• Pr Catherine Boileau: Dépister les hypercholestérolémies résistantes dès le plus jeune âge

Catherine Boileau

Discipline : Cardiologie

Date : 17/01/2023


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Les hypercholestérolémies familiales homozygotes —résistantes aux statines seules— sont les plus graves et elles doivent être dépistées le plus tôt possible, plaide le Pr Catherine Boileau, généticienne à l’hôpital Bichat (Paris). Et cela passe, selon elle, par un dépistage systématique dans les premières années de vie.

 

TLM : Les hypercholestérolémies résistantes sont-elles fréquentes ?

Pr Catherine Boileau : Lorsque l’on parle d’hypercholestérolémie, il faut envisager les différentes architectures génétiques qui y sont associées. Il y a deux grandes formes d’hypercholestérolémie. La forme dite polygénique est la plus fréquente. Dans cette forme, des variations génétiques minimes, dans un contexte environnemental « favorable », conduisent à une augmentation du taux de cholestérol dans le sang.

Cette hypercholestérolémie polygénique répond bien aux mesures d’hygiène de vie et aux médicaments anticholestérol. Le diagnostic est porté, par exemple, chez un homme de 40-50 ans qui lors d’un bilan systématique découvre son hypercholestérolémie ou chez une femme de 50 ans lors d’examens de routine, au moment de la ménopause. Le diagnostic peut aussi être posé à l’occasion d’une hospitalisation pour infarctus ou AVC. En réalité, et s’il n’a pas été réalisé auparavant, un bilan lipidique devrait être prescrit systématiquement au moins une fois chez tous les hommes et toutes les femmes à l’âge adulte, même dans les familles sans antécédents cardiovasculaires. Le modèle polygénique de l’hypercholestérolémie, qui concerne une personne sur 20, est celui auquel les médecins sont le plus souvent confrontés en pratique quotidienne.

 

TLM : Quelles sont les autres formes d’hypercholestérolémie ?

Pr Catherine Boileau : L’hypercholestérolémie peut aussi être la conséquence d’une maladie monogénique appelée hypercholestérolémie familiale (HF). Elle est liée à une mutation dans un seul gène qui altère le métabolisme du cholestérol. Cette maladie monogénique est le plus souvent hétérozygote, c’està-dire qu’une seule copie des deux copies du gène porte la mutation.

Cette forme concerne environ une personne sur 250. C’est toujours une maladie transmise dans la famille. Il n’y a pas de mutation de novo. Dans l’HF, l’augmentation du cholestérol peut se manifester dès l’enfance.

L’HF peut être suspectée lors d’un infarctus précoce, lors d’un bilan lipidique avant prise de pilule ou encore dans le cadre d’examens effectués pour une demande de prêt bancaire.

L’hypercholestérolémie familiale est très rarement homozygote, les deux copies du gène étant alors porteuses de la mutation. Dans ce cas, l’accumulation de plaques d’athérome sur les artères commence dès les premières années de la vie. Le risque d’accident cardiovasculaire est alors très important, avant même l’âge de dix ans. Cette forme concerne environ une personne sur 500 000.

 

TLM : Comment prendre en charge ces hypercholestérolémies ?

Pr Catherine Boileau : Dans tous les cas, qu’il s’agisse de formes polygéniques ou monogéniques hétérozygotes, la prise en charge est indispensable dès le diagnostic pour réduire le risque cardiovasculaire. Le traitement implique des recommandations d’hygiène de vie (alimentation et exercices physiques), qui peuvent contribuer à faire diminuer le niveau de cholestérol. Des médicaments anti-cholestérol doivent être prescrits, des statines dans un premier temps pour rétablir une valeur normale de cholestérol. Si l’hypercholestérolémie « résiste » aux statines, un deuxième médicament doit y être associé, l’ézétimibe. Il existe sur le marché des traitements combinés qui associent dans le même comprimé les deux médicaments. Lorsque chez un patient, une hypercholestérolémie monogénique est suspectée, une enquête approfondie doit être menée auprès des parents, frères et sœurs, oncles et tantes.

 

TLM : Comment prendre en charge les hypercholestérolémies familiales homozygotes ?

Pr Catherine Boileau : Ce sont les plus graves, et elles doivent être dépistées le plus tôt possible.

Ce sont des formes qui résistent toujours à un traitement par statines seules. La prise en charge passe par l’hygiène de vie, l’association de médicaments statines/ézétimibe ou encore lomitapide ou mipomersen, mais cela n’est pas assez efficace. Les inhibiteurs de la PCSK9 peuvent aussi être prescrits. Si ces stratégies ne permettent pas de faire suffisamment baisser le cholestérol, il faut alors faire pratiquer une LDL aphérèse, c’est-à-dire une épuration du sang pour éliminer l’excès de cholestérol grâce à une technique similaire à la dialyse rénale.

 

TLM : Quels sont les mécanismes génétiques en cause dans ces maladies monogéniques ?

Pr Catherine Boileau : Dans ces maladies, le gène muté est le plus souvent celui qui code pour les récepteurs aux LDL permettant l’entrée du cholestérol dans la cellule. La mutation entraîne soit une baisse du nombre de récepteurs au LDL, soit des anomalies de ces récepteurs qui sont présents mais incapables de remplir leur fonction. Plus rarement, la maladie est due à des mutations présentes sur d’autres gènes... Le taux de cholestérol considéré comme normal varie selon l’âge et le sexe, mais les patients concernés par la forme monogénique présentent des valeurs dépassant nettement les seuils des valeurs normales. Quand, dans un bilan lipidique, le LDLcholestérol seul est supérieur à 1,9g/l chez l’adulte ou chez l’enfant à 1,6 g/l, il s’agit sans doute d’une hypercholestérolémie familiale.

 

TLM : Quelles sont les autres perspectives thérapeutiques pour lutter contre les hypercholestérolémies résistantes ?

Pr Catherine Boileau : On assiste actuellement à une recherche foisonnante pour mettre au point de nouveaux médicaments anti-cholestérol. Les recherches les plus spectaculaires sont des travaux en génétique avec la technique CRISPR/Cas 9 pour corriger/réparer les gènes anormaux dans les formes d’hypercholestérolémies familiales homozygotes. De mon point de vue, actuellement, le plus important reste la prévention : mettre en place un dépistage systématique des hypercholestérolémies monogéniques dans les premières années de vie. Cela ne coûterait pas très cher et éviterait bien des souffrances et des dépenses de santé. Ces maladies monogéniques sont d’autant plus mal diagnostiquées que les campagnes de prévention à l’université, lors du service militaire, ont disparu de la santé publique et que l’hypercholestérolémie familiale est mal connue dans le monde médical. Le message concernant le dépistage doit être entendu.

Ce message est aussi porté par l’association de familles HF appelée ANHET (www.anhet.fr).

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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