• Pr BREMOND-GIGNAC : Favoriser dépistage précoce et freination de la myopie de l’enfant

Dominique BREMOND-GIGNAC

Discipline : Ophtalmologie

Date : 10/01/2022


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Plus d’un enfant sur cinq est myope, avec le risque de complications à l’âge adulte. Si de nouveaux traitements ont fait leurs preuves pour freiner la myopie, ils sont encore trop peu connus et prescrits. Les explications du Pr Dominique Bremond-Gignac, chef du service d’Ophtalmologie de l’hôpital Necker.

 

TLM : Pourquoi est-il important de traiter la myopie chez l’enfant ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : La myopie est trop souvent perçue avec un certain fatalisme. Les parents, mais aussi les médecins, se disent que l’enfant est myope, qu’il doit porter des lunettes et l’on s’en tient à ce constat. Le fait que la myopie de l’enfant puisse entraîner des complications n’est pas assez pris en compte. Une myopie non traitée augmente notablement les risques de maculopathies, de cataractes, de glaucomes, de décollements de la rétine. A terme, c’est donc la vision qui peut être menacée. A partir de -3 dioptries, chaque dioptrie gagnée réduit les risques, comme le prouve l’étude de référence « Bullimore ». La prise en charge précoce de la myopie est d’autant plus cruciale que la prévalence de cette pathologie ne cesse d’augmenter. Si rien n’est mis en œuvre, un Français sur deux sera myope en 2050. A Singapour, 90 % des adultes jeunes le sont déjà. Pourtant, il existe des solutions pour freiner la myopie.

 

TLM : Quels sont les enseignements de la grande étude épidémiologique française qui a été menée, de 2016 à 2019, dans le cadre d’un partenariat entre le CHU de Poitiers et Krys Group ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : J’ai discuté régulièrement avec le Pr Nicolas Leveziel, le chef du service d’Ophtalmologie du CHU de Poitiers, qui a piloté l’étude épidémiologique. Elle est intéressante, parce qu’elle a permis de suivre pendant six ans plus de 130 000 enfants myopes. Les résultats sont sans appel : la myopie progresse en France. Si nous ne faisons rien, cette pathologie se généralisera, comme c’est le cas aujourd’hui en Asie. Il convient de favoriser le dépistage précoce de la myopie. Celui-ci devrait s’effectuer dès l’âge pré-scolaire, mais beaucoup d’enfants ne vont jamais chez un ophtalmologue. Par ailleurs, la formation médicale continue est essentielle. Aujourd’hui encore, beaucoup de médecins pensent qu’ils ne peuvent rien mettre en œuvre pour leurs jeunes patients myopes. Ce sont parfois les parents qui, après avoir vu une publicité à la télévision, leur demandent des verres freinateurs. Le développement de la myopie constitue une problématique de santé publique actuelle contre laquelle les professionnels de santé visuelle, ophtalmologistes, orthoptistes et opticiens doivent se mobiliser.

 

TLM : Quelles sont les solutions efficaces pour traiter la myopie chez l’enfant ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : Les premières mesures à prescrire aux enfants myopes sont environnementales : favoriser la lumière du jour, en passant au moins 40 minutes dehors quotidiennement, éviter la lumière bleue des LED de façon directe, maintenir une distance de plus de trente centimètres lors de la lecture et faire des pauses régulières pour reposer les yeux. Sur le plan médical, la recherche et les fabricants ont fait d’énormes avancées ces dernières années, mais elles ne sont pas assez connues. Les traitements permettant de freiner la myopie ne sont donc pas assez proposés et prescrits par les médecins généralistes, et même par certains ophtalmologistes. Il existe quatre familles de traitements, qui peuvent être combinées entre elles. Commercialisés seulement depuis 2020, les verres freinateurs de myopie comme les verres MiYosmart Vision développés par Hoya ou, depuis 2021, comme les verres Stellest permettent aux rayons périphériques d’arriver en avant de la rétine. L’œil ne s’allonge donc pas, ce qui corrige la défocalisation périphérique hypermétrope. Autre innovation, les lentilles de contact, comme MiSight de CooperVision, permettent également d’éviter la défocalisation. Des études prouvent que leur port quotidien permet de réduire de 50 à 60 % l’évolution de la myopie. Les lentilles d’orthokératologie sont des lentilles rigides qui se portent la nuit afin de remodeler la cornée pendant le sommeil. La dernière option très efficace selon les études est le collyre d’atropine microdosé à 0,01 %, avec l’administration d’une goutte par jour.

 

TLM : Parmi ces traitements, comment le médecin doit-il choisir celui qu’il convient de prescrire ?

Pr Dominique Bremond-Gignac : La diversité des traitements permet de les personnaliser en fonction du profil des enfants, mais aussi de leurs parents. Mettre une goutte dans l’œil de l’enfant chaque jour peut sembler facile à certains parents alors que d’autres ne veulent pas d’une telle contrainte. Les verres défocalisants sont efficaces, mais ils sont un peu plus onéreux que les verres classiques. Si les adolescents apprécient généralement les lentilles, celles-ci ne sont pas adaptées aux enfants de moins de huit ans, car elles nécessitent de la manipulation et le respect de règles d’hygiène. Enfin, certains enfants préfèrent ne rien porter la journée et utiliser les lentilles rigides la nuit, même si celles-ci requièrent un temps d’adaptation et comportent des risques infectieux. Les traitements peuvent évoluer en fonction de l’âge et des souhaits des enfants, certains peuvent se combiner entre eux, comme par exemple les verres et le collyre, pour plus d’efficacité, mais aucune étude n’est encore disponible. Chaque enfant doit, quoi qu’il en soit, pouvoir bénéficier d’une solution adaptée. Il ne faut pas oublier que réduire la myopie dès l’enfance c’est lui offrir une meilleure qualité de vie. Une mauvaise vue peut engendrer des problèmes au niveau de la scolarité ou dans la pratique sportive. Chaque dioptrie gagnée fait une réelle différence.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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