• Pr Cadranel : Cancer du poumon : Le sillon de l’immunothérapie et des thérapies ciblées

Jacques Cadranel

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 23/10/2023


  • 398_photoParole_133PE_Cadranel.jpg

L’immunothérapie et les thérapies ciblées ont métamorphosé le pronostic des patients atteints de cancer bronchique non à petites cellules métastatique. Le point avec le Pr Jacques Cadranel, chef du service de Pneumologie et Oncologie thoracique de l’hôpital Tenon - APHP-Sorbonne Université.

 

TLM : Pouvez-vous nous dresser une photographie du cancer du poumon en France ?

Pr Jacques Cadranel : Selon une projection réalisée par l’INCA, on dénombrera en 2023 plus de 50 000 nouveaux cancers du poumon en France.

65% des patients présentent une maladie étendue, donc métastatique, au moment du diagnostic. Il existe deux grandes catégories histologiques : les cancers bronchiques à petites cellules (CBPC) qui représentent 15 % de l’ensemble des cancers du poumon, toujours liés au tabac ; et les plus fréquents (85% des cas), les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC). Dans cette dernière catégorie, 60 % des patients (soit 22 000 cas par an) sont diagnostiqués à un stade métastatique.

 

TLM : Les CBNPC regroupent-ils plusieurs types de cancers ?

Pr Jacques Cadranel : Ils regroupent les adénocarcinomes (60-65 % des cas) qui se développent sur la muqueuse de la bronche et du poumon, les cancers épidermoïdes (15-18 %) qui se développent après une transformation (métaplasie) de la muqueuse normale suite à l’exposition au tabac, et les carcinomes à grandes cellules (15-18 %).

 

TLM : Quels sont les facteurs de risque ?

Pr Jacques Cadranel : Essentiellement le tabac. Sauf 10 à 12% des adénocarcinomes qui sont possiblement liés à des facteurs environnementaux : pollution atmosphérique, exposition aux radiations ionisantes naturelles (en particulier le radon), et l’exposition professionnelle à des toxiques comme l’amiante. On ne connaît pas encore le rôle de la nutrition, du surpoids et de la sédentarité : peut-être des facteurs de risque pour les patients qui n’ont pas fumé. Dans 1% des cas environ, des facteurs héréditaires entrent en jeu.

 

TLM : Comment traite-t-on ces cancers bronchiques métastatiques ? Quels sont les récents progrès ?

Pr Jacques Cadranel : La place de la chirurgie et de la radiothérapie est minoritaire. En dehors des soins de support très importants (nutrition, activité physique adaptée, prise en charge psychologique…), le traitement est médical avec des anticancéreux ciblant la cellule cancéreuse pour la détruire : soit la chimiothérapie, soit les thérapies ciblées quand on identifie une mutation génétique. Plus récemment, des anticorps thérapeutiques éventuellement couplés à une chimiothérapie (anticorps conjugués) ciblant des protéines présentes à la surface des cellules cancéreuses constituent une innovation attendue pour fin 2023 : ils seront disponibles surtout dans le cadre d’accès précoces ou d’essais cliniques. On peut agir aussi sur l’environnement de la cellule cancéreuse avec des anti-angiogéniques qui bloquent les vaisseaux sanguins alimentant la tumeur ou l’immunothérapie qui permet de restaurer l’immunité du malade contre sa tumeur.

 

TLM : Comment choisir le bon traitement ?

Pr Jacques Cadranel : Il faut procéder à l’analyse génétique des tumeurs. Si on trouve une mutation (actuellement une dizaine connues, notamment dans les gènes EGFR et ALK), cela permet un traitement ciblé dans 15 à 20 % des cas.

Avec de bons résultats : avec une chimio seule la médiane de survie était de 12 à 14 mois avant l’ère des thérapies ciblées. Aujourd’hui, lorsqu’on utilise dans la séquence de traitement une thérapie ciblée contre EGFR, elle passe de 30 à 40 mois. Et à plus de cinq ans de survie lorsqu’on cible ALK.

 

TLM : Quel est le rôle de l’immunothérapie dans le traitement des CBNPC ? Avec quels résultats ?

Pr Jacques Cadranel : Quand on n’identifie aucune mutation et que les cellules cancéreuses expriment fortement la protéine PDL1 (30 % des cas), on peut traiter par immunothérapie seule. L’efficacité est remarquable : jusqu’à 30% des malades sont en rémission cinq ans après le traitement ; certains d’entre eux étant peut-être guéris alors qu’ils ont été diagnostiqués à un stade métastatique et qu’en 2000 ils décédaient, dans 50 % des cas, moins d’un an après le diagnostic ! Pour ceux dont la tumeur exprime moins de 50 % de PDL1, on prescrit une chimiothérapie et une immunothérapie quatre mois ou plus, associées à une immunothérapie que l’on prolongera seule pendant deux ans.

Dans ce cas-là, 20 % de ces malades sont encore vivants à cinq ans. L’immunothérapie est une révolution pour ces patients qui étaient condamnés à court terme.

 

TLM : Quels sont les effets secondaires éventuels de l’immunothérapie ?

Pr Jacques Cadranel : Avec l’immunothérapie, on réveille le système immunitaire mais l’effet dépasse parfois son but. Dans ce cas, on peut provoquer des maladies auto-immunes. Par exemple, des thyroïdites, facilement gérables. Et, très rarement, on observe des effets secondaires sur le système cardiaque, pulmonaire, neurologique, dont certains peuvent être mortels ou laisser des séquelles. L’un de nos défis est de réduire la durée du traitement d’immunothérapie pour réduire ce risque sans compromettre son efficacité. Chez certains malades, six mois ou un an pourraient suffire, avec moins de toxicité et un moindre coût pour la collectivité.

 

TLM : Quelles sont les innovations thérapeutiques attendues au prochain congrès de l’ESMO, en octobre ?

Pr Jacques Cadranel : On espère beaucoup de publications autour de l’immunothérapie péri-opératoire ou après radiothérapie pour les cancers localisés et des publications sur des anticorps conjugués. On attend également de grandes études sur la combinaison d’une thérapie ciblée avec une chimiothérapie ou des anticorps bispécifiques ou conjugués. Et sur de nouvelles immunothérapies et de nouvelles thérapies ciblées pour d’autres mutations.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans le suivi de ces cancers bronchiques ?

Pr Jacques Cadranel : Son rôle est fondamental, aussi bien dans la prévention primaire (lutte et sevrage contre le tabac) que dans le dépistage précoce de cette maladie. Devant tout fumeur ou ancien fumeur de plus de 55 ans, il doit prescrire un scanner thoracique : pour le dépistage, cet examen n’est pas encore remboursé mais le médecin généraliste peut proposer des essais cliniques en cours, dans plusieurs régions. Il doit aussi faire alliance avec le cancérologue et l’hôpital pour gérer les effets secondaires des traitements, prescrire une activité physique adaptée mais aussi prendre en charge l’aidant, et ses arrêts de travail notamment.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

  • Scoop.it