• Pr BONAZ : Approches thérapeutiques du Syndrome de l’intestin irritable

Bruno BONAZ

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/10/2021


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En l’absence de traitement curatif, seules des approches symptomatiques sont proposées aux patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable, avec plus ou moins de succès. Le point avec le Pr Bruno Bonaz, gastroentérologue au CHU de Grenoble.

 

TLM : À quoi correspond le syndrome de l’intestin irritable (SII) ?

Pr Bruno Bonaz : Selon les critères de Rome IV, il s’agit d’une affection associant des douleurs abdominales présentes depuis au moins trois mois et survenant au moins une fois par semaine, à des troubles du transit —diarrhée, constipation, ou une alternance des deux. Il s’agit donc d’une maladie chronique se manifestant par intermittence de façon plus ou moins fréquente. Cette définition est surtout utilisée dans les travaux de recherche. En consultation, on n’est pas aussi « regardant » sur la durée et la fréquence des symptômes —on sait que lorsque les patients consultent, c’est qu’ils en souffrent depuis plusieurs années. On observe, par ailleurs, que l’immense majorité d’entre eux se plaignent de ballonnements et de gaz, alors que ces symptômes ne figurent pas dans la définition du syndrome de l’intestin irritable. Surtout, on découvre que tous souffrent d’un syndrome d’hypersensibilité centrale qui se manifeste également par divers symptômes extra-digestifs : stress, maux de tête, douleurs articulaires, douleurs musculaires, troubles urinaires, douleurs pelviennes, exacerbation des douleurs prémenstruelles...

 

TLM : Que sait-on des causes de ce syndrome ?

Pr Bruno Bonaz : Le syndrome de l’intestin irritable —que l’on appelait autrefois colopathie fonctionnelle— est souvent déclenché à l’occasion d’un stress, d’un conflit d’ordre personnel ou professionnel, d’un échec... L’alimentation joue également un rôle-clé : chez 90 à 95 % des personnes concernées, les symptômes surviennent à la suite d’un repas. Divers aliments sont incriminés : les produits gras, acides, le gluten, les FODMAPS —ces sucres fermentescibles peu absorbés au niveau de l’intestin.

 

TLM : Existe-t-il un profil type de patients ?

Pr Bruno Bonaz : Les personnes souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable ont en commun une mauvaise image de leur schéma corporel avec une altération de l’interoception —cette capacité à percevoir de manière objective l’état interne de son organisme. Les phénomènes périphériques (anodins et discrets chez la majorité) sont ultra ressentis, occasionnant des douleurs, une anxiété accrue, et encore plus de vigilance et de crispations. Certains vivent sans le savoir en état d’hypervigilance permanente. On retrouve également des événements de vie traumatisants survenus pendant l’enfance ou l’adolescence (parents « toxiques », décédés, traumatismes sexuels...). Il semblerait que l’interaction entre les facteurs liés à l’histoire du patient (génétique, culture, environnement comme les infections, les traumatismes, les comportements des parents...) et les facteurs psychosociaux (stress, personnalité, état psychologique, moyens d’adaptation à un stress, statut social) fasse le lit du SII. C’est un syndrome qui affecte deux fois plus les femmes que les hommes.

 

TLM : Quelles sont les conséquences de cette maladie ?

Pr Bruno Bonaz : Son retentissement sur la qualité de vie est largement comparable à celui d’un diabète ou d’une maladie cardiaque. Les patients n’osent plus sortir, beaucoup dépriment, dorment mal, sont fatigués...

 

TLM : Comment pose-t-on le diagnostic du syndrome de l’intestin irritable ?

Pr Bruno Bonaz : Il repose sur un diagnostic différentiel qui vise à exclure toute maladie organique (cancer digestif notamment), et toute autre maladie inflammatoire de l’intestin (MICI, colite inflammatoire, colite microscopique...). L’examen médical, qui associe un interrogatoire du patient et un examen clinique à la recherche d’un empâtement du côlon, est complété par la prescription d’une analyse de sang (NFS, recherche d’une carence en fer et en vitamines, bilan hépatique), et d’un dosage de la calprotectine dans les selles —un marqueur de l’inflammation absente dans le SII. Selon les recommandations, l’endoscopie doit être proposée uniquement en présence de « red flags » (sang dans les selles, amaigrissement important sans cause identifiée, fatigue anormale).

 

TLM : Peut-on traiter le SII ?

Pr Bruno Bonaz : Pour l’heure, la prise en charge des patients repose principalement sur des traitements symptomatiques, qui associent des antispasmodiques à visée antalgique et, éventuellement, des médicaments absorbant les gaz. Aux États-Unis, les médecins prescrivent à leurs patients des antidépresseurs à faible dose, pour leur action antidouleur —ce n’est pas le cas en France. Des anxiolytiques et des antidépresseurs peuvent être indiqués en cas de troubles anxieux et de dépression avérés. Mais il n’existe pas de traitement curatif du SII, et il est illusoire de croire qu’un médicament permettra d’en guérir tant cette maladie est complexe.

 

TLM : Quid des thérapies complémentaires ?

Pr Bruno Bonaz : Elles ne sont pas dénuées d’intérêt. En particulier l’hypnose orientée sur le tube digestif, qui a montré une efficacité chez 60 % des patients. Son principe : détourner l’attention du patient de son syndrome —on parle de « déviation intentionnelle ». Cela peut fonctionner avec n’importe quelle activité, en particulier physique car elle va stimuler le nerf vague impliqué dans l’axe neuro-digestif. Ostéopathie, acupuncture, massages du côlon... même si ces approches ne fonctionnent pas pour tout le monde, elles méritent d’être essayées. On observe un déséquilibre du microbiote intestinal chez les patients.

 

TLM : Les probiotiques et la greffe de selles ont-ils un intérêt ?

Pr Bruno Bonaz : La Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE) suggère de tester les probiotiques, mais uniquement ceux qui ont fait la preuve de leur efficacité dans des études randomisées. Il reste, en revanche, trop d’interrogations sur l’intérêt de la transplantation fécale pour pouvoir l’envisager dans cette indication —du moins pour le moment. Sur le plan alimentaire, il est important de rappeler aux patients les règles hygiénodiététiques de base : bien mastiquer, éviter de manger des repas trop copieux, trop gras ou trop sucrés, limiter les boissons gazeuses. Une consultation diététique peut parfois être nécessaire pour identifier des erreurs qui concourraient au déclenchement des crises.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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