• Pr. CLEMENT : Le microbiote intestinal, clé de voûte de notre équilibre digestif

Karine CLEMENT

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 01/02/2021


  • 110_photoParole_122PE_Clement.jpg

LM : Pourquoi considère-t-on le microbiote comme un organe à part entière ? Pr Karine Clément : On parle d’organe à part entière dans le sens où le microbiote a une forte activité métabolique et qu’il dialogue en permanence avec l’organisme et son environnement, comme le font les poumons, l’estomac ou le foie par exemple. D’ailleurs, nous devrions plutôt parler « des » microbiotes, car si le plus riche et le plus étudié est de loin le microbiote intestinal, nous en abritons plusieurs : au niveau de la peau, de la bouche, du vagin, et même au sein d’organes que l’on pensait stériles comme les poumons. Au total, ce sont 100 000 milliards de microorganismes (essentiellement des bactéries, mais aussi des levures et des virus), qui vivent ensemble de façon plus ou moins harmonieuse.

Quelles sont les fonctions du microbiote intestinal ?
uCe microbiote en exerce plusieurs : il participe à la maturation du système immunitaire chez le nouveau-né, il intervient dans la motilité intestinale, il participe à la digestion en dégradant les sucres complexes que l’organisme ne sait pas digérer, et il produit certaines vitamines, en particulier les vitamines du groupe B et la vitamine K. La bonne réalisation de ces fonctions repose sur l’équilibre entre les différents micro-organismes qui composent le microbiote intestinal.

Que se passe-t-il en cas de déséquili-
bre au sein de cet écosystème ?

u Un déséquilibre du microbiote — on parle de dysbiose — entraîne à la fois un changement dans sa composition et dans ses fonctions. Grâce aux avancées considérables permises par le séquençage génomique, on a pu analyser les espèces abritées par notre tube digestif, puis comparer le microbiote de personnes malades (maladies métaboliques, intestinales, neurodégénératives, rénales, psychiatriques...) à celui de personnes saines : la perte de diversité est une grande constante. Mais on ignore encore si cette dysbiose est la cause ou la conséquence de ces pathologies ; l’hypothèse est qu’il existe un cercle vicieux entre ce déséquilibre et des changements dans nos modes de vie (modifications de notre alimentation, prise de médicaments...), qui chroniciserait ces pathologies.

u Le transfert de microbiote fécal (TMF) est une technique très séduisante qui consiste à remplacer un microbiote intestinal dysbiotique par un microbiote prélevé sur une personne en bonne santé. Mais les scientifiques restent très prudents à l’égard de cette technique. D’ailleurs, le TMF n’a qu’une indication en santé, les infections à Clostridium difficile. Dans les maladies métaboliques, plusieurs expériences menées sur des rongeurs obèses ont montré les limites de cette approche : si l’alimentation initiale, riche en graisses et en sucres, n’est pas modifiée, le nouveau microbiote se déséquilibre rapidement à son tour. Ces résultats soulignent l’importance de l’environnement en général, et de l’alimentation en particulier, dans l’attention que l’on doit porter à son microbiote intestinal.

Il suffirait donc de modifier son alimentation ?
uLà encore, les choses ne sont pas si simples. Certes, on observe davantage de problèmes lorsque l’alimentation est peu diversifiée et pauvre en fibres. Mais il apparaît qu’une même alimentation n’a pas le même effet chez tout le monde. Une étude menée chez des patients obèses montre que ceux dont le microbiote intestinal était riche avant leur prise de poids avaient le meilleur profil d’amélioration après un régime riche en fibres, en protéines et en glucides à indice glycémique bas.

Que faut-il penser des probiotiques et des prébiotiques sous forme de compléments alimentaires ?
u De nombreux travaux portent sur l’intérêt des pro et prébiotiques, ainsi que sur celui des post-biotiques*, afin de déterminer comment les utiliser dans des pathologies complexes comme l’obésité ou le diabète. Pour l’heure, on manque de données solides. Néanmoins, leur consommation sous forme de compléments alimentaires ne semble pas avoir d’effets indésirables.

TLM : Aurait-on intérêt à proposer un test d’analyse du microbiote intestinal à chaque patient souffrant d’une maladie dans laquelle il pourrait être impliqué ? u Les sociétés savantes appellent à la prudence en raison de la variabilité de ces tests. En outre, de mon point de vue, on ne peut pas décorréler l’analyse du microbiote de celle de son environnement — alimentation mais aussi activité physique, cadre de vie... Les médicaments modulent également le microbiote intestinal : si les antibiotiques tout comme les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) altèrent son équilibre, les statines ont plutôt un effet bénéfique chez les patients qui reçoivent ce traitement pour prévenir le risque de maladie cardiovasculaire associé à leur obésité. Ces exemples montrent qu’il faudrait adopter une approche intégrative. L’intelligence artificielle pourrait prendre ici tout son intérêt. Autre élément : on sait désormais que la réponse d’un individu à une recommandation alimentaire dépend du profil de son microbiote. Il faut donc proposer des approches individuelles. C’est là que sont les vrais enjeux.

Propos recueillis par Mathilde Raphaël

  • Scoop.it