• Pr Christine Katlama : Dernières nouvelles des traitements contre le VIH

Christine Katlama

Discipline : Infectiologie

Date : 13/10/2022


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Grâce aux traitements antirétroviraux, on peut contrôler l’infection et stopper son évolution. Dès lors la charge virale est indétectable, stoppant la chaîne de transmission du virus. Le point avec le Pr Christine Katlama, professeure de Maladies infectieuses à Sorbonne-Université et à l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris), et présidente de l’AFRAVIH.

 

TLM : Quelle est l’épidémiologie actuelle du sida en France ?

Pr Christine Katlama : Aujourd’hui, près de 170 000 personnes vivent en France avec le virus du sida. Il y a encore quatre ou cinq ans, plus de 6 000 nouvelles séropositivités étaient diagnostiquées chaque année. Surprise : en 2020, seulement 4 800, soit une diminution d’environ 20% ! Mais s’agit-il d’une amélioration, ou plutôt d’une réduction due aux perturbations provoquées par la crise sanitaire ?

 

TLM : Les dépistages ont en effet diminué d’environ 20% en 2020. Les prochaines années nous apporteront la réponse. Quelles sont les populations les plus concernées par ces contaminations ?

Pr Christine Katlama : D’abord les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (43% des cas) et les hétérosexuels nés à l’étranger (38%) pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne mais pas forcément des migrants qui viennent d’arriver. Le virus circule principalement dans ces groupes de populations. Il est donc important que ces personnes soient informées du risque d’acquisition du VIH et des moyens de s’en prémunir.

 

TLM : Les trithérapies ont changé la vie des patients ; aujourd’hui on prescrit des bithérapies. Qu’apportent-elles ?

Pr Christine Katlama : Les premières trithérapies ont émergé en 1995. Après dix ans d’utilisation de molécules pas très puissantes, une par une (AZT, par exemple) puis deux par deux, certes avec plus d’efficacité mais sans jamais aboutir au contrôle de la réplication virale, le développement de nouvelles familles de médicaments dans les années 90 a permis la trithérapie avec trois molécules. En l’absence d’éradication possible du virus, le traitement antirétroviral doit être maintenu à vie. C’est la raison pour laquelle nous cherchons à identifier des traitements tout aussi efficaces avec moins de « chimie ». Depuis les années 2015, avec des antirétroviraux plus puissants, des combinaisons de deux molécules —inhibiteurs d’intégrase et inhibiteurs de transcriptase inverse— sont capables de contrôler durablement le virus. On diminue ainsi la pression chimique pour le patient tout en maintenant une très grande efficacité : près de 95% des personnes soignées en France par une trithérapie ou une bithérapie ont une charge virale indétectable.

 

TLM : Le sida est-il devenu une maladie chronique comme une autre ?

Pr Christine Katlama : L’infection VIH est devenue chronique. « Chronique » signifie que vous ne pouvez pas vous débarrasser du virus. On peut parler de rémission mais pas de guérison : le virusreste caché dansle noyau des cellules. Les médicaments l’empêchent de se multiplier dans l’organisme. On peut contrôler l’infection et stopper son évolution. C’est le Graal : la charge virale est indétectable.

 

TLM : Du coup, le patient n’est plus contagieux ?

Pr Christine Katlama : Si la charge virale est indétectable, on n’est plus contagieux. Le virus reste caché dans les réservoirs des lymphocytes mais ne peut plus se reproduire ni dans le sang ni dans les sécrétions sexuelles. C’est un progrès majeur car une personne dont le virus est contrôlé ne transmet plus ce virus ni à un enfant pour une femme enceinte, ni à son/ses partenaires sexuels. Attention cependant : si on interrompt son traitement, le virus repart en 8 à 10 jours de plus belle !

 

TLM : Ne plus être contagieux, cela change quoi dans la vie des patients ?

Pr Christine Katlama : Ils peuvent mener une vie quotidienne normale, une vie sexuelle normale, sans préservatif avec son/ses partenaires, faire des enfants sans PMA.

Pouvoir empêcher la transmission, c’est aussi pouvoir en théorie stopper l’épidémie : si tous les séropositifs étaient dépistés, traités, si tous les patients prenaient leur traitement à vie, puisqu’on ne peut pas éradiquer le virus, l’épidémie s’arrêterait. Ce sont là les objectifs mondiaux d’ONUSIDA.

 

TLM : La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est-elle efficace ?

Pr Christine Katlama : La PrEP consiste à donner, en préventif, à des sujets à très haut risque d’être contaminés une bithérapie préventive : lesrésultatssont très bons avec une réduction de plus de 85% du risque de contamination et même 100% quand le traitement est pris très régulièrement. Malheureusement parmi les sujets à risque, trop peu en France prennent la PrEP, et en particulier très peu de femmes.

 

TLM : La Conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue à Montréal fin juillet 2022, a-t-elle fait état de nouveaux progrès ?

Pr Christine Katlama : La communication orale la plus intéressante, à mon avis, portait sur la PrEP chez des femmes. Une étude sur plus de 3 000 femmes dans des pays à haut risque a comparé l’injection de cabotégravir tous les deux mois à la prophylaxie orale quotidienne : la réduction des infections a été importante avec l’injection de cabotégravir. Les résultats mentionnent une protection de près de 90% avec la voie injectable, contre 56% pour la voie orale. Et une incidence 0,18 versus 1,70%.

 

TLM : Quels sont les progrès attendus dans les prochaines années ?

Pr Christine Katlama : La recherche se focalise sur des traitements « longue durée » qui faciliteront la vie des patients : des médicaments à prendre une fois par semaine, une fois par mois voire tous les six mois, soit oralement soit en injections.

Tout cela est en cours d’évaluation clinique. Il existe déjà deux antirétroviraux injectables en IM disponibles en France —le cabotégravir combiné à la rilpivirine, à administrer tous les deux mois. De nombreux patients ont déjà opté pour cette solution. Un autre médicament, le lénacapavir, apparaît très intéressant avec une prise tous les six mois. Une autre stratégie d’allègement que j’utilise volontiers est le traitement oral classique donné uniquement quatre jours par semaine —et pas le week-end. Cette formule, très appréciée des patients, a fait la preuve, dans un grand essai en France (QUATUOR), d’une efficacité équivalente à la trithérapie quotidienne.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prévention et la prise en charge du VIH ?

Pr Christine Katlama : Le rôle du médecin de proximité est essentiel en matière de santé sexuelle. Il connaît ses patients et doit proposer à ceux qui sont sexuellement actifs de faire un point sur leur statut : VIH, hépatites, IST, vaccination contre le HPV, par exemple. Or ce n’est pas assez pratiqué. Dans une médecine moderne, il faudrait questionner le patient sur ses dépistages comme sur ses antécédents médicaux. Le médecin généraliste doit aussi proposer la PrEP aux personnes présentant des IST. Il faut parler de la santé sexuelle d’autant plus qu’avec le Covid-19, et maintenant la variole du singe, on a tendance à oublier le sida.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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