore d’autres signes urinaires (pollakiurie, incontinence). C’est pourquoi on parlera plutôt de syndrome douloureux pelvien chronique, dont le syndrome de la vessie douloureuse constitue un sous-type, et qui sous-entend que l’on élargit potentiellement la problématique de la douleur pelvienne à d’autres organes.

 

Vous faites référence à des patientes. Les femmes sont)elles davantage touchées que les hommes par le SVD ?

En effet, ce syndrome touche majoritairement les femmes à tout âge : près de 6 femmes pour 1 homme, avec un impact variable sur la qualité de vie (troubles du sommeil, perte de son emploi et même de son conjoint), pouvant conduire, dans certains cas rares, à des situations dramatiques voire invalidantes.

 

Connaît-on les causes de ce syndrome ?

Il n’y a pas de causes identifiées jusqu’à preuve du contraire. En effet, ce syndrome peut par exemple être lié à une endométriose chez les femmes en âge de procréer. Une fois cette endométriose soignée, la patiente n’aura plus mal. En revanche, pour nombre de patientes, on est amené à traiter le symptôme douloureux sans avoir pu identifier une quelconque anomalie. Ce syndrome semble toutefois se caractériser par un « début brutal » tels une cystite mal soignée trois ans plus tôt, un choc émotionnel voire un abus sexuel, suivi d’une évolution fluctuante et d’une chronicisation avec un fond douloureux et des périodes de crise plus intense.

 

Comment en poser le diagnostique ?

Toute douleur qui perdure dans le temps est suspecte et ne doit pas être négligée. L’examen clinique et le bilan urologique viseront dans un premier temps à écarter l’infection urinaire, le cancer de la vessie ou les lithiases qui peuvent aussi entraîner des symptômes douloureux et des mictions fréquentes. Il s’agira ensuite de caractériser la douleur de façon précise, en recherchant tous les autres signes urinaires, gynécologiques, anorectaux et digestifs, et de vérifier si la patiente présente d’autres antécédents douloureux (fibromyalgie, migraine, syndrome de l’articulation temporo-mandibulaire). Enfin, la cystoscopie, réalisée sous anesthésie, permet de détecter une éventuelle anomalie endoscopique, telle une lésion de Hunner, dans environ 10 % des cas.

 

Quels sont les différents types de prise en charge?
Outre les antalgiques et la limitation des facteurs aggravants (caféine, soda, épices, alcool), les traitements à disposition sont généralement complémentaires. Ceux-ci ne permettent pas de guérir mais de soulager en atténuant les symptômes. L’arsenal thérapeutique comprend des produits à instillation endo-vésicale (acide hyaluronique) ou le pentosane polysulfate qui agissent au niveau des glycosaminoglycanes tapissant la paroi interne de la vessie, des anticholinergiques, des antidépresseurs, des myorelaxants ou encore des anxiolytiques. Dans le but d’aider au choix du traitement, d’optimiser l’adhésion et de stabiliser la situation pour éviter qu’elle ne devienne invivable, les praticiens peuvent avoir recours au système UPOINT (Urinary / Psychosocial / Organ Specific / Infection / Neurologic / Systemic / Tenderness) qui permet de classer les patients en fonction de domaines cliniquement pertinents ou sous-types. En cas d’échec thérapeutique chez des patientes dont les symptômes deviennent trop invalidants ou en cas de dysfonctionnement majeur de la vessie, on aura exceptionnellement recours à une cystectomie avec remplacement de la vessie.

La prise en charge de ce syndrome nécessite la plupart du temps la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire comprenant, outre l’urologue, un gastroentérologue spécialisé dans ce genre d’affection, un gynécologue, mais aussi un algologue, un kinésithérapeute spécialiste de la santé pelvienne, un médecin du sport ou un rééducateur, un

psychologue, un hypnothérapeute, un acupuncteur, voire un sexologue.

 

Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge de ce syndrome ?
Il est primordial pour le médecin généraliste de ne pas passer à côté de la souffrance de ces patientes. Dans le cas de douleurs chroniques, il convient d’adresser les patientes à un confrère urologue spécialisé dans le domaine de l’urologie fonctionnelle. Le médecin généraliste pourra aussi s'appuyer sur les centres de douleur chronique afin d'organiser la prise en charge. Enfin, rassurer les patientes sans leur donner de faux espoirs reste essentiel, l’enjeu étant ici de leur permettre de trouver un équilibre et de vivre avec ce syndrome la vie qu’elles souhaitent mener.

 

Propos recueillis par Valérie Dolle

 

 

 

 

  • Scoop.it