• Pr Christophe Baudouin: L’apport des membranes amniotiques dans le traitement du ptérygion

Christophe Baudouin

Discipline : Ophtalmologie

Date : 06/07/2023


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La greffe de membrane amniotique est un récent traitement chirurgical des maladies inflammatoires de la cornée, notamment du ptérygion. Le point sur cette avancée avec le Pr Christophe Baudouin, chef de service à l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris.

 

TLM : Qu’est-ce que le ptérygion ?

Pr Christophe Baudouin : Il s’agit d’une prolifération cellulaire qui provient de la conjonctive, le tissu transparent à la surface de l’œil. Elle a pour caractéristique de recouvrir progressivement la cornée, sous une forme triangulaire particulière qui fait évoquer une aile d’oiseau (en grec pterugion, « petite aile »). Le ptérygion est bénin et n’expose pas à un risque de cancer. Mais il entraîne une déformation de la cornée et une baisse d’acuité visuelle si on le laisse se développer. En France, c’est très rare qu’il soit envahissant au point de recouvrir toute la cornée et de provoquer des cécités, comme cela peut se rencontrer dans des pays tropicaux.

 

TLM : Quelles sont les facteurs de risque ?

Pr Christophe Baudouin : Ce sont les UV, essentiellement par un éclairage latéral : on n’est donc pas toujours protégé par les lunettes de soleil. L’environnement joue aussi un rôle : l’exposition à la poussière —notamment professionnelle —, la sécheresse oculaire et des allergies oculaires peuvent constituer des facteurs de risque. Il n’y a pas d’épidémiologie précise mais il s’agit d’un phénomène banal. En France, on voit surtout des petits ptérygions peu agressifs et peu évolutifs.

 

TLM : Comment traiter les ptérygions peu développés ?

Pr Christophe Baudouin : Quand ils sont peu envahissants et peu évolutifs, il faut juste traiter les facteurs environnementaux : se protéger du soleil, de la poussière, traiter les allergies oculaires, la sécheresse oculaire et la pollution par des collyres adaptés. On prescrit aussi des collyres lubrifiants, à type de larmes artificielles. Lorsque l’œil est rouge, des collyres anti-inflammatoires. Attention aux collyres à base de cortisone : ils présentent un risque à long terme, celui de développer un glaucome. Avec ces traitements, on ne fait pas régresser le ptérygion. Mais lorsque les yeux ne sont pas irrités et les vaisseaux non dilatés, il est peu visible.

 

TLM : Quand faut-il opérer ?

Pr Christophe Baudouin : La chirurgie est utilisée si le ptérygion prolifère et se rapproche du centre de la cornée : dans ce cas, il déforme la cornée, provoque un astigmatisme et rend la vision trouble. On opère également s’il évolue trop rapidement ou s’il est jugé trop inesthétique

 

TLM : Le problème de la chirurgie, c’est la récidive du ptérygion : pour quelles raisons ? Est-ce fréquent ?

Pr Christophe Baudouin : Malheureusement oui : environ 30 % des cas en moyenne récidivent après l’intervention. Selon les techniques employées, cela peut être beaucoup plus. Parfois il vaut mieux ne pas opérer. Car, lorsque le ptérygion récidive, il repousse plus gros que celui d’origine : l’enlever le stimule en quelque sorte. Ce qui est compliqué, ce n’est pas d’enlever les ptérygions chirurgicalement mais de trouver une technique qui limite les récidives.

 

TLM : Quelle est la meilleure technique chirurgicale ?

Pr Christophe Baudouin : La seule technique est de le retirer entièrement, en effectuant une petite incision dans la conjonctive entourant le ptérygion, sous anesthésie locale et en ambulatoire le plus souvent. Depuis plusieurs dizaines d’années, on utilise des greffes de conjonctive. Autrement dit on prélève un peu de conjonctive du patient et on la met à la place de l’ancien ptérygion.

Ainsi on obtient beaucoup moins de récidives : environ 10 % après l’intervention. C’est une technique aujourd’hui classique.

 

TLM : En quoi consiste la technique plus récente qui utilise la greffe de membrane amniotique ?

Pr Christophe Baudouin : Au lieu au lieu de greffer de la conjonctive du patient, on peut proposer à ce dernier une greffe de membrane amniotique : cette membrane est celle qui entoure le placenta. Elle est prélevée au moment de l’accouchement, quand le placenta est expulsé.

On l’utilise depuis une quinzaine d’années dans la chirurgie de l’œil, et en particulier du ptérygion, car elle présente des propriétés de cicatrisation extraordinaires. Mais aussi des propriétés anti-inflammatoires : cela freine l’inflammation de façon spectaculaire et c’est très efficace sur la douleur dans le temps de la cicatrisation.

 

TLM : Comment le chirurgien se procure-t-il ces membranes amniotiques ?

Pr Christophe Baudouin : Elles sont traitées en laboratoire, à partir d’un don de placenta, avec tous les tests virologiques et infectieux nécessaires, comme pour le don de sang.

Ces tissus sont préparés, sous forme congelée ou lyophilisée, autrement dit déshydratée. Le chirurgien réhydrate la membrane au moment où il doit l’utiliser. L’intervention se réalise aussi sous anesthésie locale en ambulatoire. Le ptérygion est enlevé. La zone du ptérygion est ensuite recouverte par une membrane amniotique suturée ou collée avec une colle biologique qui va diminuer la réaction cicatricielle de la conjonctive et diminuer la fréquence des récidives. Les suites sont simples et non douloureuses, les complications rares. Le traitement post-opératoire consiste à mettre des collyres cicatrisants et anti-inflammatoires. Il faut continuer à employer des collyres hydratants longtemps après l’intervention, notamment pour lutter contre la sécheresse oculaire.

 

TLM : Quel type de greffe privilégier ?

Pr Christophe Baudouin : Nous disposons d’une dizaine d’années de recul : la greffe de membrane amniotique est très prometteuse, c’est désormais une alternative à la greffe de conjonctive. Mais il faut affiner les indications. En 2022, la revue Cochrane a proposé une méta-analyse indiquant qu’avec les greffes de membrane amniotique, on réduisait le risque de récidive de façon plus intéressante sur les ptérygions localisés. La greffe de conjonctive serait plus indiquée pour limiter les récidives sur les cas agressifs et évolutifs.

 

TLM : Le médecin généraliste a-t-il un rôle à jouer dans la prévention et la prise en charge du ptérygion ?

Pr Christophe Baudouin : Il a un rôle à jouer dans la prévention, pour éviter l’apparition d’un ptérygion, en conseillant à ses patients de protéger leurs yeux du soleil avec des lunettes de soleil qui assurent une bonne protection contre les rayons ultraviolets, un chapeau ou une casquette. Il peut aussi suivre le patient opéré et continuer à lui prescrire les collyres dont il a besoin après l’intervention.

Propos recueillis

par Brigitte-Fanny Cohen

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