• Pr AZIZI : HTA : de nouvelles recommandations thérapeutiques attendues

Michel AZIZI

Discipline : Cardiologie

Date : 10/01/2022


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La prévalence, le dépistage et la prise en charge de l’HTA en France n’ont pas progressé depuis 2006. Les recommandations thérapeutiques émises par les Sociétés européennes de cardiologie (ESC) et d’hypertension (ESH) en 2018 pourraient permettre d’améliorer le contrôle tensionnel en France, espère le Pr Michel Azizi, chef de service du Centre d’excellence en Hypertension artérielle de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris).

 

TLM : L’hypertension artérielle est-elle toujours un problème de santé publique en France ?

Pr Michel Azizi : Oui, et plus que jamais ! La dernière enquête nationale, réalisée en 2016, ne montre aucune amélioration en 10 ans, tant en termes de prévalence, qui s’élève à 30% en moyenne (ce qui représente 15 à 16 millions de Français hypertendus), que de dépistage ou de prise en charge. La situation est vraiment préoccupante, comme dans le reste du monde, en particulier dans les pays à faibles ressources économiques.

 

TLM : Comment expliquez-vous cela ?

Pr Michel Azizi : La première raison, à mon avis, est la banalisation de l’HTA et la sous-estimation de ses conséquences parfois dramatiques : en France, on a oublié ce qu’est la maladie hypertensive grave et les conséquences immédiates d’élévations brutales et soutenues de la pression artérielle telles que la dissection aortique, la poussée d’insuffisance cardiaque aiguë ou l’AVC hémorragique. Cette banalisation a amené à négliger son dépistage et sa prise en charge. Résultat, la moitié des gens ignorent qu’ils sont hypertendus et ne sont, par conséquent, pas pris en charge correctement. Et beaucoup de ceux qui sont traités ne suivent pas correctement leur traitement : 20 % n’achètent pas leur première prescription et la moitié des autres arrêtent leur traitement au bout d’un an. Souvent sans le dire à leur médecin. En cause, notamment, la défiance croissante envers les médicaments en général, le corps médical et l’industrie pharmaceutique. Certaines actions et décisions des autorités sanitaires, réalisées pour des raisons budgétaires, se sont avérées, par ailleurs, totalement contre-productives en matière de prévention : la suppression de l’ALD30, le non-remboursement des appareils d’automesure tensionnelle, alors que leur utilité est reconnue et que leur usage fait partie des recommandations pour le dépistage et le suivi de l’HTA, et le non-remboursement des trithérapies en un seul comprimé qui sont recommandées par l’ESC et l’ESH — car elles améliorent le contrôle tensionnel et l’observance thérapeutique—, en sont des illustrations emblématiques. Les médecins ont aussi une part de responsabilité du fait d’une certaine inertie thérapeutique, en se contentant parfois de chiffres de pression artérielle non conformes aux objectifs tensionnels fixés par les recommandations. Enfin, nos systèmes de prise en charge ne sont plus adaptés à l’afflux de malades et à la complexité grandissante des comorbidités associées à l’HTA, en particulier chez les personnes les plus âgées.

 

TLM : Que préconisez-vous ?

Pr Michel Azizi : L’application des recommandations de prise en charge de l’HTA émises par l’ESH et l’ESC. Les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer dans l’éducation de leurs patients en matière de prévention de la maladie hypertensive, et de recommandations des règles hygiéno-diététiques, et ce dès la première consultation diagnostique. Beaucoup de patients ne voient pas l’intérêt d’être traités pour une maladie qu’ils ne ressentent pas puisqu’elle n’existe pas encore. Il faut prendre le temps de bien expliquer au patient que le bénéfice du traitement antihypertenseur associé à la prise régulière du traitement pendant toute la durée de la vie (dans la majorité des cas) ne sera pas directement mesurable par eux, puisqu’il s’agira d’éviter la survenue d’un événement potentiellement grave dans un horizon de temps variable en fonction de l’âge du patient, de ses comorbidités et de la sévérité de leur HTA. Il circule aussi un certain nombre d’idées fausses à propos des médicaments qu’il faut combattre : ils abîmeraient les reins ou entraîneraient une addiction... Il faut prendre le temps d’en discuter pour anticiper d’éventuelles résistances, et tout en rappelant le bénéfice prouvé des médicaments antihypertenseurs, de ne pas omettre de présenter leur(s) possible(s) effet(s) indésirable(s). Lors de chaque consultation de contrôle, il est important de demander aux patients s’ils ont des effets indésirables des traitements prescrits, s’ils ont des difficultés à prendre leur traitement régulièrement et, dans ce cas, en comprendre les raisons afin d’ouvrir un dialogue transparent et de confiance avec le patient, et d’ajuster le traitement le cas échéant. Tout cela nécessite de prendre du temps mais cela s’avère largement payant. Le médecin généraliste doit savoir passer la main au spécialiste en cas de résistance avérée au traitement, d’HTA grade III, compliquée ou secondaire. Enfin, il faut profiter de la consultation pour vérifier si le dépistage de l’HTA a été fait parmi les membres de la famille, et rappeler d’appliquer les bonnes habitudes alimentaires au plus tôt chez les enfants et de réaliser chez eux une mesure tensionnelle au moins à l’âge de 18 ans.

