• Pr BRUYERE : Les alternatives thérapeutiques dans le traitement des cystites récidivantes

Franck BRUYERE

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 10/10/2021


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Alternatives aux antibiotiques, compléments alimentaires, probiotiques, le Pr Franck Bruyère, chef du service d’Urologie du CHU de Tours, responsable du comité Infectiologie de l’Association française d’urologie (CIAFU), membre du comité d’infectiologie de l’Association européenne d’urologie (ESIU), fait le point sur ces traitements alternatifs ou d’appoint.

 

TLM : Quelle est la place des compléments alimentaires dans la prise en charge des infections urinaires ?

Pr Franck Bruyère : Les cystites aiguës symptomatiques, c’est-à-dire avec brûlures mictionnelles, pollakiurie, éventuellement hématurie, se traitent avec des antibiotiques. Face à ces troubles urinaires, le traitement s’impose, avec en général une antibiothérapie de courte durée, comme la fosfomycine ou la furadantine. Certaines études ont montré que l’on pouvait aussi attendre quelques jours avant de prescrire des antibiotiques, en recommandant à la patiente de boire beaucoup ou en lui prescrivant quelques jours d’anti-inflammatoires. Mais le plus efficace contre la cystite aiguë reste l’antibiothérapie. En revanche, les colonisations bactériennes diagnostiquées par l’ECBU, asymptomatiques, ne nécessitent aucun traitement en dehors de la grossesse ou avant certaines interventions urologiques. Si les compléments alimentaires n’ont pas de place dans la prise en charge de la cystite aiguë, ils peuvent présenter un intérêt dans certains cas pour les femmes souffrant de cystites récidivantes.

 

TLM : Pour quelles patientes ces traitements alternatifs peuvent-ils être utiles ?

Pr Franck Bruyère : Le traitement de fond par antibiothérapie au long cours n’est pas nécessaire pour celles présentant moins d’une infection urinaire par mois. En revanche, les compléments alimentaires, eux, peuvent se révéler utiles dans ces situations-là. A condition qu’au préalable un bilan ait été effectué à la recherche d’une éventuelle origine à ces infections à répétition. Beaucoup de pathologies peuvent être en cause, calculs rénaux, tumeurs de la vessie, résidu post-mictionnel... Une fois sur dix seulement, le bilan permet de retrouver une affection permettant d’expliquer ces infections récidivantes.

 

TLM : Quelles sont les alternatives aux antibiotiques pour ces infections à répétition sans cause évidente ?

Pr Franck Bruyère : Certains compléments alimentaires ont pour objectif de réduire le risque de récidive chez les femmes à risque. La canneberge (cranberry en anglais) est sans doute le complément alimentaire le plus étudié contre les cystites récidivantes. Il y a une vingtaine d’années, contre toute attente, ce fruit rouge a émergé comme traitement préventif des infections urinaires récidivantes. Largement cultivé Outre-Atlantique, ce fruit a été concentré sous différentes formes médicamenteuses et proposé dans la prévention des cystites à E. coli. La canneberge abaisse le pH urinaire et a un effet antiadhésif. Il empêche E. coli, la bactérie la plus fréquente retrouvée dans les infections urinaires, de s’accrocher aux parois vésicales. La bactérie a en effet tendance à se coller à la paroi de l’urètre et de la vessie où elle se multiplie. Nous avons mené une étude en double aveugle qui a montré l’intérêt d’une association de canneberge et de propolis chez des femmes sujettes aux cystites à répétition causées par E. coli. Au cours des trois mois de traitement avec ce complément, près de la moitié des femmes ayant reçu de la canneberge n’ont pas souffert de cystite, alors que seulement un tiers des femmes dans le groupe placebo n’ont pas eu d’infection. Le traitement préventif consiste à prendre deux gélules, soit 36 milligrammes de proanthocyanidines (dérivés de la canneberge) par jour pendant trois mois. Mais les jus de fruits ou autre préparation à base de canneberge n’ont pas d’effet similaire. Notre étude a bien confirmé que la prise de ce composé à la bonne dose réduit significativement le nombre de crises de cystite chez certaines femmes.

 

TLM : Les probiotiques ont-ils fait leurs preuves contre les cystites à répétition ?

Pr Franck Bruyère : Les infections urinaires à répétition peuvent être liés à des bactéries qui se trouvent dans le vagin et qui viennent se multiplier dans l’urètre et la vessie. Les probiotiques utilisés par voie vaginale visent à restaurer la flore vaginale et digestive. Ils pourraient prévenir les infections urinaires à répétition. Les probiotiques localement, qui apportent notamment des lactobacillus, en restaurant cette flore réduiraient la fréquence des infections urinaires chez les femmes souffrant de récidives et contribueraient chez elles à diminuer la prise d’antibiotiques.

 

TLM : Que penser du D-mannose qui aurait aussi un effet contre ces infections ?

Pr Franck Bruyère : Le D-mannose utilisé par voie orale représente aussi une alternative aux antibiotiques, en cas d’infections récidivantes. C’est un sucre simple qui aurait aussi une action inhibitrice sur l’adhérence des bactéries au niveau des cellules uro-épithéliales. Le mannose aurait également la particularité de réduire la formation du biofilm intra-vésical, principal facteur d'antibiorésistance. À notre connaissance, la seule étude clinique récente, randomisée et de qualité, a été menée en 2014 sur 308 femmes. Ainsi, le risque de récidive avec le D-mannose était diminué de 45 % chez les femmes traitées.

 

TLM : Quid du vaccin contre les cystites ?

Pr Franck Bruyère : Des chercheurs ont mis au point un vaccin, contre les cystites, utilisé par voie orale ou par spray contre E. coli. Il s’agit pour les patientes présentant des infections récidivantes de stimuler leur immunité contre plusieurs souches différentes d’E. coli. Ce vaccin est disponible dans certains pays, mais pas encore en France malgré des études avec des niveaux de preuve corrects justifiant sa présence dans les recommandations européennes (EAU Guidelines). Il existe d’autres alternatives intéressantes aux antibiotiques au long cours pour les cystites à répétition qui ont aussi un niveau de preuve correct : l’hyperhydratation, l’œstrogénotherapie locale, l’acide hyaluronique. D’autres alternatives encore peuvent être envisagées mais avec un niveau moindre de preuve scientifique, comme le traitement du stress, l’hypnose, la micronutrition et le traitement chirurgical (méato-skénectomie, electro-fulguration du trigone, notamment).

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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