• Pr Claire Mounier-Véhier : Spécificités du syndrome coronarien aigu chez la femme

Claire Mounier-Véhier

Discipline : Cardiologie

Date : 13/10/2022


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Essoufflement inexpliqué au repos, douleur entre les omoplates, palpitations, nausées ou anxiété généralisée : autant de signes atypiques qui contribuent à retarder le diagnostic de syndrome coronarien aigu chez la femme, alerte le Pr Claire Mounier-Véhier, cardiologue et médecin vasculaire au CHU de Lille, cofondatrice du fonds de dotation Agir pour le cœur des femmes.

 

TLM : Les syndromes coronariens aigus chez les femmes sont-ils vraiment de plus en plus fréquents ?

Pr Claire Mounier-Véhier : En France, le nombre d’hospitalisations et de décès pour syndrome coronarien aigu augmente de façon plus importante chez les femmes que chez les hommes.

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez la femme, avec 200 décès par jour en France. Selon les derniers chiffres publiés du Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, il y aura eu, en 2016, 144 000 décès par maladie cardiovasculaire : 75 000 concernaient les femmes, avec 13 000 infarctus et 1 000 AVC. On note aussi une progression de 5 % par an des infarctus chez les femmes de moins de 54 ans, alors que leur nombre chez les hommes dans cette tranche d’âge diminue. Malgré cette progression nette, régulière, en particulier chez des femmes jeunes, tabagiques ou obèses, il y a cependant toujours deux fois plus d’infarctus en valeur absolue chez les hommes que chez les femmes dans cette tranche d’âge.

 

TLM : Le syndrome coronarien aigu est-il différent chez les femmes jeunes, par rapport aux plus âgées ?

Pr Claire Mounier-Véhier : De manière générale, les coronaires des femmes sont plus petites, plus fines que celles des hommes. Elles présentent plus de récepteurs aux catécholamines (les hormones du stress). Et les facteurs de risque comme le chômage, le stress, la dépression, la précarité sont plus fréquents. Les coronaires ont aussi plus de récepteurs aux œstrogènes qui ont un effet antiathérogène et vasodilatateur. Ces œstrogènes évitent que l’artère coronaire ne s’épaississe, ne s’encrasse, ne se rigidifie. Privés d’œstrogènes à la ménopause, les coronaires s’épaississent, s’y développent des plaques d’athérome. Avant la ménopause, le risque d’infarctus chez la femme est majoré par le tabac, le stress, la composante spastique (retrouvée dans la migraine et le syndrome de Raynaud) et la contraception orale combinée. Les plaques d’athérome sont plus souvent des plaques molles ou fibreuses, avec moins de calcifications et plus susceptibles de s’ulcérer, de s’éroder et de se disséquer. Le rétrécissement luminal est moindre. Mais l’érosion entraîne la formation d’un thrombus riche en plaquettes au niveau de la plaque avec une embolisation distale qui détruit le réseau de la microcirculation coronaire, ce qui est à l’origine de symptômes persistants et d’insuffisance cardiaque à plus ou moins long terme.

 

TLM : Et après la ménopause ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Après la ménopause, les facteurs de risque sont similaires à ceux des hommes, mais plus fréquents aussi, avec cholestérol, diabète, hypertension, obésité, tabac, sédentarité. Les plaques d’athérome « classiques » avec un gros noyau lipidique sont comparables à celles retrouvées sur les coronaires des hommes. Et c’est la rupture d’une plaque qui déclenche la thrombose coronarienne aiguë. Il a été montré qu’après la ménopause, lorsqu’une femme présente plus de six bouffées de chaleur par jour, il existe un risque significativement majoré d’hypertension, d’augmentation du LDL-cholestérol, d’insulinorésistance et in fine d’accidents cardiovasculaires.

 

TLM : Les symptômes de l’infarctus sont-ils vraiment différents chez la femme par rapport à l’homme ?

Pr Claire Mounier-Véhier : La douleur thoracique, manifestation clinique la plus fréquente, peut se présenter sous forme d’une simple oppression ou même être inexistante, en particulier chez la femme jeune et/ou diabétique. Dans 50% des cas, il s’agit d’une douleur atypique, d’un essoufflement inexpliqué au repos ou d’une douleur entre les omoplates répétée ou prolongée, mais aussi de palpitations, de nausées ou d’une anxiété généralisée... La fréquence de l’atteinte de la coronaire droite, proche de l’estomac et de l’œsophage explique la fréquence de la symptomatologie digestive. Ces signes atypiques contribuent à retarder le diagnostic. Les femmes et leur entourage mettent plus longtemps à appeler le SAMU, avec un retard fréquent à la prise en charge. Il est alors souvent trop tard pour procéder à une revascularisation —que l’on doit pratiquer dans les trois heures suivant le début des symptômes. La mortalité à 30 jours est ainsi plus importante que chez les hommes.

 

TLM : Comment repérer les femmes à risque ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Il existe un seul score, dit de Reynolds, qui évalue le risque des femmes, avec des données féminines spécifiques, en fonction des facteurs de risque. On dispose aussi d’une stratification du risque cardiovasculaire chez la femme établie par un consensus d’experts de la Société française d’HTA. Plus récemment, la pratique d’un coroscanner chez la femme ayant des facteurs de risque cardiovasculaire et/ou symptomatique permet de reclasser le risque cardiovasculaire selon le nombre de sites coronariens touchés en grade de sévérité 2, 3 ou 4. La prise en charge préventive des femmes à risque repose sur la prescription de statines, d’antiagrégants plaquettaires et d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Les patientes avec une hypercholestérolémie familiale doivent bénéficier d’un traitement spécifique.

 

TLM : Quelles sont les dernières recommandations de prise en charge ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Pour améliorer le traitement des femmes frappées par un syndrome coronarien, il faut réduire le délai de prise en charge afin qu’elles puissent bénéficier d’une désobstruction artérielle en urgence. Et pour cela, il faut faire mieux connaître, notamment aux femmes elles-mêmes, la symptomatologie qui leur est spécifique. Elles doivent recevoir les mêmes ordonnances de sortie de l’hôpital que les hommes, avec notamment la prescription de quatre médicaments (statines pour abaisser le LDL-cholestérol, antiagrégants plaquettaires, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et bêtabloquants) en association avec une révision du mode de vie et le contrôle des autres facteurs de risque (sevrage tabac, contrôle du diabète et de l’HTA). Elles doivent enfin bénéficier d’une rééducation cardiaque, contrairement à ce qui se passe actuellement pour la majorité d’entre elles. Avec Thierry Drilhon, dirigeant d’entreprises nous avons cofondé Agir pour le Cœur des femmes dont les trois missions sont d’alerter, d’anticiper et d’agir, avec pour objectifs de sauver la vie de 10 000 femmes à cinq ans. Un site internet www.agirpourlecoeurdesfemmes.com accompagne les professionnels de santé dans ce but.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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