• Pr Bruno Fautrel : Pour prévenir la chronicisation de la lombalgie

Bruno Fautrel

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 18/04/2023


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Multiplier ou prolonger les arrêts maladie peut mettre en danger les patients lombalgiques en favorisant le risque de chronicisation de leur douleur et de leur désinsertion sociale, met en garde le Pr Bruno Fautrel, chef de service de Rhumatologie à l’hôpital de la PitiéSalpêtrière à Paris.

 

TLM : Quelle est la démarche à adopter face à un patient souffrant de lombalgie ?

Pr Bruno Fautrel : Il faut avant tout porter une écoute attentive au patient pour déterminer la nature de sa lombalgie : une lombalgie spécifique, liée à des maladies sous-jacentes (scoliose, spondylarthrite ankylosante, fracture d'une vertèbre, infection localisée à la colonne vertébrale, tumeur vertébrale...) potentiellement graves ; ou une lombalgie aiguë commune, bénigne. Attention, « pas grave » ne signifie pas que « c’est dans la tête » ! La douleur du patient est réelle et nécessite une prise en charge, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Elle ne dure généralement pas plus de quelques jours, quelques semaines au maximum. On parle de lombalgie chronique lorsque les symptômes durent depuis au moins trois mois. C’est la recherche des « drapeaux rouges », que la Haute Autorité de santé a identifiés dans ses recommandations de bonnes pratiques en 2001, qui permet de distinguer une lombalgie spécifique d’une lombalgie commune : douleur qui réveille la nuit, au moins une demi-heure de « déverrouillage » le matin au lever, perte de force dans les jambes, antécédents de cancer, être adolescent ou âgé de plus de 55 ans.

 

TLM : Quels sont les facteurs de risque d’une lombalgie aiguë commune ?

Pr Bruno Fautrel : Le premier est, de loin, la sédentarité. Moins sollicités, les muscles du rachis ne sont plus aussi efficaces qu’avant, la proprioception devient moins bonne, tout cela entraîne un déconditionnement à l’effort qui concourt à l’apparition d’une lombalgie. Le deuxième facteur de risque est le surpoids ; en modifiant le centre de gravité, il augmente les contraintes sur la colonne vertébrale. Enfin, en troisième position, les activités —professionnelles ou non— à risque car très demandeuses pour le dos ou imposant des positions inconfortables ou des mouvements répétitifs. Les facteurs de risque génétiques concernent une minorité de patients. Pour autant, ils ne sont pas condamnés à avoir constamment mal au dos, il est donc important de les rassurer et de leur indiquer qu’une prise en charge est possible.

 

TLM : Justement, en quoi consiste la prise en charge du patient lombalgique ?

Pr Bruno Fautrel : Tout dépend du type de mal de dos dont il souffre : si l’examen clinique et l’anamnèse du patient ont orienté vers le diagnostic d’une lombalgie symptomatique spécifique, des examens complémentaires (IRM ou scanner) vont être nécessaires pour en rechercher la cause précise afin de mettre en place la prise en charge la mieux adaptée. Si le diagnostic est celui d’une lombalgie commune, aucun examen complémentaire n’est indiqué : la prise en charge consiste alors à rassurer le patient, à lui expliquer que la douleur ne reflète en rien une lésion grave, à le convaincre de rester actif malgré sa douleur, le convaincre que la douleur va régresser avec quelques médicaments, parfois quelques séances de rééducation et une bonne gestion des activités physiques au quotidien. Le traitement médicamenteux est simple et bien codifié : il repose sur la prescription courte d’antalgiques de palier 1 ou 2, associés éventuellement à des anti-inflammatoires et/ou à des décontracturants musculaires. Ils peuvent aider à casser le cercle vicieux de la douleur et éviter qu’elle ne s’installe durablement. Les médicaments à base d’Adénosine TriPhosphate disodique peuvent constituer un traitement d’appoint de la rééducation. Il est important d’expliquer au patient que l’anxiété ou la peur de ne pas s’en sortir aggravent la douleur ressentie et seront un frein à la récupération.

 

TLM : La prescription d’arrêts maladie estelle justifiée ?

Pr Bruno Fautrel : Les personnes qui souffrent de lombalgie chronique sont souvent de gros consommateurs de médicaments et très demandeurs d’examens complémentaires. Par ailleurs, ils sont souvent en difficulté dans leur travail. Multiplier les arrêts maladie, même courts, les met en danger car cela contribue à la détérioration de leur qualité de vie, favorise le passage à la chronicité de leur douleur et peut conduire, in fine, à leur désinsertion sociale. La démarche pour une bonne prise en charge de ces patients est, au contraire, de considérer le travail comme un élément-clé pour prévenir le passage à la chronicité, qu’il convient d’adapter si nécessaire mais pas d’arrêter de façon prolongée ou répétée.

 

TLM : Que faire quand la douleur persiste au-delà d’un mois ?

Pr Bruno Fautrel : Dans ses dernières recommandations de bonne pratique, qui datent de 2020, la Haute Autorité de santé considère qu’il existe un risque élevé de chronicisation de la lombalgie commune lorsque les symptômes persistent plus d’un mois. Le médecin doit alors élargir le champ de son examen clinique et approfondir l’interrogatoire de son patient à la recherche de facteurs de risque psychologiques ou sociaux : il s’agit de facteurs psychologiques, comportementaux, socio-économiques et professionnels qui favorisent les récidives et donc le passage à la chronicité. Des aides spécifiques peuvent alors être proposées en plus du traitement médical. Si c’est le métier exercé par le patient qui ne convient pas, une reconversion professionnelle peut être envisagée en accord avec la médecine du travail. Les praticiens de ville peuvent orienter leurs patients vers des centres publics ou privés spécialisés qui offrent une prise en charge pluridisciplinaire des lombalgies. Ils peuvent aussi, s’ils le souhaitent, solliciter les médecins des centres régionaux de l’Assurance maladie pour que ces derniers facilitent leurs démarches auprès du médecin du travail et du service social de l’Assurance maladie afin d’organiser une prise en charge coordonnée.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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