• Pr COHEN : « Les AOD ont révolutionné la prise en charge de la fibrillation atriale »

Ariel COHEN

Discipline : Cardiologie

Date : 11/04/2022


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Au-delà de ces médicaments, la prise en charge des patients relève de la médecine générale et de la prévention des facteurs de risque de ce trouble du rythme cardiaque, estime le Pr Ariel Cohen, chef de service de Cardiologie à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Tenon (Paris).

 

TLM : La prévalence de la fibrillation atriale ne cesse d’augmenter. Comment l’explique-t-on ?

Pr Ariel Cohen : La fibrillation auriculaire ou atriale fait partie du quotidien de la consultation d’un médecin généraliste ou d’un cardiologue. Il s’agit de la première arythmie en terme de fréquence en France et en Europe. Le vieillissement explique, en grande partie, la hausse continuelle de sa prévalence, mais les multiples facteurs de risque cardiaques (hypertension artérielle, diabète, obésité, sédentarité, apnée du sommeil), la consommation excessive d’alcool et de drogues, ou encore les dysthyroïdies sont également à pointer du doigt.

 

TLM : Quels sont ses principaux risques de complications ?

Pr Ariel Cohen : Il y en a deux : l’insuffisance cardiaque lié à un mauvais remplissage du cœur en diastole et la thrombo-embolie artérielle, induite par une stase sanguine dans l’oreillette gauche dilatée à la suite de l’asynchronisme et du remodelage, qui découle de la perte de contraction de l’oreillette.

 

TLM : Quelle stratégie thérapeutique adopter pour lutter contre ce trouble du rythme cardiaque ?

Pr Ariel Cohen : La stratégie thérapeutique repose, depuis plus de 30 ans, sur le traitement anticoagulant, qui diminue des deux tiers le risque thromboembolique en prévention primaire. Il n’est cependant pas indiqué chez tous les patients. Pour orienter leur décision thérapeutique, les médecins peuvent s’appuyer sur le score CHA2DS2VASc, qui attribue 1 ou 2 points à chacun des facteurs de risque majeur de thromboembolie artérielle : insuffisance cardiaque (1 point), Hypertension artérielle (1), Âge supérieur ou égal à 75 ans (2), Diabète (1), antécédents Vasculaires (AVC, AIT ou embolie - 2), Âge compris entre 65 et 74 ans (1), et le fait d’être une femme (1). Le traitement anticoagulant est formellement indiqué pour un score ≥3 chez une femme et ≥2 chez un homme. En cas de score égal à 1, il n’est pas indiqué de traiter une femme, tandis que l’indication du traitement anticoagulant est recommandé chez un homme (ESC 2020).

 

TLM : Quelle a été, selon vous, l’avancée médicamenteuse majeure dans le traitement de la fibrillation atriale au cours des 10 dernières années ?

Pr Ariel Cohen : Sans conteste l’avènement des anticoagulants oraux directs — ou AOD. Comparés aux antivitamine K, ces médicaments offrent de multiples avantages : ils sont faciles à prendre, à raison d’une ou deux prises quotidiennes selon la molécule ; ils ont une efficacité quasi immédiate et au moins équivalente, si ce n’est supérieure, aux AVK. Comme ils n’interfèrent pas avec les tests usuels de la coagulation, aucun contrôle (comme l’INR pour les AVK) n’est nécessaire ; et, surtout, le risque hémorragique cérébral auquel ils exposent est nettement moindre (divisé par un facteur 2 en moyenne). L’observance des patients doit, en contrepartie, être parfaitement rigoureuse, en l’absence de tests de contrôle.

 

TLM : Concrètement, qu’est-ce que les AOD ont changé dans la prise en charge des patients ?

Pr Ariel Cohen : Ils ont révolutionné la prise en charge de cette arythmie cardiaque en permettant la prise en charge ambulatoire des patients. Auparavant, ces derniers devaient être hospitalisés pendant plusieurs jours pour recevoir un traitement anticoagulant par voie parentérale — en général une héparine de bas poids moléculaire prescrite par le cardiologue de l’hôpital pour son efficacité immédiate, tandis que les antivitamine K ont un délai d’action pour atteindre l’efficacité de trois à cinq jours. Aujourd’hui, les patients reçoivent des médicaments pour ralentir la cadence ventriculaire, des AOD, et ils rentrent au domicile à la condition de consulter rapidement afin de compléter le bilan ! Le traitement peut même être initié par le médecin généraliste en attendant d’obtenir un avis cardiologique spécialisé, qui reste indispensable pour déterminer la cause et décider du traitement de réduction de la FA à long terme.

 

TLM : Dans quelles situations les AOD sont- ils contre-indiqués ?

Pr Ariel Cohen : Il existe, à ce jour, deux contre-indications absolues : l’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatine <15 mL/min) et le port de prothèses cardiaques mécaniques, en raison du surrisque hémorragique auquel elles exposent. Des essais thérapeutiques testant l’efficacité des AOD, y compris chez les patients porteurs de prothèses cardiaques, vont néanmoins être menés dans les années à venir. L’insuffisance rénale sévère pourrait donc rester la seule contre-indication absolue à la prescription d’AOD.

 

TLM : Quelle est la stratégie thérapeutique au long cours ?

Pr Ariel Cohen : La stratégie thérapeutique au long cours est décidée dans un second temps, avec le cardiologue, parmi plusieurs options : doit-on réduire l’arythmie pour essayer de ramener les patients en rythme sinusal et discuter en particulier les indications de l’ablation ? Les laisser en fibrillation atriale ? Ou les hospitaliser en raison des risques d’insuffisance cardiaque ? Le traitement anticoagulant fait partie de cette stratégie et c’est un traitement à vie. Pour autant, il est important de rappeler aux patients que la prise en charge de leur trouble ne se limite pas à la prescription de ce médicament, aussi efficace soit-il ; pour éviter les récidives, dont la fréquence atteint 30 à 50 % à un an, les patients doivent impérativement corriger les facteurs de risque à l’origine de leur arythmie. Même s’il n’existe, à ce jour, pas de consultation dédiée, ils sont informés par l’équipe médicale et paramédicale des risques, contraintes et rationnels du traitement. Il n’en reste pas moins que la moitié des patients hypertendus n’ont pas de traitement antihypertenseur et les deux tiers des patients hospitalisés pour un AVC en FA n’ont pas de traitement anticoagulant à l’admission... Contrairement aux spécialistes, souvent considérés par les malades comme des hypertechniciens, les médecins généralistes sont proches de leurs patients et connaissent généralement bien leur environnement personnel et professionnel, savent s’ils ont pris du poids récemment, s’ils souffrent d’addictions à l’alcool ou au cannabis, d’apnée du sommeil... Ils ont donc un rôle majeur à jouer pour limiter les risques de fibrillation atriale et de leurs complications.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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