• Pr CHATENOUD : Pour freiner et retarder la survenue du diabète de type 1

Lucienne CHATENOUD

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 11/04/2022


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Un essai clinique a montré qu’il était désormais possible de retarder de quelques années l’apparition du diabète de type 1 chez l’enfant grâce à un anticorps monoclonal, et donc d’en réduire les risques de complications à l’âge adulte. Le Pr Lucienne Chatenoud, chef du service d’Immuno-biologie, responsable d’une équipe de recherche de l’INEM, hôpital Necker-Enfants malades (Paris), revient sur la portée de cette avancée.

 

TLM : Les causes du diabète de type 1 sont-elles désormais mieux connues ?

Pr Lucienne Chatenoud : Nous savons depuis longtemps qu’il s’agit d’une maladie auto-immune, mais de nombreux points ont été précisés récemment. Le diabète de type 1 est la conséquence d’une attaque des cellules bêta des îlots de Langherans du pancréas, notamment par les lymphocytes T, CD4 et CD8. La fréquence de cette maladie a augmenté de manière importante au cours des 20 dernières années, avec un gradient croissant du Nord vers le Sud. Les pays industrialisés sont les plus touchés. Et, en Europe, c’est en Suède et en Finlande que la prévalence est la plus importante. L’hypothèse la plus vraisemblable est que le fait d’avoir vaincu nombre de maladies infectieuses endémiques dans les pays riches oriente le système immunitaire vers des atteintes auto-immunes. Cela a été démontré dans des modèles expérimentaux. Chez des souris ayant une susceptibilité aux maladies auto-immunes, le fait de les confronter précocement à des infections les protège contre le diabète de type 1. La fréquence du diabète de type 1 augmente en France aussi, notamment chez les enfants de moins de cinq ans. La maladie est liée en partie à l’environnement, mais survient sur un terrain génétique particulier. Il existe des gènes de prédisposition au diabète de type 1. Certains gènes ont été identifiés mais pas tous. Leur importance respective n’est pas clairement hiérarchisée.

 

TLM : Comment fait-on le diagnostic du diabète de type 1 ?

Pr Lucienne Chatenoud : Aujourd’hui les deux tiers des jeunes patients sont encore diagnostiqués après avoir été hospitalisés en urgence pour un coma acido-cétosique. Dans un tiers des cas, le diagnostic est porté chez un patient présentant les symptômes typiques, perte de poids, fatigue, polyurie, polydipsie, polyphagie.

L’objectif actuel est de parvenir à poser le diagnostic du diabète avant l’apparition de l’hyperglycémie. On a découvert récemment que la maladie commençait à progresser longtemps avant l’apparition de l’hyperglycémie.

Des études ont permis de montrer que les auto-anticorps contre les cellules bêta des îlots de Langherans sont présents des années avant l’apparition de l’hyperglycémie. Il est donc possible d’envisager, lorsqu’il existe un cas dans la fratrie, de faire une recherche d’auto-anticorps chez les autres enfants de la famille. La présence de ces auto-anticorps indique un risque accru de développer un diabète dans les années suivantes. Un anticorps monoclonal, le teplizumab, pour bloquer l’apparition de la maladie est en cours d’évaluation. En 2019, l’essai TrialNet portant sur 80 enfants ayant des auto-anticorps — la moitié traitée par l’anticorps monoclonal pendant 15 jours, l’autre moitié sous placebo — a été publié. Les résultats montrent que le traitement a permis de retarder la survenue du diabète de deux ans chez les enfants recevant le teplizumab par rapport à ceux sous placebo. Retarder l’apparition de la maladie de quelques années réduit déjà les risques à long terme de complications neurodégénératives et vasculaires. Il faut s’attaquer à la maladie à des stades précoces. La recherche d’auto-anticorps doit devenir routinière dans les fratries concernées par le diabète de type 1.

 

TLM : Quel traitement du diabète de type 1 aujourd’hui ?

Pr Lucienne Chatenoud : Une fois passée la prise en charge de l’acidocétose diabétique, la mise sous traitement à l’insuline peut commencer.

L’initiation du traitement se fait en parallèle avec des séances d’éducation thérapeutique pour l’enfant (s’il est en âge de le faire) et pour les parents. L’annonce de la maladie est un choc et un soutien psychologique est parfois nécessaire. Plusieurs schémas d’administration de l’insuline existent. Il faut adapter la prise en charge à chaque patient, à son mode de vie. En général, le traitement associe une insuline à longue durée d’action à d’autres formes d’insuline à durée d’action moyenne ou courte dans la journée au moment des repas, en adaptant les doses en fonction de la glycémie, de l’activité...

Aujourd’hui, les pompes à insuline permettent d’aboutir à un meilleur équilibre glycémique. Ce qui est important, c’est de maintenir une normo-glycémie stable pendant la journée et la nuit. Il est très important de bien régler les doses pour éviter les hypoglycémies nocturnes. La glycémie doit être la plus proche de la norme, jour et nuit. C’est là tout l’enjeu de l’éducation thérapeutique. Enfin, les résultats de l’essai thérapeutique PROTECT actuellement en cours pourraient très prochainement établir l’utilisation de l’anticorps téplizumab dans le traitement du diabète établi.

 

TLM : Les améliorations de la prise en charge ont-elles permis de réduire les complications à long terme ?

Pr Lucienne Chatenoud : De nombreuses données montrent qu’au fil des années les complications neurodégénératives et vasculaires ont diminué. Par exemple, on ne voit plus en France des cas d’insuffisance rénale terminale chez les patients diabétiques de type 1 quand ils sont bien pris en charge. De même les cécités, complications fréquentes autrefois, sont devenues exceptionnelles dans le diabète de type 1. Mais il est vrai que les critères d’efficacité des traitements se mesurent 10, 20, voire 30 ans après le début de la maladie.

Et les nouvelles modalités de prise en charge, notamment avec les pompes à insuline, ne sont pas encore prises en compte dans les résultats actuels.

 

TLM : Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge du diabétique de type 1 ?

Pr Lucienne Chatenoud : Le suivi par le diabétologue est important pour adapter et surveiller le traitement, en fonction de son mode de vie et rechercher les éventuelles complications. Il y a eu de nombreuses innovations récemment et le diabétologue est en mesure de les adapter le cas échéant à ses patients.

Mais, bien entendu, le médecin généraliste qui suit aussi ces patients par ailleurs peut renouveler les ordonnances, vérifier le contrôle de la glycémie, l’absence d’atteinte rénale...

 

TLM : L’insuline par voie orale représente-t-elle un espoir pour l’avenir ?

Pr Lucienne Chatenoud : Pour l’instant, l’insuline per os n’est pas à l’ordre du jour. Cela simplifierait sans doute la prise en charge, mais pas le principe de base du traitement actuel qui reste un traitement substitutif.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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