• Pr Benjamin Rolland: Impact du traitement de l’hépatite C chez les patients psychiatriques

Benjamin Rolland

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 13/10/2022


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La récente étude BaroC Psy* démontre que le traitement de l’hépatite C entraîne une amélioration de l’état global du patient et pas seulement une amélioration sur le plan hépatique. Le Pr Benjamin Rolland, psychiatre, responsable du Service universitaire d’addictologie de Lyon (SUAL), Hospices civils de Lyon et de l’hôpital Le Vinatier, nous en livre les implications.

 

TLM : L’hépatite C est-elle vraiment plus fréquente chez les patients souffrant de troubles psychiatriques ?

Pr Benjamin Rolland : Plusieurs études menées dans le monde ont estimé qu’environ 5% des patients hospitalisés dans des services de psychiatrie étaient contaminés par le virus de l’hépatite C, alors que ce virus touche 0,5% de la population générale. Il y a donc dix fois plus de personnes contaminées par le virus de l’hépatite C chez les personnes souffrant de troubles mentaux que chez les autres. Mais il y a deux préjugés persistants, et inexacts, concernant ce problème. Le premier préjugé c’est que cette surprévalence s’expliquerait uniquement par le fait que l’hépatite C concerne les usagers de drogues qui seraient plus nombreux parmi les patients souffrant de troubles mentaux. En réalité, la première étude BaroC* a montré que les malades psychiatriques porteurs du virus de l’hépatite C sont loin d’être tous des consommateurs de drogues. Le profil de contamination par l’hépatite C des malades hospitalisés en psychiatrie est en réalité proche de celui de la population générale porteuse du virus de l’hépatite C, avec des contaminations lors de transfusions, de rapports sexuels, d’échanges de matériels divers… Cette surprévalence peut aussi s’expliquer par le fait que ces malades vivent plus souvent en institution ou dans des foyers avec une plus grande promiscuité et des échanges plus fréquents de différents objets.

 

TLM : Quel est le deuxième préjugé à combattre ?

Pr Benjamin Rolland : C’est le fait que l’hépatite ne relève pas de la compétence du psychiatre mais de celle du médecin généraliste qui travaille dans les services de psychiatrie. Il faut savoir que l’hépatite C a un tropisme neurologique. Ce virus se multiplie dans les cellules de la glie, cellules de soutien des neurones. Il entraîne la production de cytokines qui augmentent la fatigue, les troubles dépressifs et sans doute d’autres troubles psychiatriques. Il est donc probable que chez les patients atteints de troubles mentaux, certains symptômes psychiatriques soient majorés par l’hépatite C. Et cela concerne forcément le psychiatre.

 

TLM : Le traitement de l’hépatite C améliore-t-il les troubles psychiatriques ?

Pr Benjamin Rolland : Nous venons de le démontrer récemment avec l’étude BaroC Psy*.

Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé les données de l’Assurance maladie pour identifier tous les patients en France ayant eu un diagnostic d’hépatite C entre 2014 et 2019. Et nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la sous-population de ceux qui de surcroît souffraient de troubles mentaux. L’objectif était d’évaluer, pour cette population, le nombre d’hospitalisations en médecine, en chirurgie ou en psychiatrie, l’année avant la prise en charge de l’hépatite C et l’année après le traitement. Il s’agissait donc de mesurer l’impact du traitement sur l’état général des patients. Les résultats mettent en évidence une diminution significative du risque d’hospitalisation dans l’année suivant le traitement. Cette baisse concerne les hospitalisations dans les services de médecine, de chirurgie et de psychiatrie. Notre étude suggère donc que le traitement de l’hépatite C entraîne une amélioration de l’état global du patient et pas seulement une amélioration sur le plan hépatique.

Le taux d’hospitalisation est un reflet de l’état du patient psychiatrique. Ces données sont très fortes : en traitant l’hépatite C, on améliore l’état général et psychiatrique du patient. Par ailleurs, au-delà des données strictement médicales, l’hospitalisation coûte cher. La baisse des hospitalisations grâce au traitement participe à la réduction des coûts de santé. C’est important, même si notre étude n’est pas d’ordre médico-économique. Nos résultats, déjà présentés notamment à l’European Association for the Study of the Liver (EASL) en juin dernier, devraient être publiés dans une revue internationale de psychiatrie. C’est la première étude au monde qui évalue l’impact du traitement de l’hépatite C chez les malades psychiatriques.

 

TLM : Comment ces résultats ont-ils été reçus par vos confrères psychiatres ?

Pr Benjamin Rolland : Il y a vingt ans, les psychiatres estimaient qu’ils n’étaient pas concernés par les maladies somatiques de leurs patients. Aujourd’hui, ils ont évolué car les connaissances ont progressé. Ils sont désormais davantage impliqués dans l’échange avec les autres disciplines.

Autre intérêt de notre étude : elle devrait permettre de développer plus encore les échanges interdisciplinaires.

Maintenant se pose la question de savoir s’il faut procéder à un dépistage systématique de l’hépatite C chez tous les patients hospitalisés en psychiatrie ou seulement un dépistage ciblé vers ceux dits à risque —transfusés, usagers de drogues, etc. Nous estimons qu’il faudrait proposer ce dépistage, au moins une fois au cours de la vie, à tous les patients dans les services de psychiatrie. Le dépistage ciblé n’est pas forcément fiable parce qu’il fait appel à la mémoire des patients. Ceux-ci peuvent avoir oublié ou ne pas avoir envie d’évoquer leurs antécédents d’usage de drogues ou de transfusion. Avec seulement un dépistage ciblé, le risque est de passer à côté de nombreuses contaminations. C’est une perte de chances, car plus de 99% des patients bénéficiant d’un traitement contre l’hépatite C sont guéris et débarrassés du virus. L’Association française pour l’étude du foie (AFEF) recommande d’ailleurs un dépistage universel du virus de l’hépatite C, en population générale, une fois au cours de la vie.

 

TLM : Existe-t-il des données en France sur l’importance de la contamination par l’hépatite C en milieu psychiatrique ?

Pr Benjamin Rolland : Tout récemment une équipe de l’hôpital de Thuir, dans le Sud-Ouest vient de montrer que le taux de contamination se situait entre 2,5 et 4,9 %, pour les patients hospitalisés en psychiatrie. Nous avons également une étude en cours à Lyon pour évaluer la fréquence des maladies hépatiques chez les malades hospitalisés en psychiatrie, hépatite C bien sûr, mais aussi hépatite B, cirrhose, NASH, etc. Nos résultats devraient être disponibles en septembre 2023.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

* Les études BaroC et BaroC PSY ont été soutenues par Gilead Sciences et analysées par IQVIA.

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