• Pr BRUYERE : L’antibiocycle préconisé pour lutter contre les cystites à répétition

Franck BRUYERE

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 11/04/2022


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Alterner les antibiotiques à faibles doses sur le long cours : telle doit être l’approche thérapeutique —intitulée prophylaxie par antibiocycle — des infections urinaires basses à répétition, selon le Pr Franck Bruyère, chirurgien urologue, praticien hospitalier et responsable du comité d’infectiologie de l’AFU (CIAFU), membre du comité d’infectiologie de l’EAU.

 

TLM : Certaines femmes sont plus sujettes que d’autres aux infections urinaires basses. Comment l’explique-t-on ?

Pr Franck Bruyère : C’est toute la question... Si les facteurs de risque de récidive des infections urinaires basses nous sont connus, nous ignorons ceux qui provoquent les premières crises. On observe deux pics d’incidence : à l’âge des premiers rapports sexuels et à la ménopause. Des facteurs hormonaux ainsi que des facteurs locaux interviennent donc probablement, mais aucune étude n’a permis de les identifier. Par ailleurs, même s’ils sont nettement moins touchés que les femmes, n’oublions pas que les hommes ne sont pas épargnés par les infections urinaires basses ; tandis que les premières développent généralement des cystites aiguës simples, les seconds sont davantage sujets à des formes compliquées.

 

TLM : Qu’entendez-vous par « cystite aiguë compliquée » ?

Pr Franck Bruyère : Ce terme, traduit de l’anglais, est en réalité un abus de langage car il sousentend que ce type de cystite est une évolution compliquée d’une cystite aiguë simple. Or, il n’existe pas de complication de cystite. On devrait plutôt parler de « cystite à risque de complication », la complication désignant le risque que le traitement antibiotique soit inefficace ou la récidive.

 

TLM : La pyélonéphrite n’est donc pas une complication d’une infection urinaire basse ?

Pr Franck Bruyère : Non, sauf dans les rares cas de reflux vésico-rénal.

 

TLM : Quels sont les facteurs susceptibles de favoriser une « cystite à risque de complication » ?

Pr Franck Bruyère : Chez l’homme comme chez la femme, plusieurs facteurs de risque ont été identifiés : des problèmes urologiques (tels que les calculs rénaux ou vésicaux) ou des troubles urinaires, l’insuffisance rénale qui induit parfois une moins bonne distribution des antibiotiques dans l’organisme, une mauvaise tolérance aux médicaments ou le développement de germes résistants aux antibiotiques, comme on l’observe souvent chez les personnes âgées ou fragiles, ou encore l’immunodépression induite par certaines maladies ou certains traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs. Chez l’homme, les cystites à risque de complication sont souvent diagnostiquées lorsque le germe en cause est atypique ou en présence de résidus post-mictionnels résultant de troubles de la vidange vésicale. Chez la femme, on considère que les infections urinaires pendant la grossesse peuvent être à l’origine de complications fœtales, mais cela s’appuie sur un dogme qui n’a jamais été démontré.

 

TLM : Quelles sont les recommandations en matière de diagnostic d’une cystite aiguë simple ?

Pr Franck Bruyère : Le diagnostic se fait sur la seule symptomatologie clinique, qui associe une pollakiurie (envies fréquentes d’uriner), des brûlures à la miction et des douleurs sus-pubiennes. Même si les recommandations prônent le recours aux bandelettes urinaires, leur intérêt n’est pas réellement démontré. Éventuellement, elles peuvent orienter le traitement : l’absence de nitrite prouvant l’implication des staphylocoques dans l’infection urinaire, celle-ci devra être traitée au moyen d’un autre antibiotique que celui habituellement indiqué en première intention. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) en laboratoire n’est pas davantage utile. Il suffit donc d’interroger la patiente sur ses symptômes pour poser le diagnostic de cystite aiguë simple.

 

TLM : Et en cas de cystites à répétition ?

Pr Franck Bruyère : Le diagnostic repose toujours sur l’examen clinique, mais celui-ci doit être assorti, de temps en temps, d’un ECBU avec antibiogramme, afin de surveiller l’émergence d’éventuelles résistances et, le cas échéant, d’adapter le traitement antibiotique. Le médecin doit, en outre, rechercher les facteurs de risque de récidives (ménopause, constipation, calculs rénaux ou vésicaux, défaut de miction ou d’hydratation, malformations de l’appareil génito-urinaire) ou éliminer toute autre cause de douleur vésicale : une tumeur vésicale, une mauvaise vidange de la vessie (fréquent en cas de diabète), la présence de calculs dans l’appareil urinaire ou l’effraction dans la vessie des bandelettes à la suite d’une opération de l’incontinence urinaire, par exemple.

 

TLM : Comment traite-t-on les cystites aiguës simples et les cystites récidivantes ?

Pr Franck Bruyère : Le traitement de première intention des cystites aiguës simples repose sur la prescription d’une antibiothérapie de courte durée : soit la fosfomycine en dose unique, l’antibiotique le plus fréquemment prescrit, soit le pivmécillinam. Les symptômes de cystite disparaissent généralement très rapidement. Certaines situations — présence d’un calcul rénal, d’une sonde vésicale, la patiente est enceinte ou souffre d’infections urinaires récidivantes (>4 crises/an) — imposent de recourir à des alternatives.

Le traitement des cystites à répétition dépend de la fréquence des crises : en-dessous d’une infection urinaire aiguë par mois, celle-ci sera traitée par une antibiothérapie de courte durée ; au-delà de 12 crises annuelles, une antibiothérapie au long cours à faibles doses est généralement préconisée. Il s’agit d’un antibiocycle, qui consiste à alterner plusieurs traitements antibiotiques parmi la nitrofurantoïne, la fosfomycine, le pivmécillinam, l’amoxicilline, l’association sulfaméthoxazole-triméthoprime ou le triméthoprime seul. De son côté, la patiente devra avoir tenté de réduire le nombre de crises en adoptant une hygiène de vie susceptible de prévenir les récidives : hydratation suffisante, alimentation équilibrée et riche en fibres pour favoriser un transit intestinal normal et prévenir une constipation, arrêt du tabac, correction du surpoids, pratique régulière d’une activité physique... La prescription d’un traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées est recommandée, tout comme l’arrêt des spermicides. La canneberge à la bonne dose a, par ailleurs, une réelle efficacité sur les cystites récidivantes à Escherichia coli. A noter que l’Europe a autorisé un vaccin contre les infections de ce type, mais celui-ci n’est pas encore disponible en France. Le D-mannose, les glycosaminoglycanes, les pré ou probiotiques et certaines interventions font l’objet d’études.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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