• Pr Alexandre De La Taille : Traiter le cancer de la prostate avancé hormonodépendant

Alexandre De La Taille

Discipline : Uro-Néphrologie

Date : 10/01/2024


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Si le cancer de la prostate au stade avancé est traité par hormonothérapie, le développement de résistances limite l’efficacité des traitements sur le long terme. Toutefois, de nouvelles pistes thérapeutiques voient le jour.

Le point avec le Pr Alexandre De La Taille, chirurgien urologue à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil) et président de l’AFU.

 

TLM : Le cancer de la prostate est-il fréquent ?

Pr Alexandre De La Taille : Le cancer de la prostate est le premier cancer de l’homme. On estime à environ 50 000 le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année en France, et à 8 000 le nombre de décès. Il y a globalement une tendance à la baisse des décès depuis une quinzaine d’années. Cela s’explique notamment par l’impact positif du dosage du taux de PSA (antigène prostatique spécifique) qui permet d’établir des diagnostics de plus en plus précoces et par l’arrivée de médicaments novateurs et plus puissants dont nous disposons actuellement. En tout état de cause, le cancer de la prostate reste rare avant 50 ans et son incidence augmente progressivement avec l’âge.

Au moment du diagnostic, l’âge avoisine généralement les 70 ans.

 

TLM : Quels en sont les symptômes ?

Pr Alexandre De La Taille : Fort heureusement, à l’heure actuelle nous ne rencontrons que très peu de patients symptomatiques car la très grande majorité des cancers de la prostate sont diagnostiqués à un stade localisé grâce au dosage systématique du PSA par le médecin traitant. Le dépistage de masse n’a pas montré d’intérêt dans le cancer prostatique mais le dépistage individualisé est particulièrement pertinent.

 

TLM : Des facteurs de risque ont-ils été identifiés ?

Pr Alexandre De La Taille : L’âge avancé et les antécédents familiaux du cancer de la prostate ou du sein sont des facteurs de risque individuels de cancer de la prostate.

L’origine ethnique figure elle aussi parmi les facteurs de risque identifiés puisqu’il a été établi que les patients d’origine afro-antillaise étaient plus à risque de développer un cancer de la prostate.

 

TLM : Comment poser le diagnostic ?

Pr Alexandre De La Taille : Le diagnostic est posé par des biopsies de la prostate indiquées par l’augmentation du taux de PSA et une anomalie à l’IRM prostatique. Le PSA est utilisé en examen de débrouillage et il indique la probabilité d’un cancer de la prostate. L’utilisation aisée de ce marqueur par une simple prise de sang explique que la plupart de ces cancers soient diagnostiqués à un stade localisé pour lequel un traitement local par chirurgie, radiothérapie ou curiethérapie permet de régler le problème dans la majorité des cas. L’incidence de la maladie métastatique au diagnostic est passé de 70 % en 1990 a un peu moins de 8 % aujourd’hui dans la région parisienne.

 

TLM : Si plusieurs options thérapeutiques sont possibles, notamment en fonction du degré d’évolution du cancer, quelles sont celles dont nous disposons aujourd’hui pour les stades avancés ?

Pr Alexandre De La Taille : En effet, le traitement du cancer de la prostate dépend du stade de la maladie. Pour les stades métastatiques, nous avons recours à des traitements systémiques comme le traitement hormonal. La ligne thérapeutique classique est une hormonothérapie de première génération, type agonistes ou antagonistes de la LHRH qui bloquent la production de la testostérone par les testicules. Ces derniers sont administrés par voie injectable à intervalle régulier. Plus récemment, une nouvelle molécule (le rélugolix) est venue enrichir l’arsenal thérapeutique de première intention du cancer de la prostate hormonodépendant à un stade avancé.

Elle présente la particularité d’être un traitement par voie orale, offrant donc une prise plus simple et moins d’effet local que les autres spécialités déjà disponibles. Toutefois, une vigilance doit être de mise quant à l’observance de ce traitement. En pratique, un traitement de première ligne est souvent associé aux nouvelles hormonothérapies dites de deuxième génération (acétate d’abiraterone, enzalutamide, darolutamide et apalutamide) qui permettent d’améliorer nettement l’espérance de vie du patient et sa qualité de vie. Une discussion peut avoir lieu pour l’utilisation de la chimiothérapie par docétaxel. Aujourd’hui, grâce à ces lignes thérapeutiques, l’espérance de vie du patient diagnostiqué à un stade métastatique est quasiment multipliée par deux par rapport aux début des années 2000 !

 

TLM : Quelle stratégie thérapeutique pour les patients résistants à l’hormonothérapie ?

Pr Alexandre De La Taille : Malheureusement, tous les patients vont développer, à un moment ou à un autre, une résistance à la castration (traitements hormonaux de première et seconde génération). Cette dernière se manifeste par une remontée du taux de PSA ou à l’apparition de métastases alors que le traitement hormonal avait, jusque-là, stabilisé la situation. Dès lors que la tumeur devient résistante à un premier traitement à base d’hormonothérapie, il peut etre proposé de modifier le traitement hormonal mais il n’est pas rare d’observer des résistances croisées. Le traitement par chimiothérapie (docétaxel) est alors indiqué. Par ailleurs, les inhibiteurs de PARP ont montré un véritable intérêt pour lutter contre certains cancers métastatiques de la prostate qui ne sont plus sensibles aux hormonothérapies, en particulier chez les patients présentant des altérations du gène BRCA2.

 

TLM : On entend beaucoup parler du « Lutétium 177-PSMA-617 ». De quoi s’agit-il ?

Pr Alexandre De La Taille : Les premières publications sur le sujet datent de 1995. Le PSMA est un antigène membranaire présent à la surface des cellules prostatiques qui se surexprime dans les cellules cancéreuses. Un élément radioactif a pu y être lié, émettant un rayonnement détruisant l’ensemble des cellules cancéreuses. Cette thérapie se fait par voie intraveineuse et constitue un véritable espoir thérapeutique dans la prise en charge de certains cancers de la prostate au stade métastatique résistants aux hormonothérapies de première et deuxième génération ainsi qu’à la chimiothérapie. S’il est réservé à ces derniers cas aujourd’hui, ce traitement est en train de remonter les lignes. Des essais thérapeutiques dans lesquels cette molécule est utilisée dans des cancers localisés sont en cours.

 

TLM : Doser le PSA pour une détection précoce : un rôle pour le médecin généraliste ?

Pr Alexandre De La Taille : De toute évidence, oui ! Cela ne coûte pas cher et ça peut rapporter gros ! Aujourd’hui, les patients qui n’ont pas bénéficié d’un dosage PSA et qui sont diagnostiqués à des stades tardifs vivent un drame et relatent un vécu très particulier, très négatif car ils sont conscients d’une perte de chance énorme !

Propos recueillis

par Marie Ruelleux

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