• Pr. BLADOU : L’irrépressible marche vers des soins de santé « verts »

Franck BLADOU

Discipline : Divers

Date : 20/01/2021


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TLM : Comment se situe la France pour son empreinte carbone liée aux soins en santé ?
Pr Franck Bladou :
Peu d’établissements de santé ont calculé leur empreinte carbone. Nous en sommes au tout début et, pour l’heure, il n’existe que de rares mesures au niveau national. Des groupes s’organisent à l’échelle des établissements de santé où se développe progressivement un accompagnement institutionnel. Même si l’on note l’éveil d’une conscience que l’hôpital est un lieu très sensible à ces problématiques, puisqu’il concentre une part importante des déchets. Et notamment au niveau du bloc opératoire, qui génère à lui seul 30% des déchets de l’hôpital et se révèle très énergivore (chauffage, éclairage, climatisation, aération). C’est la raison pour laquelle nous, chirurgiens, trouvons un intérêt à réfléchir et agir sur cette question. A ce stade notre priorité va à la prise de conscience du plus grand nombre de soignants, car elle constitue le point de départ d’un changement des mentalités.

Comment précisément réduire la production de déchets à l’hôpital ?

De premiers guides et fiches commencent à circuler, notamment à l’initiative de la SFAR (Société française d’anesthésie et de réanimation) et du C2DS (Comité pour le développement durable en santé) qui visent à améliorer les choses. Ces documents amènent à une prise de conscience sur les pratiques des blocs opératoires, par exemple à propos des gaz anesthésiants, pour certains très toxiques pour l’environnement, et qui s’évacuent lentement. On se rend ainsi compte que l’utilisation de ces gaz n’est pas incontournable. De nombreux établissements entament une réflexion d’homogénéisation, qui pourrait aboutir sur un cahier des charges ou de bonnes pratiques pour des « soins de santé durables ». La SFAR, pionnière, a été rejointe par l’AFU et nous travaillons sur ces dossiers. De même, à l’échelle du CHU de Bordeaux, nous travaillons à homogénéiser ces pratiques en vue de créer un label « Unité de soins durables ».
50 à 85% des produits éliminés comme DASRI devraient finir en déchets ménagers, moins polluants. Pourquoi un tri aussi inconséquent ?

En raison d’une absence de prise de conscience, mais aussi parce que les textes réglementaires sur les DASRI sont flous. Le Code de la Santé publique les désigne comme des déchets qui présentent un risque infectieux du fait de la présence de micro-organismes viables susceptibles de contenir des toxines... Aujourd’hui chaque établissement est en train de reconsidérer sa propre définition des DASRI parce que nous constatons que jusqu’à 85% des déchets qui vont dans ces poches jaunes devraient plutôt finir dans les poches noires dédiées aux ordures ménagères. L’élimination des DASRI coûte 8 à 10 fois plus cher que celle des DAOM avec un impact carbone beaucoup plus important. Cette évolution sur les déchets mérite une éducation des personnels car c’est elle qui amènera un changement des comportements : c’est le premier pas le plus accessible à condition de définir clairement ce qu’est un déchet à risque infectieux. Réunir ensuite ces réflexions pourrait donner naissance à une recommandation utilisable par tous.


Le disflurane, gaz très utilisé en anesthésie, se révèle 10 fois plus polluant que d’autres gaz. Existe-t-il des alternatives ?
Il pourrait être simplement banni... puisqu’on peut s’en passer pour réaliser une anesthésie. La SFAR mène là aussi une réflexion en vue de proposer des alternatives pour diminuer l’utilisation des produits halogénés et du protoxyde d’azote. Au CHU de Bordeaux nous avons ainsi une unité du bloc opératoire en pédiatrie qui a complètement supprimé l’utilisation du N2O toxique pour les anesthésies. Nous pourrions par conséquent commencer par éliminer les gaz les plus polluants, dont l’utilisation tient souvent à un certain confort ou à une simple routine de la part des soignants. Les techniques d’anesthésie sont variées et ne passent pas fatalement par l’utilisation de gaz halogénés les plus toxiques, au demeurant responsables d’aggraver les gaz à effet de serre.

La formation peut-elle jouer un rôle dans lce domaine ?
Elle est capitale et intervient à tous les niveaux. L’éducation pour des soins de santé durables touche aussi bien les gaz anesthésiants que la consommation d’énergie, le recyclage des matériaux produits par les soins (papier, métal, plastic, verre), les déchets, l’utilisation de matériel réutilisable plutôt que jetable, la lutte anti-gaspi (économies d’énergie, en eau, matériel préparé non utilisé, etc.). Autant de situations qui impliquent des changements nécessitant un effort de formation. Sous l’impulsion de sociétés savantes comme la SFAR, l’AFU, l’Association française de chirurgie (AFC), des programmes de formation, parfois universitaires aussi, commencent à se développer. Mais l’essentiel de ces formations nouvelles verront sans doute le jour lorsque nous aurons achevé de rédiger les guides de recommandations et les fiches pratiques pour des soins « verts » à l’échelle nationale. Soins « verts » et empreinte carbone acceptable sont-ils compatibles ?

Certainement, mais il y a beaucoup de progrès à faire pour aller vers cet objectif et c’est indispensable. Avertis que nous sommes aujourd’hui des dangers de la pollution environnementale et de pratiques non responsables, nous avons les moyens de conjuguer les deux. La prise de conscience est mondiale, même si les actions restent limitées. Écrire les guides de bonnes conduites, former les personnels de santé, délivrer des labels d’unités de soins durables et mesurer les résultats, voilà ce qui nous occupe pour l’heure. J’attire enfin l’attention sur le fait que les établissements de santé brassent une importante population, patients et accompagnants, qui sont autant de relais potentiels de cette prise de conscience et pourraient intensifier le retentissement de cette cause universelle en faveur de soins de santé durables

Propos recueillis par Maurice Bober

 

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