• Pr. BOURLIERE / AKNINE : AAD dans l’Hépatite C : les généralistes appelés en renfort

Marc / Xavier BOURLIERE / AKNINE

Discipline : Infectiologie

Date : 19/10/2020


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TLM : Quels sont les patients concernés par un traitement par AAD ?
u Pr Marc Bourlière : Toute personne infectée par le virus de l’hépatite C peut être candidate au traitement par les AAD, y compris les patients présentant une forme sévère de la maladie. Ces médicaments, apparus sur le marché en 2014, ont véritablement révolutionné la prise en charge des malades. En 2011, les premiers inhibiteurs de protéase, associés à l’interféron et la ribavirine, avaient déjà considérablement amélioré leur traitement avec une hausse de 70 % des guérisons, mais au prix d’effets secondaires sévères (fatigue, fièvre, problèmes cutanés). Les AAD guérissent 99 % des patients et sont très bien tolérés. Les effets secondaires les plus fréquents se limitent à une céphalée (chez 1 patient sur 4), soulagée avec du paracétamol, et de la fatigue mais qui n’entraîne aucune incapacité, notamment professionnelle.

 

Depuis mai 2019, les médecins généralistes peuvent prescrire les AAD. Quels sont les enjeux de cette mesure ?

Pr Marc Bourlière : Même si beaucoup de progrès ont été faits, il reste encore 92 000 patients à traiter. Parmi ces malades, des populations à risque (usagers de drogues, précaires, migrants) qui ne vont pas à l’hôpital ; l’idée d’ouvrir aux médecins généralistes la prescription des AAD est d’éviter aux malades un parcours de soins compliqué et de les perdre dans la nature.

 

En pratique, comment cela se traduit-il ?
Dr Xavier Aknine :
Les porteurs chroniques du VHC, naïfs de tout traitement AAD, n’ayant pas d’infection associée par le VHB et/ou le VIH et présentant un score de fibrose hépatique minime ou modéré (moins de 10kPa à l’élastométrie du foie) peuvent être pris en charge dans le cadre d’un parcours simplifié. Dans ces situations, le médecin généraliste peut prescrire l’un des deux AAD, autrefois réservés aux hépatologues et infectiologues. Munis de leur ordonnance, les patients se rendent dans leur pharmacie de ville et obtiennent le traitement pour un mois. La durée totale du traitement est de deux ou trois mois selon la molécule choisie et la tolérance clinique est très bonne. Pour les personnes dont la situation clinique est plus complexe, le choix du traitement et la surveillance sont assurés par une équipe médicale pluridisciplinaire (hépato-gastro-entérologue, biologiste, radiologue...) dans le cadre d’un parcours spécialisé.

 

Après 18 mois, quel premier bilan tirez-vous de cette avancée ?
Pr Marc Bourlière :
Cette mesure était indispensable, mais son appropriation par les médecins généralistes prendra du temps. Ceux qui prescrivent des AAD à leurs patients séropositifs au VHC sont ceux qui étaient déjà sensibilisés à la question de la prise en charge de l’hépatite C et qui prescrivaient des traitements de substitution aux opiacés. Il faut maintenant convaincre les autres.

 

L’épidémie de Covid-19 a-t-elle eu un impact sur le déploiement du parcours simplifié ?
Dr Xavier Aknine :
En 2019, de nombreux médecins généralistes et addictologues se sont formés à la prise en charge des patients porteurs du VHC et à la prescription des AAD. Dans la foulée, un certain nombre de patients ont été traités en médecine générale et dans les CSAPA. Mais, pour bien maîtriser cette prescription, il est indispensable de la pratiquer régulièrement. Or, le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 a stoppé net le mouvement amorcé à l’automne dernier. Tout ce que l’on avait développé pour favoriser le dépistage et le traitement des patients VHC+ par les médecins généralistes et addictologues s’est arrêté ; nous devons reprendre cette dynamique et encourager les médecins à repasser à l’action. Par ailleurs, le dépistage fait partie de la mission de tous les médecins généralistes ; à eux d’inclure systématiquement une sérologie du VHC dans toutes les demandes de bilans de leurs patients. On ne pourra augmenter le nombre de patients traités que si l’on accroît le nombre de personnes dépistées. Or, 30 000 à 50 000 personnes ignorent qu’ils sont porteurs du VHC. En effet, dans 90 % des cas, l’hépatite C est asymptomatique. L’objectif de l’Association française d’étude du foie (AFEF) est de parvenir à ce que chaque Français ait été dépisté au moins une fois dans sa vie. On est encore très loin du compte !

 

Quels sont les freins ?

Pr Marc Bourlière: L’hépatite C est encore considérée comme une maladie de toxicomane, même parmi les professionnels de santé. Il faut sortir de ces représentations ! Que l’on ait été transfusé dans les années 1970, que l’on ait pris des risques dans sa jeunesse (tatouage, drogues), ou que l’on ait été adepte de l’acupuncture à une époque où le matériel utilisé n’était pas à usage unique..., nous sommes tous concernés ! Nous observons d’ailleurs une forte prévalence parmi les femmes de 60 ans qui n’ont rien de junkies ! En outre, le dépistage de l’hépatite C ne fait pas partie des habitudes des médecins généralistes. Maintenant qu’ils disposent de traitements efficaces et bien tolérés, ils ne doivent pas hésiter à dépister leurs patients. Nous avons traité la grande majorité des malades suivis à l’hôpital, il nous faut traiter les autres et la place de tous les médecins et notamment des médecins généralistes est fondamentale si on veut arriver à l’élimination de la maladie à l’horizon 2025.

 

Propos recueillis par Amélie Pelletier

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