• Pr. BOUVARD : Pourquoi l’ostéoporose masculine est insuffisamment prise en charge...

Béatrice BOUVARD

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 01/02/2021


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TLM : Quelle est la prévalence de l’ostéoporose masculine ?
Pr Béatrice Bouvard :
Un homme sur cinq présentera une fracture ostéoporotique (contre une femme sur deux), ce qui représente 20 à 25 % des fractures ostéoporotiques cliniques.

Existe-t-il des spécificités de l’ostéoporose chez l’homme ?
u L’incidence des fractures ostéoporotiques chez l’homme augmente à partir de 70-75 ans (dix ans plus tardivement que chez la femme). Les localisations des fractures ostéoporotiques sont semblables à celles des femmes : fractures vertébrales et de l’extrémité supérieure du fémur, mais aussi fractures du bassin, de l’humérus, du poignet, des,côtes. L’excès de mortalité après fracture est plus élevé chez les hommes ; ainsi dans l’année suivant une fracture de hanche, un tiers des hommes vont décéder (contre un quart des femmes) et un certain nombre seront institutionnalisés, ne retrouvant pas leur autonomie antérieure. Ces lourdes conséquences s’expliquent par l’âge de survenue de cette fracture (80-85 ans) et la décompensation des diverses comorbidités au décours de l’hospitalisation et par la suite.

Le risque de nouvelle fracture est, comme chez la femme, important dans les dix années suivant une première fracture, et plus particulièrement dans les deux à trois premières années, on parle de « risque imminent de fracture ». Ce risque de récidive est d’autant plus important que le patient est âgé et que sa densité minérale osseuse est basse.

Les données récentes en France du Système national des données de santé de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) témoignent de la faible prise en charge de l’ostéoporose après une fracture. Moins de 15 % des patients de plus de 50 ans, hommes et femmes confondus, hospitalisés suite à une fracture ostéoporotique reçoivent un traitement spécifique de l’ostéoporose dans l’année, et cette part est encore plus faible chez les hommes. Chez l’homme âgé, on attribue très souvent les fractures à des causes traumatiques alors qu’il s’agit de fractures à basse cinétique, survenant dans les suites d’une chute de sa hauteur.

uAprès 50 ans, toute fracture survenant à basse énergie (chute de sa hauteur) témoigne d’une fragilité osseuse. Il faudra toujours réaliser un bilan biologique minimal et vérifier à l’interrogatoire les caractéristiques cliniques de la symptomatologie afin de ne pas méconnaître une fracture néoplasique. La fracture est le témoin de la maladie ostéoporotique et ceci quel que soit le T-score de densité minérale osseuse. La moitié des fractures ostéoporotiques surviennent chez des hommes ayant des T-scores >-2,5, il ne faut donc pas se baser uniquement sur le T-score pour retenir le diagnostic d’ostéoporose. La fracture est le témoin de la maladie et doit conduire à une prise en charge, le plus rapidement possible pour éviter une nouvelle fracture, quel que soit le T-score.

En l’absence de fracture, doit-on dépister l’ostéoporose chez les hommes âgés ?
uOui, après 70 ans, du fait de l’augmentation du risque de fracture après cet âge, on cherchera les facteurs de risque classiques d’ostéoporose comme on le fait chez les femmes après la ménopause : antécédents personnels de fractures, intoxication tabagique, consommation quotidienne de plus de trois verres d’alcool, corticothérapie au long cours, hormonothérapie du cancer de la prostate, endocrinopathies, maladies chroniques comme la BPCO... Bien évidemment, rechercher l’existence de chutes dans l’année écoulée est primordial, tout comme identifier les troubles de l’équilibre ou d’autres facteurs concourant à majorer le risque de chute et donc de fracture. Enfin, une mesure de densité minérale osseuse (DMO) par absorptiométrie biphotonique à rayons X sera réalisée en cas de facteurs de risque de perte osseuse car le risque de fracture augmente avec la diminution de la densité osseuse. Le T-score indique une masse osseuse basse et donc un facteur de risque de fracture et de récidive de fracture. Pour chaque diminution d’un écart type de DMO à la hanche le risque de fracture de hanche est multiplié par environ 3, comme chez les femmes.

Quelle est la prise en charge thérapeutique ?
uLa prise en charge ressemble à celle

de l’ostéoporose post-ménopausique et repose sur des mesures non thérapeutiques et des mesures thérapeutiques. Il faudra autant que possible agir sur les facteurs de risque d’ostéoporose modifiables : réduction des intoxications éthylique et tabagique, réduction de la posologie d’une corticothérapie... Prévenir la chute ou la récidive de chute est essentielle : limiter les médicaments pourvoyeurs de chute, stimuler la marche, travailler l’équilibre. Il faut vérifier les apports calciques et protéiques quotidiens : environ 1 gramme de calcium et 1 gramme de protéines. Apporter une supplémentation en vitamine D si nécessaire et vérifier que la concentration sérique soit >75 nmol/L. Recommander la pratique quotidienne d’une activité physique en charge, telle que la marche à pied, 20 à 30 minutes par jour minimum. Ces mesures non thérapeutiques sont importantes mais ne suffisent pas à réduire le risque de fracture ou de refracture. Le traitement médicamenteux reposera sur les bisphosphonates et le tériparatide. Le dénosumab a une indication dans l’ostéoporose masculine mais n’est pas remboursé. En cas de fracture de hanche, les bisphosphonates IV sont recommandés en première intention (perfusion annuelle d’acide zolédronique). Après deux fractures vertébrales ou plus, on utilisera en première intention et en l’absence de contre-indication le tériparatide en injection sous-cutanée quotidienne pendant 18 mois, suivi d’un traitement par bisphosphonate. En l’absence de fracture, un traitement est indiqué si l’un des T-score est -3.

La poursuite du traitement sera réévaluée régulièrement en fonction de la survenue ou non de nouvelle fracture, de la densité minérale osseuse et de son évolution sous traitement, d’éventuels nouveaux facteurs de risque ou à l’inverse de la suppression de facteurs de risque.

Vous avez contribué aux prochaines recommandations sur l’ostéoporose masculine. Quand paraîtront-elles ?
u J’ai participé à la rédaction de ces recommandations sous l’égide de la Société française de rhumatologie (SFR) et du Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO). Elles doivent paraître en début d’année. Ce seront les premières recommandations françaises sur l’ostéoporose masculine, l’occasion de sensibiliser les praticiens sur la fréquence de cette pathologie et sa prise en charge.

Propos recueillis par Marie Christine Tomasso

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