• Pr Charles Thivolet : « Une personne n’est pas un taux de sucre ! »

Charles Thivolet

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 07/12/2023


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Offrir au patient la meilleure qualité de vie possible doit rester l’objectif prioritaire de la prise en charge des patients souffrant d’un diabète de type 1, estime le Pr Charles Thivolet, diabétologue-endocrinologue aux Hospices civils de Lyon, directeur et cofondateur du centre du diabète Diab-eCARE.

 

TLM : À quel âge apparaît le diabète de type1 ?

Pr Charles Thivolet : Cette maladie auto-immune touche les enfants de tous âges, parfois dès six mois. Mais généralement, les symptômes apparaissent plusieurs mois, voire plusieurs années après le début de la destruction des cellules bêta du pancréas responsables de la production d’insuline, lorsque la plupart ont été détruites.

 

TLM : Quels signes doivent alerter ?

Pr Charles Thivolet : Les premiers symptômes d’un diabète de type 1 sont la soif intense et l’envie fréquente d’uriner, qui se traduit par le retour d’une énurésie chez un enfant qui était propre jusque-là. D’autres signes comme une perte de poids, une grande fatigue surviennent plus tardivement. Il faut donc y penser chez un patient de moins de 35 ans dont l’indice de masse corporelle est inférieur à 25 et qui présente un tableau clinique associant une polydipsie et une polyurie. Malheureusement, face à un enfant qui se remet à faire pipi au lit, on évoque encore trop souvent un problème « psy », ce qui retarde d’autant le diagnostic.

 

TLM : Quels sont les risques d’un tel retard ?

Pr Charles Thivolet : Dans le cadre du diabète de type 1, les risques sont plus ou moins immédiats, selon l’intensité de la maladie. La principale complication est ici l’acidocétose, une acidification du sang qui peut entraîner des troubles respiratoires, des troubles de la conscience et qui peut conduire au coma, voire au décès du patient.

 

TLM : Le diagnostic est pourtant simple…

Pr Charles Thivolet : En effet, une mesure de la glycémie suffit à diagnostiquer la maladie. La mesure du taux d’anticorps spécifiques confirmera la nature auto-immune mais il ne faut pas attendre le résultat pour agir. Encore une fois, il suffit d’y penser.

 

TLM : Les médecins généralistes sont donc en première ligne…

 

Pr Charles Thivolet : Ils jouent un rôle essentiel dans le dépistage. En suspectant un diabète de type 1 chez un enfant qui perd du poids malgré un solide coup de fourchette et qui se remet à faire pipi au lit, ce sont eux qui vont permettre un diagnostic et une prise en charge précoces de leur patient. Devant les signes d’alerte évoqués plus haut, ils doivent y penser systématiquement et proposer aux parents de mesurer la glucosurie via une bandelette. Les médecins généralistes peuvent ensuite rester acteurs de la prise en charge en collaborant avec les soignants au sein d’une filière de suivi qu’ils auront créée ensemble, le degré d’urgence étant fonction des corps cétoniques.

 

TLM : Sur quoi repose la prise en charge des patients ?

Pr Charles Thivolet : La prise en charge initiale est multiple : le traitement à proprement parler consiste à injecter, à l’aide d’un stylo injecteur ou d’une pompe, de l’insuline pour pallier l’absence de sécrétion de cette hormone, et à piloter les dosages de ce traitement à l’aide d’un capteur de mesure en continu du glucose, plutôt qu’avec des glycémies capillaires. Le médecin doit également faire comprendre à son patient les enjeux du traitement, à prendre à vie, et lui donner des boîtes à outils qui vont l’aider à gérer son quotidien : informations sur sa maladie, protocoles pour ajuster son traitement, pour gérer ses repas, son activité physique… Il faut aussi avoir à l’esprit que le diagnostic d’un diabète de type 1 chez un enfant n’affecte pas seulement le jeune patient, il retentit sur toute sa famille ; il est donc indispensable de proposer une prise en charge de l’entourage.

Ceux-ci sont personnalisés. Mais il est important de ne pas focaliser sur les chiffres. J’ai l’habitude de dire qu’« une personne n’est pas un taux de sucre » : le principal objectif est d’offrir aux patients la meilleure qualité de vie possible et de faire en sorte qu’ils puissent réaliser leurs projets, en dépit de leur maladie. Nous avons effectivement des cibles thérapeutiques et nous appuyons sur des indicateurs, en particulier l’hémoglobine glyquée, pour nous assurer que le diabète est bien contrôlé ; mais pour ne pas risquer de donner aux patients une impression d’échec lorsque leur taux n’est pas dans la cible, plutôt que de leur asséner un chiffre, nous utilisons des indices de couleur pour leur dire s’ils en sont loin ou proches. Notre approche, désormais, est plutôt de leur transmettre les connaissances nécessaires à leur prise en charge —ce que les Anglo-Saxons nomment « empowerment ».

 

TLM : C’est ce que vous proposez à DiabeCARE ?

Pr Charles Thivolet : Diab-eCARE est un centre hors les murs, entièrement financé par les Hospices civils de Lyon (www.diab-ecare.fr), spécialisé dans la prise en charge des adolescents et adultes atteints d’un diabète de type 1. A l’hôpital, le manque de personnalisation dès l’accueil, la multiplicité des intervenants, les équipes qui changent fréquemment de service sont autant de points de fragilité qui créent des difficultés dans la prise en charge des patients. Avec Diab-eCARE, nous avons voulu créer un centre qui propose un accueil privilégié, dans un cadre qui n’évoque pas l’hôpital. La prise en charge est assurée par une équipe dédiée, composée de soignants sélectionnés pour leurs compétences et leur dynamisme. Depuis son ouverture en 2020, nous avons accueilli 2 500 patients diabétiques, dont 400 adolescents. Ce centre tourné vers l’innovation propose de nombreuses nouveautés thérapeutiques, en particulier le pancréas artificiel qui a permis déjà de traiter 150 personnes.

 

TLM : Observe-t-on une évolution du nombre de malades ?

Pr Charles Thivolet : En 30 ans, la prévalence du diabète de type 1 a été multipliée par trois. En outre, son apparition est de plus en plus précoce, avec une augmentation importante des cas chez les enfants de moins de cinq ans. Certaines modifications de l’environnement et de son interaction avec le génome ont été pointées du doigt : la théorie hygiéniste, certains virus (Coxsackie, entérovirus), etc. Pour autant, leur rôle dans le déclenchement du diabète de type 1 n’a pas été démontré. Les raisons de ces évolutions restent donc inexpliquées à ce jour.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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