• Pr BLANC : Diagnostiquer et traiter les carcinomes des voies biliaires

Jean-Frédéric BLANC

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 11/04/2022


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Parmi les tumeurs digestives, la prise en charge des cholangiocarcinomes a beaucoup évolué, grâce à la biologie moléculaire et à l'arrivée des thérapies ciblées, note le Pr Jean-Frédéric Blanc, chef du service d'Hépato-Gastroentérologie et Oncologie digestive au CHU de Bordeaux.

Il fait le point sur le diagnostic et les traitements.

 

TLM : Les carcinomes des voies biliaires, qu'il s'agisse des formes localisées, localement avancées ou métastasées, sont-ils fréquents ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : Il faut distinguer principalement deux formes de cancer des voies biliaires dont les facteurs de risque, les stratégies de diagnostic et les traitements ne sont pas similaires. Le cancer peut concerner les voies biliaires à l'intérieur du foie. Il s'agit alors d'un cholangiocarcinome intra-hépatique. Le cancer peut aussi atteindre les grosses voies biliaires qui sortent du foie, ou la vésicule biliaire : c'est un cholangiocarcinome extra-hépatique. Les tumeurs des voies biliaires extra-hépatiques se manifestent par un ictère et sont souvent de traitement complexe nécessitant une expertise et un plateau technique multidisciplinaire. Leur fréquence baisse, car les facteurs de risque d'inflammation des voies biliaires ont diminué en particulier du fait d'un accès facile à la chirurgie vésiculaire en cas de calculs. En France, nous recensons chaque année 2 nouveaux cas pour 100 000 habitants pour les hommes et 1 pour 100 000 chez les femmes, de tumeurs des voies biliaires extra-hépatiques.

 

TLM : Les cancers des voies biliaires intra-hépatiques sont-ils plus fréquents ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : Les tumeurs des voies biliaires intrahépatiques, elles, sont en augmentation. Elles concernent chaque année 2,4 nouveaux cas pour 100 000 hommes et 1 pour 100 000 femmes. Ces atteintes ont les mêmes facteurs de risque que les cancers primitifs du foie : alcool, cirrhose, stéatose hépatique, hépatite B et C. Ces cholangiocarcinomes intra-hépatiques touchent des patients de plus de 45 ans, avec un pic entre 45 et 60 ans. Il n'y a quasiment pas de signes permettant de faire un diagnostic précoce. La maladie peut être détectée lors d'un bilan pour une altération de l'état général, fatigue, amaigrissement, fièvre, douleurs, ictère. Elle peut aussi être identifiée au cours d'une surveillance systématique mise en place pour une hépatite B ou C.

 

TLM : Comment diagnostiquer et traiter les cholangiocarcinomes extra-hépatiques ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : Le principal signe clinique est souvent un ictère. Le scanner et l'IRM des voies biliaires permettent de visualiser les lésions et d'en faire une cartographie. Le diagnostic est affirmé par des biopsies effectuées sous écho-endoscopie et/ou sous cholangiographie rétrograde ou cholangioscopie. Le traitement est chirurgical, quand la tumeur est cliniquement limitée. Pour les formes inopérables, la prise en charge est basée sur une chimiothérapie associée éventuellement à une immunothérapie. Ce sont des tumeurs de mauvais pronostic quand le patient n'est pas opérable, ce qui est le cas le plus fréquent.

 

TLM : Pour les cholangiocarcinomes intra-hépatiques les stratégies de diagnostic sont-elles différentes ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : Le diagnostic est envisagé à l'échographie et confirmé par le scanner, l'IRM. Les biopsies des lésions guidées par échographie se font directement, au niveau du foie, à travers la peau. Les données montrent que 14 % des patients sont diagnostiqués à un stade où la tumeur est accessible au traitement chirurgical. Dans 24 % des cas, les patients présentent au moment du diagnostic une forme localement avancée. Enfin, dans la moitié des cas environ, le diagnostic est tardif, avec une tumeur évoluée et des métastases. Au stade de métastases, le plus souvent, seuls les traitements symptomatiques et les soins palliatifs peuvent soulager le patient qui présente un état général altéré, avec une insuffisance hépatique, liée au cancer, mais aussi à un foie pathologique sous-jacent fréquemment présent.

 

TLM : Quels traitements pour les cholangiocarcinomes intra-hépatiques ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : La prise en charge a beaucoup évolué récemment, notamment grâce à la biologie moléculaire et à l'arrivée des thérapies ciblées. Pour les formes opérables, le protocole est basé sur l'ablation de la tumeur, suivie par chimiothérapie en post-opératoire, par capécitabine pendant six mois. Le taux de récidive, malgré cette prise en charge, concerne un patient sur deux, dans les quatre à cinq années qui suivent. Si le cholangiocarcinome n'est pas accessible à la chirurgie ou en cas de récidive après chirurgie — et si le patient reste dans un état général compatible avec un traitement — d'autres stratégies sont possibles. La prise en charge en première intention pour les formes non opérables repose sur une chimiothérapie par gemcitabine et cisplatine associée éventuellement à une immunothérapie avec le durvalumab. Dans le même temps, sur les prélèvements tumoraux, le profil moléculaire de la tumeur est effectué. Quand le cancer échappe à la chimiothérapie, la thérapie ciblée est proposée en seconde ligne, en fonction du profil moléculaire de la tumeur. En l'absence d'anomalie cellulaire accessible à une thérapie ciblée, une nouvelle ligne de chimiothérapie doit être envisagée. Des publications récentes montrent une survie médiane pouvant être supérieure à 20 mois avec les thérapies ciblées contre sept mois avec la chimiothérapie.

 

TLM : Les thérapies ciblées sont-elles indiquées dans les cholangiocarcinomes intra et extra-hépatiques ?

Pr Jean-Frédéric Blanc : Les thérapies ciblées ont le vent en poupe dans ces tumeurs digestives.

Mais c'est essentiellement pour les cholangiocarcinomes intra-hépatiques qu'elles sont le plus adaptées. Ces cancers présentent dans plus de 40 % des cas un profil moléculaire accessible à une thérapie ciblée. En particulier, pour les mutations du gène de l'IDH1 et pour la fusion-réarrangement du gène codant pour FGFR2, qui concernent environ 20 % des patients, des traitements ciblés sont disponibles, respectivement l'ivosidenib et le pemigatinib. Ils sont désormais remboursés dans ce cadre, après échec des chimiothérapies. Les premiers essais datent d'il y a quatre ou cinq ans. Avec des résultats favorables et une diminution notable de la mortalité. En revanche, cancers des voies biliaires extra-hépatiques présentent plus rarement des anomalies, accessibles à ces traitements ciblés.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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