 

TLM : Quelle est la stratégie thérapeutique actuelle préconisée par l’ESH et l’ESC ?

Pr Michel Azizi : Les dernières recommandations de l’ESC et de l’ESH ont été publiées en 2018. Celles-ci préconisent en première intention, une bithérapie en un seul comprimé associant un inhibiteur du système rénine angiotensine (SRA) et un inhibiteur calcique ou un diurétique thiazidique (ou apparenté). On peut se limiter à une monothérapie pour les HTA grade I sans comorbidité et pour les patients de plus de 80 ans et/ou fragiles. Selon la SFHTA, pendant la mise en place du traitement, la surveillance est mensuelle jusqu’au contrôle de la PA, afin d’obtenir un traitement stable et bien toléré/accepté et un suivi des règles hygiéno-diététiques. Une fois ces objectifs atteints, la surveillance clinique a lieu tous les trois mois avec mesure de la PA (couchée et debout), du poids et un examen cardiovasculaire. Un ECG et une biologie ont lieu tous les trois ans si bilan initial normal. S’il y a lieu, ne pas oublier l’aide au sevrage tabagique et la prise en charge des cofacteurs de risques et comorbidités. Le contrôle de l’HTA devrait être obtenu selon la gravité entre trois à six mois. Si la pression artérielle reste élevée au dessus des objectifs tensionnels, il faut alors prescrire une trithérapie associant les trois classes thérapeutiques citées précédemment. En l’absence de contrôle de la pression artérielle malgré une trithérapie bien conduite à doses optimales et bien tolérées, confirmée par une mesure ambulatoire ou une automesure tensionnelle, on s’assure avant tout de la bonne observance du traitement, et on recherche des raisons à cet échec thérapeutique :

le patient prend-il d’autres médicaments pouvant interagir avec son traitement (notamment les AINS, les vasoconstricteurs nasaux, une contraception œstrogénique, les antidépresseurs, les drogues récréatives etc.) ?

a-t-il une alimentation avec une consommation excessive de sel sous toutes formes (le sel mais aussi toutes préparations culinaires dont les bouillons-cubes, les sauces à base de soja, etc.) qui contribue à la résistance tensionnelle ?

l’obésité, la consommation excessive d’alcool, un syndrome d’apnée du sommeil sévère sont également des facteurs susceptibles d’induire une résistance tensionnelle. Les mesures hygiéno-diététiques (perte de poids, réduction de la consommation de sel et d’alcool, pratique régulière d’une activité physique...) sont alors indispensables.

En cas d’HTA résistante à une trithérapie avérée, on recherchera alors une HTA secondaire au mieux en centre spécialisé. En l’absence d’HTA secondaire nécessitant un traitement ad-hoc, on associe à la trithérapie de la spironolactone 25 à 50 mg/j si la kaliémie de base est <4,5 mmol/L et le débit de filtration glomérulaire estimé est ≥ 45 ml/min. L’amiloride (10 mg/j), les bêtabloquants, les alpha-bloquants et les antihypertenseurs centraux sont des alternatives à envisager en 4e ligne en cas de mauvaise tolérance à la spironolactone.

 

TLM : Quels sont les nouveaux objectifs tensionnels ?

Pr Michel Azizi : Le seuil diagnostique de l’HTA reste à 140 mmHg pour la pression systolique et 90 mmHg pour la diastolique en mesure clinique en utilisant un appareil electronique validé au bras avec un brassard adapté et une technique de mesure valide (voir www.sfhta.eu/wp-content/uploads/2021/12/Guidelines-mesure-PA-traduites-Fr-23-11-2021-1.pdf). Le diagnostic d’HTA doit être confirmé par une automesure, une mesure ambulatoire ou l’obtention des mêmes mesures à plusieurs reprises. Les objectifs tensionnels en fonction de l’âge et les comorbidités sont les suivants selon les recommandations européennes :

 

Population Objectifs cibles du traitement PAS (mmHg) Objectifs cibles
du traitement
PAD
(mmHg)
Hypertension + Diabète + IRC + Maladie
coronarienne
+ AIT
18-65 ans Objectif 130
ou plus bas
si toléré
Non <120
Objectif 130
ou plus bas
si toléré
Non <120
Objectif < 140
à 130

(si toléré)
Objectif 130
ou plus bas
si toléré
Non <120
Objectif 130
ou plus bas
si toléré
Non <120
< 80 à 70
65-79 ans Objectif < 140 à 130
(si toléré)
< 80 à 70
80 ans et + Objectif < 140 à 130
(si toléré)
< 80 à 70
Objectifs cibles
du traitement
PAD (mmHg
< 80 à 70  

PAS : Pression artérielle systolique ; PAD : Pression artérielle diasystolique ; IRC : Insuffisance rénale chronique ; AIT : Accident ischémique transitoire.

 

TLM : Le traitement est-il nécessairement à vie ?

Pr Michel Azizi : Comme pour toute maladie chronique, le traitement de l’HTA doit effectivement être pris pendant toute la vie. Néanmoins, pour les formes légères, et chez un patient jeune qui suit strictement les recommandations hygiéno-diététiques, on peut envisager un arrêt du traitement mais sous surveillance médicale après normalisation des chiffres tensionnels. L’âge étant un facteur majeur de rigidité artérielle, l’arrêt du traitement chez un patient âgé est rarement une option.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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