• Pr Aurélien Dinh : Adopter les bonnes pratiques face à l’antibiorésistance

Aurélien Dinh

Discipline : Infectiologie

Date : 23/10/2023


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« De nouvelles molécules ont été commercialisées ces dernières années. Mais ce n’est pas un complet message d’espoir car il ne faut pas répéter les mêmes erreurs en prescrivant n’importe comment l’antibiothérapie », estime le Pr Aurélien Dinh, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré (Garches).

 

TLM : L’incidence des résistances bactériennes augmente-t-elle ?

Pr Aurélien Dinh : Effectivement, et de manière régulière depuis plusieurs années. Certes, la résistance bactérienne était présente avant l’utilisation des antibiotiques, mais ceux-ci en sont un levier majeur. Ce phénomène est particulièrement inquiétant en Asie, en Inde ainsi que sur le pourtour du bassin méditerranéen et en Amérique du Nord, une région pourtant industrialisée. L’Afrique est également concernée, même si la surveillance est évidemment de moins bonne qualité qu’en Europe. Les patients venant d’Afrique que nous prenons en charge présentent des écologies très inquiétantes. À l’heure actuelle, l’Europe est moins exposée que le reste du monde, avec un gradient Nord-Sud.

Les résistances sont moins présentes dans le Nord, notamment pour des raisons de régulation de l’exposition aux antibiotiques et de consommation moindre par la population.

 

TLM : Quels sont les problèmes liés au développement de l’antibiorésistance ?

Pr Aurélien Dinh : Dans certaines situations cliniques, nous avons peu de solutions antibiotiques efficaces ou alors des traitements efficaces mais extrêmement toxiques donc difficiles à manipuler. Si cette situation se généralise, le risque à terme est que des antibiothérapies utilisées de manière courante, comme l’antibioprophylaxie lors des chirurgies, ne soient plus efficaces. Et ceci même pour des infections banales, appendicites ou chirurgies de prothèses de hanche…

 

TLM : Quels sont les protocoles mis en place ?

Pr Aurélien Dinh : Les protocoles thérapeutiques sont adaptés en temps réel à nos écologies locales. Dans mon hôpital, nous surveillons régulièrement les données épidémiologiques car il existe des différences très importantes d’une région à l’autre. L’Ile-de-France a une incidence importante alors qu’elle est extrêmement faible en Bretagne.

 

TLM : Existe-t-il des difficultés importantes pour trouver l’antibiotique adapté ?

Pr Aurélien Dinh : Oui, pour certaines bactéries résistantes. De nouvelles molécules ont été commercialisées ces dernières années. Mais ce n’est pas un complet message d’espoir car il ne faut pas répéter les mêmes erreurs en prescrivant n’importe comment les antibiotiques y compris et en particulier les nouvelles molécules antibiotiques. Il faut continuer de réduire l’exposition antibiotique afin de limiter l’émergence de résistances rapides. À l’heure actuelle, avec ces nouvelles molécules, nous arrivons à traiter la plupart des infections sous nos latitudes.

Quelles sont les raisons expliquant une résistance des bactéries de plus

 

TLM : en plus croissante ?

Pr Aurélien Dinh : En premier lieu, leurs expositions aux antibiotiques. Puis les résistances, notamment via les microbes digestifs, se disséminent dans l’environnement. Avec les migrations importantes, causées par les conflits dans des pays où le soin est compliqué, il existe probablement un risque que des bactéries multi-résistantes arrivent en Europe. Nous commençons à nous y intéresser car nous voyons des bactéries extrêmement résistantes. La réponse devrait être globale et coordonnée sur plusieurs leviers comme la réduction de l’exposition aux antibiotiques en réduisant la durée de prescription mais aussi les indications, l’augmentation du taux de vaccination, le contrôle de la diffusion d’antibiotiques en médecine animale et l’hygiène.

La plupart des bactéries résistantes à l’antibiothérapie aujourd’hui se rencontrent dans le milieu hospitalier à travers les infections nosocomiales. Est-ce un phénomène là aussi croissant ?

Les infections nosocomiales sont relativement stables proportionnellement au nombre d’actes chirurgicaux mais elles augmentent en valeur absolue car nous pratiquons de plus en plus d’actes plus ou moins invasifs.

 

TLM : Le pseudomonas aeruginosa est-il une bactérie virulente ?

Pr Aurélien Dinh : Le P. aeruginosa est davantage craint par les infectiologues que d’autres bactéries dont on parle beaucoup comme les entérobactéries productrices de carbapénèmases. C’est un germe tellurique très présent dans l’environnement. Il infecte les patients immunodéprimés et ceux en réanimation. L’infection est parfois de forme sévère. Les difficultés thérapeutiques résultent de ses mécanismes hétérogènes de résistance qu’il peut activer en fonction de l’antibiotique auquel il est exposé. Il est de plus capable de créer du biofilm. Une fois qu’un patient a eu une infection avec ce germe, celui-ci reste en général longtemps « tapi » dans leur corps, notamment au niveau respiratoire. Il est ainsi très difficile de s’en débarrasser sur la durée car il est résilient.

 

TLM : Quelle est la prise en charge de l’infection à P. aeruginosa ?

Pr Aurélien Dinh : Quelques antibiotiques sont actifs contre P. aeruginosa. Ils sont peu nombreux et d’efficacité équivalente. Les stratégies non antibiotiques sont également un nouvel axe de recherche et d’évaluation. La phagothérapie, par exemple, est une option thérapeutique à ne pas négliger. À l’heure actuelle, l’exposition aux phages anti-pseudomonas ne créerait pas de résistance bactérienne. Elle permettrait, utilisée soit seule, soit adjointe à une antibiothérapie, de diminuer les expositions et de guérir nos patients.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la lutte contre l’antibiorésistance, hormis la prescription du bon antibiotique, à la bonne dose et pour la durée efficace ?

Pr Aurélien Dinh : Il a un rôle pédagogique majeur sur des sujets comme l’antibiothérapie, l’antibiorésistance, la vaccination et l’hygiène. Son travail de terrain quotidien est essentiel pour poser le bon diagnostic et indiquer, par exemple, qu’un examen d’urines positif n’est pas une infection urinaire.

Trop de personnes veulent des antibiotiques car elles ont des bactéries identifiées sur des prélèvements alors qu’elles vont bien et ne doivent surtout pas être traitées.

 

TLM : En termes de prophylaxie, quelles mesures adopter ?

Pr Aurélien Dinh : La transmission est manuportée. L’hygiène et le lavage des mains avec des solutions hydro-alcooliques (SHA) sont essentielles. L’intérêt est prouvé qu’il s’agisse de pathogènes respiratoires ou digestifs. Les SHA ont sauvé des vies !

Propos recueillis

par Elvis Journo

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