• Pr CADRANEL : Du bon usage de l’immunothérapie dans certains cancers du poumon

Jacques CADRANEL

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 10/01/2022


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De manière générale, l’immunothérapie et les traitements ciblés sont moins toxiques et plus efficaces que la chimiothérapie, souligne le Pr Jacques Cadranel, chef du service de Pneumologie et d’Oncologie thoracique de l’hôpital Tenon (Sorbonne Université, Paris). Mais il y a des effets secondaires qu’il faut connaître.

 

TLM : La prise en charge des cancers du poumon non à petites cellules métastatiques a-t-elle beaucoup évolué au cours des dernières années ?

Pr Jacques Cadranel : Effectivement, de nombreuses innovations thérapeutiques dans la prise en charge de ces cancers autrefois inguérissables sont intervenues grâce à l’avènement des thérapies ciblées et de l’immunothérapie. Rappelons en préambule qu’il y a, selon les données 2017 de l’Inserm, 49 000 nouveaux cas de cancer du poumon chaque année en France, les deux tiers chez l’homme, le tiers restant chez la femme, et 30 000 décès. Environ 65 à 70 % de ces malades ne sont ni opérables ni irradiables au moment du diagnostic et présentent des formes étendues avec métastases. Dans 85 % des cas, ces tumeurs sont des cancers bronchiques non à petites cellules, la majorité étant des adénocarcinomes dans 65 à 70 % des cas, des épidermoïdes dans 15 % des cas et des cancers à grandes cellules dans 10 à 15 % des cas.

 

TLM : Qu’est-ce qui a permis cette évolution thérapeutique ?

Pr Jacques Cadranel : La recherche des marqueurs moléculaires qui permet d’orienter les traitements a révolutionné la prise en charge de cette maladie. Ces marqueurs doivent être systématiquement recherchés, car ils permettent d’adapter au mieux le choix thérapeutique. Nous sommes actuellement inquiets, car il n’y a plus de gratuité des tests moléculaires pour les établissements de santé. Et dans ce contexte, les grandes structures hospitalières ou les centres de lutte contre le cancer sont moins pénalisés que les établissements privés ou les centres hospitaliers généraux qui prennent en charge pourtant la majorité (≈ 60 %) des cancers du poumon. Jusqu’à présent, 100 % des patients bénéficiaient de cette recherche de marqueurs. Nous ne sommes plus certains qu’aujourd’hui ce soit encore le cas partout en France. Le médecin généraliste doit s’assurer que son patient est inscrit dans une filière de soins qui offre tous les tests moléculaires permettant de l’orienter vers le meilleur traitement.

 

TLM : Quels sont les marqueurs qui doivent être recherchés ?

Pr Jacques Cadranel : Parmi ces marqueurs qui doivent être systématiques, il est indispensable de rechercher l’expression de la protéine PD-L1 qui conditionne partiellement la mise en œuvre de l’immunothérapie. Cette immunothérapie permet à certains de ces malades d’obtenir des résultats exceptionnels en termes de survie. Une recherche de l’expression de PD-L1 en immunohistochimie sur les cellules tumorales doit être systématique dès le diagnostic initial pour tous les carcinomes non à petites cellules à un stade avancé ou métastatique. La recherche de plusieurs mutations est nécessaire pour identifier la thérapie ciblée, adaptée à chaque cas, en particulier celles de l’EGFR et de la protéine BRAF et les réarrangements des gènes ALK et ROS. Ce bilan minimum doit être pratiqué pour tous les patients, en particulier pour ceux présentant un adénocarcinome bronchique. Ces marqueurs doivent être recherchés dans un délai acceptable d’environ 15 jours après le diagnostic, pour améliorer les chances de succès.

 

TLM : Comment ces marqueurs orientent-ils le traitement ?

Pr Jacques Cadranel : S’il existe des marqueurs d’addiction oncogénique (20 à 30 % des patients), le traitement reposera sur une thérapie ciblée sur l’anomalie repérée. A chaque mutation son traitement ciblé. Par exemple pour la mutation de EGFR le traitement sera l’osimertinib en première intention ; s’il s’agit d’un réarrangement de ALK la thérapie portera sur l’alectinib ou le brigatinib ; et pour la mutation de ROS le traitement repose sur le crizotinib. En revanche, la présence d’une addiction oncogénique, est plutôt un critère de non-réponse à une immunothérapie.

 

TLM : Et dans quelle situation l’immunothérapie est-elle prescrite ?

Pr Jacques Cadranel : S’il n’y a pas de marqueurs d’addiction oncogénique, le traitement dépendra de l’expression de la protéine PDL1 et repose essentiellement sur le pembrolizumab en perfusion, 200 mg toutes les trois semaines. Lorsque l’expression de la protéine PD-L1 est faible ou absente, le traitement associera une chimiothérapie au pembrolizumab. Si l’expression est très forte (≥50 %), il est possible de prescrire aux patients l’immunothérapie en monothérapie. Celle-ci a incontestablement transformé le pronostic du cancer du poumon métastatique pour certains patients. Mais l’immunothérapie avec la chimiothérapie ont des toxicités qui s’additionnent. Ces traitements s’adressent à des patients en bon état général, n’ayant pas de comorbidités majeures, en particulier pas d’insuffisance rénale, pas de maladies cardiovasculaires, ni d’insuffisance hépatique. Un tiers des patients du fait de leur état général ne peuvent pas bénéficier de cette association chimio/immunothérapie. De manière générale, l’immunothérapie est moins toxique et plus efficace que la chimiothérapie. Mais il y a des effets secondaires qu’il faut connaître. Avec l’immunothérapie, il existe un risque de maladies auto-immunes de gravité variable. Il peut s’agir de psoriasis, d’hyper ou d’hypothyroïdie, mais aussi de myocardite, de pneumonie, hépatite ou de colite auto-immunes. Entre 10 et 15 % des patients traités souffriront d’une maladie auto-immune limitant la poursuite du traitement.

 

TLM : Quels résultats peut-on espérer avec ces nouveaux traitements ?

Pr Jacques Cadranel : Avec la chimiothérapie seule, le traitement est efficace pendant quatre à six mois en moyenne. Les thérapies ciblées permettent d’obtenir des rémissions pendant un à trois ans. Le patient rechute ensuite. Pour ce qui est de l’immunothérapie, certains malades sont toujours en vie plus de trois ans après le début du traitement. Nous avons aujourd’hui des malades qui ont été traités par l’immunothérapie et qui sont toujours en vie cinq ans après. La tumeur a disparu, ils ne prennent plus de traitement. L’avenir dira si cette guérison est définitive. Si l’on ne sait pas prédire quels malades vont tirer le plus bénéfice de l’immunothérapie, il semble que plus l’expression de la protéine PD-L1 est élevée, plus la probabilité que le traitement soit efficace augmente. Avec l’immunothérapie, 30 % des patients répondent bien au traitement qui consiste en une perfusion une fois toutes les trois à quatre semaines, pendant deux ans. Pour certains malades, les résultats sont très impressionnants. Pour la première fois, des patients atteints de cancer du poumon métastatique, que l’on pensait ne jamais pouvoir guérir, semblent être sur la voie de la guérison.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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