• Pr CASTERA : Diagnostiquer au plus tôt la cirrhose pour en prévenir les complications

Laurent CASTERA

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/04/2022


  • 208_photoParole_127_PE_Castera.jpg

Pour poser le diagnostic de la fibrose hépatique et de la cirrhose, des outils non invasifs simples existent à la disposition des médecins généralistes. Le Pr Laurent Castera, hépatologue à l’hôpital Beaujon (Clichy), prône l’identification et le suivi des groupes à risque pour éviter les complications des maladies chroniques du foie.

 

TLM : Quelles sont les maladies chroniques du foie les plus fréquentes ?

Pr Laurent Castera : La consommation excessive d’alcool, la stéatose hépatique liée notamment au surpoids et à l’obésité, les hépatites virales B et C sont responsables de plus de 90% des maladies chroniques du foie. L’alcool reste en France la première cause de ces maladies, mais il est talonné par la NASH (Non-Alcoholic SteatoHepatitis), qui risque de devenir à terme la plus fréquente. Dans l’immense majorité des cas, et quelle que soit la cause de la maladie, il n’y a pas de symptôme avant un stade avancé. Le principal risque de toutes ces maladies hépatiques, si elles ne sont pas prises en charge à temps, est l’évolution vers une cirrhose, voire un cancer primitif du foie. Aujourd’hui environ 500 000 personnes, soit 1 % de la population adulte française, sont atteintes d’une cirrhose, toutes causes confondues. Les trois quarts des cirrhoses sont diagnostiquées à l’occasion d’une complication grave, décompensation œdémato-ascitique ou hémorragie digestive. L’objectif est désormais, chez les patients à risque, d’essayer d’identifier la cirrhose le plus tôt possible, avant la survenue des complications, pour essayer de les prévenir.

 

TLM : L’objectif c’est donc d’identifier les groupes à risque, les surveiller, faire de la prévention...

Pr Laurent Castera : Exactement. Plusieurs millions de personnes en France ont une consommation d’alcool à risque. Environ dix millions de Français présentent une stéatose hépatique, liée notamment au surpoids ou à l’obésité.

Parmi ceux-ci, 10 % environ vont développer une NASH, c’est-à-dire une inflammation du foie, avec une souffrance des hépatocytes. La NASH a été décrite il y a 40 ans à la Mayo Clinic aux Etats-Unis chez des personnes obèses et diabétiques qui avaient des anomalies histologiques similaires à celles de l’hépatite alcoolique, sans pour autant boire de l’alcool. Environ 1 million de personnes souffrent d’une NASH en France, dont 100 000 au stade de cirrhose.

 

TLM : Comment identifier les personnes à risque de cirrhose en cas de NASH ?

Pr Laurent Castera : Les personnes les plus à risque de stéatose hépatique sont celles âgées de plus de 50 ans, en surpoids ou obèses, diabétiques de type 2, hypertendues, et avec une hypercholestérolémie. Plus le nombre de facteurs de risque de syndrome métabolique augmente, plus le risque de stéatose est élevé. En l’absence de ces facteurs, le risque est inférieur à 5 %. A contrario, si ces cinq facteurs de risque sont présents, le risque avoisine les 90 %. Parmi, les patients ayant une stéatose, seule une minorité est à risque de développer une cirrhose. L’enjeu pour le généraliste est de repérer ces patients pour les adresser au spécialiste. La méthode la plus simple pour évaluer la fibrose du foie est le FIB-4. Il s’agit d’un test sanguin basé sur l’âge, le taux des transaminases et celui des plaquettes. Ce test est gratuit et accessible en médecine générale, calculable en ligne.

Quand il est inférieur à 1,3, le risque de cirrhose est inférieur à 5 %.

Lorsque le FIB-4 se révèle au-dessus de 1,3, il faut pousser les investigations plus loin et prendre un avis spécialisé.

 

TLM : Quelles investigations faut-il mener alors ?

Pr Laurent Castera : Il faut réaliser un test non invasif de deuxième intention, un FibroScan.

Il s’agit d’une sorte d’échographe qui permet de mesurer le degré d’élasticité du foie. L’appareil génère par vibration une onde mécanique de faible amplitude, une « pichenette » indolore, à partir de la paroi thoracique en regard du foie. La vitesse de propagation de l’onde est alors mesurée. Plus le foie est dur, plus la fibrose est sévère, plus l’onde va vite. L’examen dure cinq minutes, il est totalement indolore. Les résultats sont exprimés en kiloPascal (kPa), avec des valeurs comprises entre 2 et 75 kPa. La valeur normale se situe aux alentours de 5 kPa. Au-delà de 10 kPa, il existe une forte suspicion de maladie chronique du foie. Au-delà de 15 kPa, la suspicion de cirrhose se confirme. Le FibroScan a révolutionné l’évaluation de la fibrose hépatique.

C’est un examen simple, facile à réaliser, qui permet le diagnostic « minute » de la cirrhose.

 

TLM : Les médecins généralistes peuvent-ils prescrire un FibroScan ?

Pr Laurent Castera : Nombre de généralistes connaissent cet examen mais ne le prescrivent pas parce que non remboursé par l’Assurance maladie pour l’instant dans la NASH. Cela devrait changer à l’avenir.

Tous les centres de prise en charge des maladies du foie en sont équipés.

Son intérêt est d’avoir réduit considérablement le nombre de personnes ayant besoin d’une biopsie du foie. Celle-ci reste cependant nécessaire dans certains cas de fibrose avancée, dans les centres spécialisés, pour confirmer les résultats du FibroScan.

 

TLM : Cet examen devrait concerner tous les patients à risque de cirrhose ?

Pr Laurent Castera : Compte tenu de la prévalence élevée des facteurs de risque de maladie chronique du foie dans la population générale et de l’existence de ces outils non invasifs simples, se pose la question du dépistage de la fibrose et de la cirrhose. Il est possible qu’à l’avenir, les patients à risque de cirrhose puissent être dépistés en médecine générale avec des outils comme le FIB-4 et le FibroScan. Des études préliminaires ont montré que cela était réalisable. Le chemin est encore long car il nécessite de sensibiliser les médecins généralistes aux maladies chroniques du foie et à l’utilisation des tests non invasifs d’évaluation de la fibrose. Le FibroScan permet de poser simplement le diagnostic de fibrose et de cirrhose, quelle qu’en soit la cause, qu’il s’agisse d’un patient présentant une dépendance à l’alcool, une hépatite virale ou une NASH.

 

TLM : Pourquoi est-il si important de faire le diagnostic de cirrhose avant l’apparition des complications ?

Pr Laurent Castera : La cirrhose expose à la survenue de complications qui peuvent être évitées. L’hypertension portale peut ainsi être prévenue par l’administration de bêta-bloquants. La surveillance systématique par échographie hépatique réalisée deux fois par an permet de faire un diagnostic précoce de cancer. De plus, chez les patients à haut risque, une prise en charge spécifique comme l’abstinence en cas de dépendance à l’alcool, ou un traitement antiviral en cas d’hépatite B ou C, ou encore une réduction pondérale en cas de NASH, permet de prévenir le risque d’évolution vers la cirrhose.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

  • Scoop.it